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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #156. Chariots of Fire

© 1981 Twentieth Century-Fox

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !


#156. Les Chariots de Feu de Hugh Hudson (1981)


En 1999, le British Film Institute établit un classement des 100 meilleurs films britannique de tous les temps, en interrogeant de multiples journalistes. Le film Les Chariots de Feu (Chariots of Fire, en version originale) se retrouve à la 19e place. Qu'y a t-il de si spécial dans ce film ? Pourquoi est-il toujours aussi acclamé lorsqu'on parle de cinéma britannique ? Jusqu'au point de faire partie de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Londres 2012, lors d'une séquence qui reprend la plus célèbre scène du film, en compagnie de Rowan Atkinson incarnant Mr Bean. Bien avant ces reconnaissances, le film remporte plusieurs prix : le Golden Globe du meilleur film étranger, le BAFTA du meilleur film. Mais surtout, il obtient quatre Oscars sur sept nominations en 1982 : meilleurs costumes, meilleur scénario original, meilleure musique et meilleur film. Si les récompenses et les éloges pleuvent sur le film de Hugh Hudson, c'est parce qu'il arrive à dépasser la retranscription de l'histoire vraie. Les Chariots de Feu raconte librement les expériences de l'athlète britannique Harold Abrahams et de l'athlète écossais Eric Liddell, qui ont couru aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris. Sauf que le récit de leurs exploits va plus loin que la dimension sportive. Abrahams est de confession juive, il court pour défendre l'honneur de son peuple et combattre l'antisémitisme. Liddell est de confession protestante, et puise son énergie dans sa foi spirituelle. Au sein même des questions de lutte des classes, les deux athlètes sont animés par des convictions personnelles, dont l'engagement leur permet de se transcender afin d'arriver jusqu'à la victoire. Dans cette leçon de vie, il y a forcément une part de fierté qui sied bien avec la culture britannique. Il n'est donc pas innocent de se rendre compte que le titre du film est tiré d'un vers du poème And did those feet in ancient time de William Blake, plus tard adapté en hymne patriotique (sous le titre Jerusalem) par Hubert Parry :

© 1981 Twentieth Century-Fox

Bring me my bow of burning gold !

Bring me my arrows of desire !

Bring me my spear ! O clouds, unfold !

Bring me my chariot of fire !

Ainsi, au-delà de son contexte sportif, Les Chariots de Feu parle de culture et de religion. Les dimensions intimes des deux athlètes (mis en miroir dans la différence de leurs valeurs, modes de vie, croyances) portent le film vers un combat contre l'antisémitisme, l'élitisme et les barrières de classes.


« Je veux comparer la foi à la course d'un athlète. C'est difficile, ça exige de la concentration, de la force d'âme. Vous êtes ivre de joie quand le gagnant rompt le ruban, surtout si vous avez parié sur lui. Mais pour combien de temps ? A votre retour, le dîner est peut-être brûlé. Peut-être êtes vous sans travail. Qui suis-je pour dire « Croyez, ayez la foi », devant les réalités de la vie ? Je voudrais pouvoir faire plus. Je ne peux qu'indiquer la voie. Je n'ai pas de recette pour gagner la course. Chacun ou chacune court à sa manière. D'où vient l'énergie de mener la course à son terme ? De l'intérieur. » - Eric Liddell, joué par Ian Charleson


1. Le romantisme de l'accomplissement


Le film de Hugh Hudson repose sur un premier principe : mettre en miroir les expériences de Harold Abrahams et d'Eric Liddell. Sans être véritablement une biographie, parce qu'il s'agit de raconter une période bien définie (1919 à 1924), Les Chariots de Feu se concentre sur le parcours de ces deux athlètes vers les Jeux Olympiques. L'objectif étant de trouver ce qui les anime tous deux à se dépasser, à se consacrer autant à leur sport. Leur pratique n'est pas représentée comme un spectacle où les coureurs sont de simples sportifs qui cherchent la victoire. Le sport leur permet d'élever les âmes et les esprits, de trouver la particularité individuelle, de trouver une raison d'être au sein de la société qui les entoure. Leur singularité fait finalement d'eux des icônes, au point que pour annoncer la présence d'Eric Liddell il y a des affiches collées sur les murs des rues. Mais pour y arriver, la narration du film se construit comme une course. Chaque séquence individuelle de l'un des deux protagonistes est telle une étape supplémentaire vers un objectif. De 1919 à 1924, le cinéaste décortique deux trajectoires distinctes, qui tout de même se ressemblent. Ainsi, en superposant les deux parcours et chaque singularité dans un montage parallèle, Hugh Hudson décortique chaque effort individuel comme une qualification vers les Jeux Olympiques. Le cinéaste ne cherche pas l'intensité qu'une course peut avoir, mais s'intéresse à la motivation derrière le développement d'un caractère.

