[CRITIQUE] : The Brutalist
Réalisateur : Brady Corbet
Acteurs : Adrien Brody, Guy Pearce, Felicity Jones, Alessandro Nivola,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Drame.
Nationalité : Britannique, Américain, Hongrois.
Durée : 3h34min
Synopsis :
Fuyant l’Europe d’après-guerre, l’architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il formait avec sa femme Erzsébet, que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre ont gravement mis à mal.
Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où l’éminent et fortuné industriel Harrison Lee Van Buren reconnaît son talent de bâtisseur. Mais le pouvoir et la postérité ont un lourd coût.
Critique :
Entre Wells & Cimino, Corbet fait de #TheBrutalist une audacieuse plongée dans la 2nde moitié du siècle court, une odyssée grandiose s'extirpant des ténèbres de la guerre vers la lumière loin d'être rédemptrice de l'American Dream, dont il déconstruit férocement le mythe édénique pic.twitter.com/k7HL2lfuZF
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) February 10, 2025
Son deuxième effort, Vox Lux, avait déjà exprimé cette affirmation ambitieuse telle une profession de foi gravée dans le marbre de la pellicule : oui, Brady Corbet n'est pas là pour compter les jonquilles et pour lui, le cinéma est une affaire de passion et d'ambition, d'audace et de grandeur.
Soit son cinéma est fait pour bouffer l'écran de toute part, pour nous emporter par sa vision brutale et pleine de sens, soit il ne sera point.
Et son The Brutalist, qui n'a pas volé son titre (et qui est co-écrit avec son épouse, la toute aussi talentueuse cinéaste Mona Fastvold), est de ses œuvres anti-spectaculaires à la puissance débordante, de celles qui nous font aimer le cinéma tant elles sont à la fois hors du temps et des normes, tant elles sont capables de nous émerveiller tout autant que d'aller droit au but avec une précision et une pertinence rares.
Un cinéma au carrefour des influences éclectiques, jamais dévoré par celles-ci puisqu'elles y sont totalement encaissées, digérées et réappropriées, des outils précieux d'une fresque tout aussi sombre que lumineuse au parti pris radical : plus de trois heures et demie de bobine - entracte à la clé -, tournée en VistaVision (70mm) et où Corbet repousse ses ambitions esthétiques et scénaristiques jusqu'à leurs extrêmes.
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Il y a du Wells, évidemment, qui se dégage de cette audacieuse plongée dans la seconde moitié du siècle court, entre le traumatisme persistant de l'Holocauste et les vestiges chimériques d'années 80 où tout apparaissait possible, vissée sur l'odyssée intime de l’architecte juif László Tóth, qui a émigré de Hongrie aux États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Mais il y a aussi et surtout du Cimino qui gronde derrière cette manière totalement décomplexée que peut avoir Corbet de développer de sa vision pleine d'ampleur, derrière cette nature à vouloir intimement lier, dans une sorte de miroir qui va bien au-delà de sa mise en scène follement organique, l'intime au collectif, le personnel à l'universel - notre histoire - et ce dans toutes les directions artistiques possibles.
À travers le parcours de Tóth, qui a littéralement tout sacrifié (plusieurs amitiés, son mariage et même lui-même) pour son art et l'idée de laisser une trace indélébile sur une terre d'accueil dont il a cru à son trompeux rêve (au point d'être possédé par cette chimère, et encore plus par ceux qui la véhicule), c'est tout une déconstruction lucide de l'américanisme qu'il dépeint (et ce dès une ouverture follement révélatrice, avec cette Statue de la Liberté, symbole même de la liberté, jamais cadrée dans toute sa grandeur et continuellement déformée), de son engouement savamment manipulé qui ne peut masquer sa barbarie tout autant que son désir irrépressible d'argent et de toute-puissance.
Mais The Brutalist a beau être à charge, a beau s'attaquer avec fureur à l’effondrement du mythe édénique de l’Amérique, son voyage des ténèbres vers une lumière loin d'être rédemptrice, n'oublie pas non plus que l'obscurité n'en est pas moins furieusement présente dans le Vieux Continent, terreau du fascisme qui s'est lentement engouffré, après avoir panser ses blessures de guerre, dans le capitalisme débridé des 50s; une Europe qui ne vit pourtant jamais totalement à l'écran, comme si elle était enfermée dans l'inconscient caché d'un homme tourmenté, qui refuse de la voir tapis dans l'ombre de son espoir d'une vie meilleure.
Mais l'horreur comme le mal, est partout et avant tout et surtout, en chacun de nous.
Sa réflexion sur l'art et l'ambition auprès de Tóth (la plus belle partition d'Adrien Brody à ce jour) nourrit d'ailleurs avec la même idée de miroir, sa réflexion sur son propre art et sa propre ambition, Corbet étant au fond comme son sujet, l'artiste conscient du désastre, la victime consciente du Capital (Hollywood dont le moteur capitaliste détruit le cinéma lui-même, en ne conservant de lui que ce qu’il veut et ce dont il a besoin - littéralement, tout ce qui fonctionne - avant de s’en débarrasser) avec qui il est en conflit par l'expression de son talent et de son art, mais qui le sert par celui-ci, dans le même mouvement.
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Mais réduire le film à ses puissantes pistes serait presque réducteur, tant il aborde avec minutie une pluie de thématiques sans jamais les marteler à la face du spectateur : le cinéma comme dit plus haut, ainsi que la prise en grippe du capitalisme et de l'américanisme donc, mais il traite aussi d’immigration, d’addiction, d’inégalité - pas uniquement de classe - où même l'idée, encore une fois en rapport à l'art, que l'humanité favorise la fonction de toute chose à l'expression de l'esprit derrière.
Exigeant, percutant et, peut-être, gentimenr prétentieux (ce qui n'est pas un mal quand on a, comme ici, les moyens et le talent pour répondre à ses prétentions), The Brutalist n'en est pas moins plus qu'une simple œuvre de cinéma, c'est une expérience bigger than life parce un cinéaste mué par la même pureté d'instinct créatif et la même conviction débordante que son personnage principal, un bâtisseur tout autant qu'un destructeur de sa propre existence.
Tout n'y est pas parfait (on ne fera sans doute pas mieux, cette année, que sa merveilleuse et nerveuse première partie, là où la seconde embrasse un peu trop franchement ses élans mélodramatiques), mais le septième art ricain n'est jamais aussi beau et important que lorsqu'il laisse exploser toute sa grandeur.
Une rareté, ces dernières années...
Jonathan Chevrier