[CRITIQUE] : Nebraska
Réalisateur : Alexander Payne
Acteurs : Bruce Dern, Will Forte, June Squibb, Bob Odenkirk,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : 13 000 000 $
Genre : Comédie, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h55min.
Synopsis :
Un vieil homme, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain, à pied puisqu'il ne peut plus conduire. Un de ses deux fils se décide finalement à emmener son père en voiture chercher ce chèque auquel personne ne croit. Pendant le voyage, le vieillard se blesse et l’équipée fait une étape forcée dans une petite ville perdue du Nebraska qui s'avère être le lieu où le père a grandi. C'est ici que tout dérape. Rassurez-vous, c’est une comédie !
Critique :
Même les plus grands détracteurs du génial Alexander Payne ne peuvent nier cette vérité implacable : chaque film du cinéaste est une invitation pour un pur moment de cinéma, qu'on accepte ou qu'on en décline sa richesse.
De par son humour autant acide que son ton est décalé, il a fait de ses savoureux Sideways, Monsieur Schmidt ou encore The Descendants - ou l'un des meilleurs rôles à ce jour de George Clooney -, des monuments du cinéma indépendant ricain, en complet contre-temps de la production Hollywoodienne de ses deux dernières décennies.
Inutile de dire donc, que l'on attendait avec une impatience non-feinte son retour sur grand écran avec Nebraska, road-trip en noir et blanc bougrement alléchant, qui s'était payé une sélection officielle et le prix d'interprétation masculine pour l'immense Bruce Dern, lors du dernier Festival de Cannes.
Nebraska ou l'histoire de Woody Grant, un vieil homme alcoolique qui, pensant avoir gagné un million de dollars à une loterie, entame avec son fils un voyage du Montana au Nebraska, pour réclamer son gain.
Un road trip évidemment mouvementé, durant lequel les deux chercheront enfin à nouer une relation père-fils comme tout un chacun...
Sur le papier, difficile de ne pas admettre que Nebraska ressemble beaucoup aux précédents films de Payne.
Sideways tout d'abord, pour son côté road trip à deux sur les routes US, dont le rejeton David, loser attachant aux illusions perdues, à des faux airs du merveilleux Paul Giamatti.
Ou même encore Monsieur Schmidt puisque les deux péloches ont pour vedettes un acteur beaucoup trop rare sur grand écran (Bruce Dern ici, le précieux Jack Nicholson dans l'autre), mais surtout un protagoniste principal presque équivalent : soit un vieil homme aigri qui peu à peu, s'ouvre aux autres et se rapproche de sa progéniture.
On est donc salement en terrain connu avec ces antihéros, et c'est loin de nous déplaire car si il y a bien un genre ou le cinéaste excelle, c'est bel et bien le road movie comico-dramatique.
Mais loin de céder aux facilités de la redite, le cinéaste transcende son pitch ultra-simpliste pour offrir ni plus ni moins que sa bande la plus aboutie, à la mise en scène aussi exceptionnel (une esthétique soignée alliée à un cadrage exceptionnel des longs et beaux paysages) que son script est juste.
Fort d'un parti-pris sacrément osé (le choix du noir et blanc au détriment de la couleur, qui offre un cachet d'époque séduisant), cruel et bienveillant - ce voyage vers la richesse matériel l'est tout autant qu'un voyage vers la richesse intellectuel (la mémoire) -, via son poignant pèlerinage familiale à travers les États-Unis, la péloche évite les écueils facile du pathos de supermarché pour paraitre constamment sincère et juste, pour preuve les petits détails minutieux et foutrement réaliste qui pullulent sa bande et sa description d'une famille pas si différente que ça, des autres.
Exemple parfait de l’américain moyen, parias du fameux rêve que leur propre nation vend comme un mensonge entouré de paillettes, tous sont frappés par la dure réalité de la crise économique dans des villes presque fantômes ou la seule occupation pour noyer son ennui et sa tristesse, est de boire dans des bars miteux.
Dans ce conte mélancolique ou les générations s'opposent et se superposent, Bruce Dern excelle dans la peau démente du paternel lunaire à la limite de l’Alzheimer, et dont la relation avec ses fils frise le purement anecdotique.
A ses côtés, le génial Will Forte - bien plus connu pour ses facéties au sein du Saturday Night Live -, délivre une performance touchante dans la peau d'un rejeton qui tente peu à peu de se connecter avec un père dont il est le parfait opposé.
Autre partition notable, celle savoureusement barrée de June Squibb, incroyable en matriarche râleuse au possible, véhiculant une bonne partie de l'humour de la bande grâce à sa langue bien pendue.
Mélange de tendresse et d'amertume ou l'humour pince-sans-rire et les dialogues percutants ne font jamais tâche face à l'émotion la plus sincère, Nebraska est un film honnête, nostalgique, humain et humble, que beaucoup jugeront certainement de mineur alors qu'il est loin de l'être, car quand Alexander Payne est en pleine possession de ses moyens, ce sont définitivement des claques destructrices qu'il assène aux visages des cinéphiles les plus endurcis, et non des bandes d'auteurs pompeuses et ennuyeuses.
Un moment de cinéma simple et beau qui va droit au cœur, à ne manquer sous aucun prétexte en ce premier mercredi d'avril assez pauvre en péloche mémorable.
Jonathan Chevrier