© 1981 Twentieth Century-Fox

Ce n'est donc pas véritablement un film de sport, ou même un film qui cherche à parler de sport. La course n'est ici qu'un argument pour évoquer l'effort. Hugh Hudson se préoccupe surtout de l'arrière-plan, où se jouent les mélodrames des vies de Abrahams et Liddell. C'est même très clair dès la première scène, qui n'est autre qu'une commémoration pour célébrer Abrahams. Les Chariots de Feu a sa part de romantisme, tant il s'évertue à exprimer les états d'âme de ses personnages. Tout d'abord parce que le cinéaste fait la part belle à la parole, notamment au dialogue. Les échanges entre personnages sont constamment importants pour les faire évoluer, mais également pour montrer la dimension sentimentale du récit. Chaque mot énoncé par les personnages est quelque chose qui vient de leur cœur, que ce soit en rapport avec un rêve (celui de la victoire, voire celui de représenter sa nation) ou avec la mélancolie (face à une société cruelle). Une part de romantisme qui provient aussi de l'esthétique adoptée par Hugh Hudson. Il est possible de considérer le film comme « classique » ou « épuré », mais il faut avant tout retenir le geste contemplatif qui est abordé. Il n'est pas si évident, tant il se repose sur le plaisir qu'éprouvent les personnages pour leur activité. S'il y a du romantisme dans Les Chariots de Feu, c'est parce que chaque scène est une occasion de faire le portrait d'une évasion vers l'idéal.


Que ce soit dans l'accomplissement social ou sportif, le film a sa part de beauté et d'obscurité. Toutefois, il y a bel et bien une dominance du sublime. À travers la passion et la détermination des protagonistes, la photographie dessine une nostalgie vis-à-vis d'une époque révolue. Celle où les sportifs couraient pour la noblesse du sport, mais aussi pour la gloire. Celle où la passion et le sublime étaient plus forts qu'un statut social. Parce qu'il ne faut pas s'y tromper, Les Chariots de Feu est bel et bien une critique acerbe contre le système de classes britannique. Pour cela, Hugh Hudson n'hésite jamais à illuminer chaque échange entre les personnages, à donner de l'espace à l'expression, puis à refuser l'exaltation face aux paysages qui changent. Que ce soit dans les campagnes ou dans les rues des villes, il y a un nivellement de la perception pour y consacrer définitivement les personnages (les âmes, pour être précis) et non plus ce qu'ils représentent socialement. Entre l'évasion et la nostalgie, il s'agit de célébrer un mode de vie qui serait accessible à tous avec un caractère assez festif et jovial.

© 1981 Twentieth Century-Fox


2. Le goût de l'effort dans le pacifisme


Le film est donc comme une célébration : avec le romantisme et le nivellement de chaque espace, Hugh Hudson regarde le sport comme un argument de rassemblement majeur. Il n'y a pas une seule scène de course sans public, mais surtout pas une seule compétition (petite ou grande) sans l'enchantement du public. Parce que l'évasion vers le rêve de gloire n'implique pas seulement les deux protagonistes. Il y a notamment le discours de Liddell au public (voir la citation en début d'article). Mais dès le début du film, il y a ce mélange de personnes qui se regroupent autour des coureurs, tous vibrant au rythme des efforts et des dépassements entre athlètes. Les Chariots de Feu n'est donc pas uniquement à propos des valeurs qui composent la pratique d'un sport, mais également à propos de l'union qu'il crée en dehors des pistes. Ainsi, Hugh Hudson ne cherche jamais à créer une forme qui se voudrait plus impressionnante que les personnages. Tout ce qui ressort des protagonistes est déjà assez extraordinaire. Le film peut alors se voir comme un témoignage discret du parcours de Liddell et d'Abrahams. Sans jamais trop de glorification, sans jamais exagérer l'évasion avec une cruauté de la société, c'est le pacifisme qui est mis en avant. Même la concurrence entre Abrahams et Liddell est saine, parce que le récit privilégie le rêve, parce qu'ils ont d'autres combats plus importants à mener. Produit et réalisé en pleine période où Margaret Thatcher gouverne, Les Chariots de Feu tente de retrouver des valeurs de solidarité, de collectif et d'égalité dans les lendemains des horreurs de la Première Guerre Mondiale, quand il fallait tout reconstruire.


