[CRITIQUE] : Titane
Réalisatrice : Julia Ducournau
Acteurs : Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique, Thriller.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h48min
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2021
Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
Critique :
Il est toujours difficile après un premier long-métrage plein de promesse, de s'atteler au film dit de " confirmation ", ce second passage derrière une caméra visant à soit adoubé un talent certain, soit à - souvent injustement - le catapulter au rang de cinéaste lambda comme le septième art en dénombre beaucoup.
Ce qu'il y a de sur avec Julia Ducournau, c'est qu'après un magistral Grave, sa deuxième - et impétueuse - réalisation Titane, n'était pas tant faite pour confirmer une vérité que l'on savait déjà gravé dans le marbre de la certitude (elle est clairement un visage à suivre dans le cinéma de genre moderne), que pour foutre un solide coup de pied dans les valseuses d'attentes préconçues agissant comme une épée de Damoclès pachydermique et empoisonnante, sur toute liberté créative.
Et de liberté, Titane en jouit beaucoup autant qu'il en dévore, tel le moteur d'une muscle car qui siphonne la moindre goutte de son réservoir pour ne jamais perdre l'ivresse de la vitesse, et de la jubilation intense qu'elle procure.
Moins cannibale mais tout aussi féroce que son premier essai, Titane est une bande démente et sauvage d'une cinéaste en totale possession de ses moyens et de sa vision cinématographique (Cronenberg n'est jamais loin, Miike non plus), une fable moderne faite de chair et de métal (souvent) rutilant, entre le rejeton amoral de Crash et le drame social et intime (à forte tendance body horror avec une pointe de slasher, voire même une gémélitté improbable avec le méconnu Baby Blood d'Alain Robak !) profondément déstabilisant, scrutant les méandres d'une famille sérieusement dysfonctionnelle.
Catapulté dans les recoins sombres de l'âme humaine, là où les appétits les plus féroces se nourrissent, utilisant le corps humain comme un véhicule pour déconstruire les idées de genre et désir, le film démarre de manière savoureusement énigmatique, prouvant que Ducournau ne veut pas perdre une seule seconde pour abîmer ses personnages - et son auditoire - par le chaos.
On y découvre une jeune Alexia, ennuyée à l'arrière de la voiture familiale et incitant presque par les expressions de son corps, son père à perdre le contrôle.
Ce qui arrive, le véhicule s'écrasant contre un garde-corps en ciment, projetant durement l'enfant contre la fenêtre et nécessitant, pour sa survie, l'installation d'une plaque de titane vitale juste au-dessus de son oreille droite; un implant qui laisse penser qu'il incarne une vraie transformation pour Alexia, son impact semblant la briser autant que la renforcer (la première chose qu'elle fait en quittant l'hôpital est de courir vers le parking est d'embrasser la voiture qui l'a presque tuée).
Quelques dizaines d'années passent (elle est désormais incarnée par Agathe Rousselle, véritable révélation du métrage) et sa relation fétichiste/amoureuse avec les automobiles n'a fait que s'intensifier et devenir plus intime, au point qu'elle est devenue une danseuse à louer qui expose et tord son corps sur des bolides (tout en portant ses cheveux blonds hirsutes de sorte que la cicatrice de son implant soit toujours visible sur le côté de sa tête, comme si elle voulait que le monde est connaissance de bout de métal à l'intérieur d'elle), devant un public masculin passablement excité par le fiévreux spectacle; alors quelle retire un tout autre plaisir de cette fusion entre son corps et la taule (ce qui rapproche un brin, le film du brillant Jumbo de Zoe Wittock).
Sauf qu'Alexia est loin d'être la figure fragile et sans défense qu'on pourrait croire, elle en est même le parfait opposé : une tueuse en série vigoureuse dont les impulsions meurtrières - sans véritable motivation - sont aussi irréfléchies qu'incontrôlables.
Sa porte de salut pour échapper aux autorités est d'ailleurs tout aussi over-the-top : se raser - et de se briser - la tête, se bander les seins, cacher sa grossesse et assumer l'identité d'un petit garçon disparu depuis longtemps, nommé Adrien Legrand, dont le père Vincent (Vincent Lindon, tout simplement exceptionnel), pompier viril passablement détruit par cette disparition, est finalement capable d'ouvrir son cœur à quiconque franchit la porte...
