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[CRITIQUE] : Je veux juste en finir


Réalisateur : Charlie Kaufman
Acteurs : Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette, David Thewlis,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h14min

Synopsis :
Un road trip dans lequel Jake emmène sa petite amie pour lui présenter ses parents, qui vivent dans une ferme reculée. Mais après un détour surprise au cours duquel Jake abandonne son amie, la tension et la fragilité psychologique se mêlent à la terreur pure.




Critique :


Gageons que sans le génie scénaristique quasi-ovniesque de l'inestimable Charlie Kaufman, les loufoqueries si délicieuses qui incarnent les cinémas tout aussi inestimables de Spike Jonze et Michel Gondry, n'auraient certainement pas été reconnus aussi vite à leur juste valeur.
C'est une évidence même, sans les succès de Dans la Peau de John Malkovich et Adaptation pour Jonze, ou de Human Nature mais surtout Eternal Sunshine of The Spotless Mind pour Gondry; les deux bonhommes n'en seraient peut-être pas là ou ils sont aujourd'hui, à savoir deux des cinéastes les plus fascinants et décalés de ces deux dernières décennies.
Et n'oublions pas non plus, qu'il aura été l'artisan du premier passage derrière la caméra du désormais respecté George Clooney, avec le brillant script de Confession d'un Homme Dangereux...
Voir donc le Charlie revenir par la " petite porte qui devient grande " Netflix, un peu plus de quatre ans après le monumental Anomalisa, incarnait sans l'ombre d'un doute l'un des événements majeurs d'une rentrée ciné 2020, placée sous le signe de l'espoir après des mois de silence forcé.

Copyright Mary Cybulski/NETFLIX

Adaptation du roman éponyme d'Iain Reid, I'm Thinking of Ending Things transpirait déjà l'aura Kaufmanienne avant même que le cinéaste ne jette son dévolu dessus, mais force est d'avouer que sa transposition sur pellicule dépasse autant toutes les attentes que toutes les espérances des amoureux du bonhomme, tant elle incarne une tournée des grands ducs qui vous prend par les roupettes pour ne plus jamais les lâcher; un grand huit bizarre et retors dont on ressort aussi lessivé que conquis.
S'appropriant le thriller rêveur et philosophique de Reid pour mieux en faire une entité filmique surréaliste et singulière, loin d'être éloigné des cinémas bénis de Lynch et Buñuel, le métrage hypnotise autant qu'il dérange, obsède autant qu'il désoriente, le cinéaste larguant son auditoire tel un satellite gravitant sans le moindre contrôle, autour d'une planète Terre qui ne tourne pas très rond, mais de qui on ne peut absolument pas détourner le regard, et qui nous invite à scruter tous ses détails, pour voir comment il fonctionne.
On y suit avant tout l'histoire d'une étudiante - sans nom -, qui sort depuis six semaines avec un homme terne appelé Jake (Jesse Plemons) pour des raisons sur lesquelles elle ne peut pas vraiment mettre le doigt.
Elle s'en va avec lui, en voiture et sous la neige (sacrée mise en abyme surréaliste) rencontrer ses parents, une étape importante dans laquelle elle semble absente, comme avec à peu près tout le reste dans leur relation.
Cela signifie alors pour elle une longue, inconfortable et glaciale promenade à la ferme effrayante de ces vieux à la campagne, arrivant juste au moment où elle se rend compte qu'elle veut peut-être en finir avec Jake, ou même peut-être avec tout, ce qui lui donne une anti-épiphanie sur sa vie et la sienne, tant elle a un aperçu limpide et impartial d'une relation dans laquelle elle n'est pas engagée, et avec qui elle voit encore moins un avenir commun.

Copyright Mary Cybulski/NETFLIX

Un enchevêtrement inutile et arbitraire d'événements et de passages obligés dont elle ne veut pas, du coup, elle se sent de plus en plus obligée d'écouter cette petite voix aussi désespérée qu'alarmante, qui lui chuchote dans sa tête de tout arrêter, même si rompre est aussi inutile que continuer.
Doit-elle mettre fin aux choses d'une manière plus radicale ?

Peut-être...
De Dans la Peau de John Malkovich à Anomalisa, le cinéma de Kaufman vibre par l'intersection fragile sur laquelle l'esprit rencontre l'âme, cette volonté de vouloir rompre avec notre propre corps et même une existence face à laquelle nous sommes maudits, appuyé par une grammaire cinématographique semblant elle-même atteintes de troubles obsessionnels compulsifs (nombreuses répétitions, tics sonores parfois - volontairement - irritants,...).
Sans le moindre artifice putassier, Kaufman réussit à rendre son "cauchemar" encore plus effrayant qu'à l'accoutumée, tant il fait grimper crescendo sa terreur comme une gangrène qui s'immisce insidieusement sur tous les bords de la pellicule, dans le moindre silence trop long pour ne pas provoquer de malaise, dans le moindre regard soutenu qui désespère de récolter une réaction ne serait-ce qu'un brin salutaire.
Une inquiétude constante qui prend tour à tour les contours d'une rhapsodie poignante, triste et d'une étrangeté imprévisible.
Dansant langoureusement avec le drame saisissant tout en flirtant parfois avec la comédie pure et simple, le cinéaste crée une nouvelle strate dans sa mise en images de la dépression implacable et destructrice, et de la solitude abyssale qu'elle engendre, à peine bercée par un monde alternatif de mélancolie et de tension, ou l'anxiété et la panique sont réprimées à chaque seconde.
Hermétique même pour les néophytes (le film est réellement dépourvu d'explication et d'exposition), le film n'est rendu facile au fond que par la performance incroyablement expressive et charismatique de Jessie Buckley, phare de lumière au coeur d'un récit ancré dans l'obscurité et l'ambiguïté, une femme à la dérive dans un mauvais rêve qui n'est pas le sien.

Copyright Mary Cybulski/NETFLIX

Tout en subtilité, elle capture le fondement même de tout personnage Kaufmanien, enlacé dans un cocon tragicomique et humain, rendant toute complexité si ce n'est plus simple, au moins compréhensible.
Elle rend merveilleusement la pareille à un Jesse Plemons (leur tandem à une alchimie charmante proprement inimitable) qui n'est pas loin de trouver sa meilleure performance à ce jour, sorte de feu d'artifice émotionnelle qui peut être doux, terrifiant et déchirant à la fois.
Loufoque, se servant de l'étrange et de la singularité pour mieux déloger la sensibilité de son vagabondage fascinant et imprévisible, à la manière d'un songe Lynchien, Je veux juste en finir aligne les ruptures de tons et donne l'impression de ne jamais avoir totalement démarré tout en ayant tout dit sur un tout petit peu plus de deux heures qui n'auront aucun mal à larguer le spectateur le moins patient/assidu.
Pour les autres - dont nous -, giflés par ce flot incessants de pensées, on est pas loin d'un chef-d'oeuvre, clairement.


Jonathan Chevrier