Que ce soit dans la mise en scène ou au sein du même du cadre, la question du regard est très importante. À aucun moment Hugh Hudson ne regarde Abrahams comme une victime de la société. Il ne regarde pas non plus Liddell comme un obnubilé de sa foi. Le film ne considère pas leurs particularités comme le sujet principal, mais les utilise pour montrer qu'il s'agit de leur plus grande force. Parce qu'ici, courir est ce qui justifie les personnages d'être pleinement eux-mêmes, donc profondément humains. Entre la foi, la nation, la famille, l'amour et le sport, tout se confond dans un même et seul regard. Si bien que les scènes de courses peuvent parfois être frustrantes. Hugh Hudson se refuse toute fantaisie et image spectaculaire du sport, il se refuse à montrer une course sans la couper. Il décale toujours son regard, pour que le cadre puisse capter l'exaltation d'être (et de pouvoir faire) plutôt que l'ivresse d'une grandeur (qui découle de la gloire). Il n'y a rien de plus humain que le plaisir. Que ce soit dans les foules enthousiastes ou sur les visages enjoués des sportifs, le cadre regarde le plaisir d'exercer. Au point de mélanger les regards dans chaque scène. Il y a évidemment celui du cinéaste qui recherche le pacifisme et le rassemblement. Il y a celui des personnages, qui se nourrit de l'enthousiasme du public. Mais il y a aussi celui des spectateurs, invités à accompagner les protagonistes dans leur quête. Parfois même dans un montage métaphorique sur l'intégration des personnages à la société (et par extension à la nation).

© 1981 Twentieth Century-Fox

Évidemment Hugh Hudson ne s'arrête pas à la question du regard. Prôner le pacifisme ne va pas sans un certain caractère de la part des protagonistes. Pour parvenir à ce rassemblement et à cette intégration, le corps doit avoir une grande importance. Déjà parce que le récit parle de sportifs. Mais aussi parce qu'avec sa part de romantisme, Les Chariots de Feu a tout un parcours difficile à suivre. Ainsi, le cinéaste met en scène le corps dans l'engagement sans fin de Abrahams et de Liddell. Leur détermination guide le récit et la mise en scène. Grâce à cela, les regards sont témoins d'une certaine agonie en fin de course, de l'idée de l'abandon, de l'expression de la douleur, de la confession du stress. Le tout jusqu'à pouvoir détenir la victoire finale. L'évasion vers l'idéal est alors soumise au temps. Pour obtenir de tels rêves (sociaux et sportifs), il ne faut pas lésiner sur les efforts. Et c'est exactement ce que montre le film : entraînements après entraînements, courses modestes après courses modestes, il s'agit de chercher la perfection en mettant le corps à l'épreuve. Cependant, ces efforts ne relèvent pas uniquement du cadre sportif. Dans chaque échange les protagonistes prouvent leur détermination à parvenir à leur rêve. De 1919 à 1924, le corps cherche à s'imposer progressivement face aux interlocuteurs, face à ceux qui expriment des doutes ou des rejets, face aux obstacles du temps. Simplement parce que l'effort est un élément à maintenir vivant, jusqu'à ce que l'engagement ne soit plus la représentation d'une souffrance mais celle d'une libération.