Totalement consciente que l'époque demande une horreur non plus de narration, mais bien d'expérimentation et de sensations, tout en la ramenant avec puissance dans les 70s/80s, ou l'importance du corps et de la chair - auscultés sous toutes les coutures - étaient au premier plan (là encore, Cronenberg n'est pas loin, et encore plus dans la manière qu'ils ont de mettre des images sur leurs obsessions), Julia Ducournau fait de Titane un pur songe démentiel et pervers constamment logé entre clarté et folie, qui repousse volontairement ses limites jusqu'à la rupture pour brusquer et choquer - quitte à parfois nous pousser vers des réactions involontairement contradictoires.
Hybride jusque dans sa forme (trois actes bien distincts), son déséquilibre tonale assumé ainsi que son questionnement sur les notions d'identité, de normalité et de corps (le film mue, comme ses personnages), la péloche épouse les conventions hardcore du genre pour mieux aborder des considérations contemporaines universelles (la féminité, l'hétérosexualité, l'homosexualité, le transhumanisme, l'indépendance corporelle, le sexe et les relations/interactions humaines qui en découlent), mais aussi bouleverser par son histoire étrangement touchante entre deux êtres dévastés - aussi bien physiquement que psychologiquement - qui, malgré tout ce qui les séparent - même l'ADN - partagent un lien père-fils.
Fonctionnant à un niveau d'allégorie volontairement exagérée (de sorte que quiconque se plaint d'un manque de réalisme ou de crédibilité face a ce qu'il voit, est très loin de comprendre où Ducournau veut emmener le spectateur), Titane se veut comme une véritable messe noire techniquement léchée, de la photographie magnifiquement sensuelle et contrastée de Ruben Impens, au score baroque de Jim Williams.
Jouissif, foisonnant cinématographiquement et pétri de nuances et de sens (même s'il est, évidemment, pas exempt de maladresse), le second effort de Julia Ducournau, résolument plus à l'aise derrière la caméra (une mise en scène sûre et enlevée, avec quelques envolées De Palma-esque folles), impose l'idée que nous ne sommes pas toujours obligé de tout comprendre pour en prendre plein la poire, et son choc cinématographique, bourré jusqu'à la gueule d'images inoubliables et viscérales, en est l'exemple le plus probant.
Jonathan Chevrier
Acteurs : Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique, Thriller.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h48min
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2021
Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
Critique :
Hybride et fonctionnant à un niveau d'allégorie volontairement exagérée, #Titane se veut comme une messe noire foisonnante, jubilatoire et techniquement léchée, un songe démentiel et pervers constamment logé entre clarté et folie, et qui repousse ses limites jusqu'à la rupture. pic.twitter.com/GnhQzMuHiT
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 14, 2021
Il est toujours difficile après un premier long-métrage plein de promesse, de s'atteler au film dit de " confirmation ", ce second passage derrière une caméra visant à soit adoubé un talent certain, soit à - souvent injustement - le catapulter au rang de cinéaste lambda comme le septième art en dénombre beaucoup.
Ce qu'il y a de sur avec Julia Ducournau, c'est qu'après un magistral Grave, sa deuxième - et impétueuse - réalisation Titane, n'était pas tant faite pour confirmer une vérité que l'on savait déjà gravé dans le marbre de la certitude (elle est clairement un visage à suivre dans le cinéma de genre moderne), que pour foutre un solide coup de pied dans les valseuses d'attentes préconçues agissant comme une épée de Damoclès pachydermique et empoisonnante, sur toute liberté créative.
Et de liberté, Titane en jouit beaucoup autant qu'il en dévore, tel le moteur d'une muscle car qui siphonne la moindre goutte de son réservoir pour ne jamais perdre l'ivresse de la vitesse, et de la jubilation intense qu'elle procure.
Copyright Carole Bethuel |
Moins cannibale mais tout aussi féroce que son premier essai, Titane est une bande démente et sauvage d'une cinéaste en totale possession de ses moyens et de sa vision cinématographique (Cronenberg n'est jamais loin, Miike non plus), une fable moderne faite de chair et de métal (souvent) rutilant, entre le rejeton amoral de Crash et le drame social et intime (à forte tendance body horror avec une pointe de slasher, voire même une gémélitté improbable avec le méconnu Baby Blood d'Alain Robak !) profondément déstabilisant, scrutant les méandres d'une famille sérieusement dysfonctionnelle.
Catapulté dans les recoins sombres de l'âme humaine, là où les appétits les plus féroces se nourrissent, utilisant le corps humain comme un véhicule pour déconstruire les idées de genre et désir, le film démarre de manière savoureusement énigmatique, prouvant que Ducournau ne veut pas perdre une seule seconde pour abîmer ses personnages - et son auditoire - par le chaos.