3. Communier avec l'intimité


S'il y a bien un élément fondamental dans le film, c'est cette part de délivrance qu'expriment Abrahams et Liddell. Elle est possible grâce au sport qu'ils exercent (la fameuse évasion vers l'idéal). Mais surtout, elle est le portrait d'une intimité tourmentée et/ou émancipatrice. Le scénariste Colin Welland a porté toute son attention sur les vies privées et les caractères des protagonistes, davantage que sur les coulisses du sport. La toute première scène est une commémoration dans une église. Alors que le film aurait pu commencer avec cette célèbre course d'échauffement sur la plage (deuxième scène du métrage), Hugh Hudson et Colin Welland font le choix de la célébration de la personne, de l'hommage, de la nostalgie. C'est donc bien l'humain qui compte, davantage que le sport. Les Chariots de Feu concerne alors bien plus l'intimité que l'exploit sportif, parce que c'est vraiment dans le personnel qu'il y a beaucoup à construire et à prouver. Des analyses sociologiques et historiques du film parleraient d'identité et de valeurs anglaises à travers ces intimités. Mais qu'importe, la mise en scène de Hudson montre qu'il s'agit de faire des pas en avant dans l'affirmation de soi. A tel point que les décisions sportives de Abrahams et Liddell touchent respectivement la vie sentimentale et la famille. Si l'engagement est possible pour chacun des deux, c'est bien parce qu'ils sont entourés par de l'affection. Tout effort part d'une situation dans l'intimité, que ce soit à travers des échanges avec les proches ou l'exercice de la foi.

© 1981 Twentieth Century-Fox

Abrahams et Liddell trouvent leur force à partir de ces moments de leur vie quotidienne. Toutefois, la reconstitution de cette intimité n'est pas si anecdotique qu'elle n'y paraît. Il s'agit d'un film d'époque (sorti en 1981 avec un récit se déroulant dans les années 1920) où le soin apporté aux espaces et aux décors est très rigoureux. Dès les premières scènes, Hugh Hudson fait remarquer qu'il aime beaucoup les grands espaces (qu'ils soient intérieurs ou extérieurs) avec beaucoup de lumière. Qu'elle soit naturelle ou non (de grands lustres, un grand nombre de bougies, etc), elle expose toute la passion des personnages dans ce qu'ils entreprennent. C'est exactement ce qu'il faut pour des protagonistes qui rêvent en grand. Ils peuvent donc s'exprimer et créer leurs efforts dans des espaces qui s'ouvrent à eux, qui s'élargissent devant le cadre. Dans cette liberté qui s'offre à eux, l'effusion des détails d'une époque (notamment dans les intérieurs) est le portrait d'une société figée dans le temps. La présence de Abrahams et de Liddell permettent alors de bousculer légèrement tout cela, de perturber via leur intimité et leurs efforts une société qui a perdu la capacité de rêver. Sans jamais être isolés de ces décors, les protagonistes s'y connectent par leur feu intérieur et leur fragilité. Pas loin d'être aussi une nostalgie, cette reconstitution minutieuse et élégante est la marque d'une innocence intemporelle.


Sans aucune posture gênante alors qu'il parle de spiritualité, Les Chariots de Feu s'en sert uniquement pour aiguiser l'intimité et les efforts physiques. L'usage des ralentis prend alors tout son sens. Tout comme les cadences dans les musiques de Vangelis ont un sens très particulier. Si le film de Hugh Hudson est toujours retenu parmi les meilleurs films britanniques, c'est parce que la partition musicale est entêtante et marquante. La bande musicale de Vangelis a quelque chose de mystique, comme si la volonté est de créer une communion entre l'intimité et le sport. Les premières notes surprennent, avec cette musique électronique lorsque les coureurs s'échauffent sur la plage dans leurs maillots blancs et shorts blancs. Dans ce ralenti de l'image, il y a une grâce et une beauté qui se dégagent. Une telle musique en 1981 dans un film qui parle de sport, c'est l'expression même d'une magie cinématographique : celle de la dernière phrase entendue à la commémoration (« l'espoir dans nos cœurs, les ailes à nos talons »). Avec cette musique, nous ne sommes plus dans le domaine sportif, les personnages s'envolent vers une épopée intemporelle. À chaque apparition, la musique de Vangelis est telle l'évocation poétique d'un autre espace et d'un autre temps, où les individualités luttent entre croyance et sacrifices pour toucher à l'universel. Il y a même une musique dont le titre est très évocatrice : « He's an english man » est chantée et jouée tout en montrant des images d'Abrahams. Lorsque le scénario de Welland scrute l'intimité, lorsque la mise en scène de Hudson construit le romantisme et le pacifisme, la musique de Vangelis propulse l'ensemble dans des émotions pures. Et qu'y a t-il de mieux au cinéma que de pouvoir communier avec les rêves des personnages ? Que les hommes déploient leurs ailes, qu'ils courent vers leurs rêves, et que leurs efforts permettent d'atteindre la paix. Bien plus qu'une leçon de détermination, Les Chariots de Feu est une leçon de vie.


Teddy Devisme