On y découvre une jeune Alexia, ennuyée à l'arrière de la voiture familiale et incitant presque par les expressions de son corps, son père à perdre le contrôle.
Ce qui arrive, le véhicule s'écrasant contre un garde-corps en ciment, projetant durement l'enfant contre la fenêtre et nécessitant, pour sa survie, l'installation d'une plaque de titane vitale juste au-dessus de son oreille droite; un implant qui laisse penser qu'il incarne une vraie transformation pour Alexia, son impact semblant la briser autant que la renforcer (la première chose qu'elle fait en quittant l'hôpital est de courir vers le parking est d'embrasser la voiture qui l'a presque tuée).
Copyright Carole Bethuel |
Quelques dizaines d'années passent (elle est désormais incarnée par Agathe Rousselle, véritable révélation du métrage) et sa relation fétichiste/amoureuse avec les automobiles n'a fait que s'intensifier et devenir plus intime, au point qu'elle est devenue une danseuse à louer qui expose et tord son corps sur des bolides (tout en portant ses cheveux blonds hirsutes de sorte que la cicatrice de son implant soit toujours visible sur le côté de sa tête, comme si elle voulait que le monde est connaissance de bout de métal à l'intérieur d'elle), devant un public masculin passablement excité par le fiévreux spectacle; alors quelle retire un tout autre plaisir de cette fusion entre son corps et la taule (ce qui rapproche un brin, le film du brillant Jumbo de Zoe Wittock).
Sauf qu'Alexia est loin d'être la figure fragile et sans défense qu'on pourrait croire, elle en est même le parfait opposé : une tueuse en série vigoureuse dont les impulsions meurtrières - sans véritable motivation - sont aussi irréfléchies qu'incontrôlables.
Sa porte de salut pour échapper aux autorités est d'ailleurs tout aussi over-the-top : se raser - et de se briser - la tête, se bander les seins, cacher sa grossesse et assumer l'identité d'un petit garçon disparu depuis longtemps, nommé Adrien Legrand, dont le père Vincent (Vincent Lindon, tout simplement exceptionnel), pompier viril passablement détruit par cette disparition, est finalement capable d'ouvrir son cœur à quiconque franchit la porte...
Copyright Carole Bethuel |
Totalement consciente que l'époque demande une horreur non plus de narration, mais bien d'expérimentation et de sensations, tout en la ramenant avec puissance dans les 70s/80s, ou l'importance du corps et de la chair - auscultés sous toutes les coutures - étaient au premier plan (là encore, Cronenberg n'est pas loin, et encore plus dans la manière qu'ils ont de mettre des images sur leurs obsessions), Julia Ducournau fait de Titane un pur songe démentiel et pervers constamment logé entre clarté et folie, qui repousse volontairement ses limites jusqu'à la rupture pour brusquer et choquer - quitte à parfois nous pousser vers des réactions involontairement contradictoires.
Hybride jusque dans sa forme (trois actes bien distincts), son déséquilibre tonale assumé ainsi que son questionnement sur les notions d'identité, de normalité et de corps (le film mue, comme ses personnages), la péloche épouse les conventions hardcore du genre pour mieux aborder des considérations contemporaines universelles (la féminité, l'hétérosexualité, l'homosexualité, le transhumanisme, l'indépendance corporelle, le sexe et les relations/interactions humaines qui en découlent), mais aussi bouleverser par son histoire étrangement touchante entre deux êtres dévastés - aussi bien physiquement que psychologiquement - qui, malgré tout ce qui les séparent - même l'ADN - partagent un lien père-fils.
Copyright Carole Bethuel |
Fonctionnant à un niveau d'allégorie volontairement exagérée (de sorte que quiconque se plaint d'un manque de réalisme ou de crédibilité face a ce qu'il voit, est très loin de comprendre où Ducournau veut emmener le spectateur), Titane se veut comme une véritable messe noire techniquement léchée, de la photographie magnifiquement sensuelle et contrastée de Ruben Impens, au score baroque de Jim Williams.
Jouissif, foisonnant cinématographiquement et pétri de nuances et de sens (même s'il est, évidemment, pas exempt de maladresse), le second effort de Julia Ducournau, résolument plus à l'aise derrière la caméra (une mise en scène sûre et enlevée, avec quelques envolées De Palma-esque folles), impose l'idée que nous ne sommes pas toujours obligé de tout comprendre pour en prendre plein la poire, et son choc cinématographique, bourré jusqu'à la gueule d'images inoubliables et viscérales, en est l'exemple le plus probant.
Jonathan Chevrier