[CRITIQUE] : Le Cas Richard Jewell
Réalisateur : Clint Eastwood
Acteurs : Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Jon Hamm, Kathy Bates, Olivia Wilde,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h10min.
Synopsis :
En 1996, Richard Jewell fait partie de l'équipe chargée de la sécurité des Jeux d'Atlanta. Il est l'un des premiers à alerter de la présence d'une bombe et à sauver des vies. Mais il se retrouve bientôt suspecté... de terrorisme, passant du statut de héros à celui d'homme le plus détesté des Etats-Unis. Il fut innocenté trois mois plus tard par le FBI mais sa réputation ne fut jamais complètement rétablie, sa santé étant endommagée par l'expérience.
Critique :
Porté par un script à l'équilibre certes précaire mais virtuose, #LeCasRichardJewell est un solide et captivant drame, Clint Eastwood sublimant autant son portrait intime d'une figure héroïque (malgré elle) sous pression, que son regard désabusé d'une nation procédurale en péril. pic.twitter.com/tB2h3mHzrQ— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) February 6, 2020
Depuis toujours, le grand Clint Eastwood s'est passionné pour les petits héros du quotidien tutoyant du bout des doigts le symbolisme d'une Amérique fière et affreusement patriotique, glorifiant ses héros finalement aussi vite qu'elle les recrache.
C'est même ce qui fait, en partie, la saveur de son cinéma en tant que metteur en scène, et sa faculté d'offrir un regard acéré et juste sur le monde qui l'entoure, et encore plus une Amérique à l'agonie.
On avait laissé le bonhomme il y a quasiment un an tout rond avec le brillant La Mule, tragédie purement Eastwoodienne captivant autant dans sa belle simplicité (une vision pleine de vérité de la middle class Américaine, en pleine souffrance, autant des fêlures qui habitent et fragilisent de plus en plus le pays de l'Oncle Sam) que dans sa complexité et son pendant follement méta, croquant le voyage - inspiré de faits réels - pétri de tendresse d'un octogénaire s'accrochant à la vie et désireux de s'offrir, même dans l'illégalité, une certaine rédemption et un baroud d'honneur plein de panache.
Toujours en forme, il nous revient avec un nouvel héros comme il les aime, Richard Jewell, en contant son histoire douloureusement vraie : celle d'un agent de sécurité célébré pour avoir sauvé des centaines de vies durant l'attentat aux Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996, avant d'être jeté en pâture à l'Amérique lorsque la presse en a injustement fait le suspect numéro un de cet acte criminel.
Sans prétention mais avec un regard assurément vif et loin d'être flatteur sur la manie des médias à lyncher publiquement sans réel fondement, le cinéaste dresse le portrait intime d'un homme triste - dans tous les sens du terme -, une examination frontale qui n'est pas sans rappeler, autant dans le fond comme dans la forme, son récent Sully, au sujet similaire - un homme ayant réalisé un acte de bravoure extraordinaire, qui se voit vite atomisé par la presse et les autorités.
Défense inquiète mais solide d'un homme innocent, Le Cas Richard Jewell suit la même trajectoire dramatique que Sully, à ceci près que sa charge est définitivement plus puissante contre la fébrilité du quatrième amendement autant que sur l'imprudence et l'immortalité d'une presse rarement aussi attaqué, tant Eastwood opère une dérogeance furieuse qui tranche clairement avec la pensée véhiculée depuis toujours - ou presque - par Hollywood, la présentant comme une institution noble et essentielle au bien-être de la démocratie.
Autrefois conçu comme un véhicule à statuettes dorées pour Jonah Hill, la péloche gagne pourtant grandement en intérêt avec la présence moins populaire - mais pas moins talentueuse - de Paul Walter Hauser (découvert dans la merveilleuse Kingdom), dont l'aura anonyme (pour le grand public) et le traitement entre grandeur - mesurée - et glorification de l'ordinaire, en font un personnage tout droit sortie des péloches du légendaire Preston Sturges.
Un loser magnifique et assumé, dont on ne masque pas le potentiel borderline (en en faisant une potentielle bombe à retardement en marge de ses contemporains, menaçant d'exploser à tout moment), tout autant que son pendant d'une tristesse abyssale, un fils à maman à la vie sentimentale fantomatique, un étudiant dévoué du droit américain qui passe son temps entre les salles de jeux vidéos, une multitude de boulots qu'il n'arrive pas à garder mais aussi et surtout un stand de tir, ou il affûte son impressionnante collection d'armes.
Un homme jamais destiné à laisser sa marque dans l'histoire mais qui, par la force des choses, va le faire le soir du 27 juillet 1996 de part une action zélée mais essentielle et rapide, qui empêchera de nombreuses autres personnes d'être blessées ou tuées.
Mais les acclamations vont vite se calmés, et suite à l'appel d'un ancien patron mécontent de sa personne, l'idée - fausse - de la machination d'un inadapté (créer une tragédie pour en récolter les louanges et être intronisé en sauveur de la nation), il va devenir l'ennemi public numéro un et la cible d'un agent du FBI ayant reçu les faveurs d'une journaliste d'Atlanta, pour mieux orchester une manipulation inhumaine.
Un enfer constant et indésirable, entre lynchage dans les médias et une présence étouffante du FBI à la maison, ou l'on efface un nom et une vie au profit d'un bon profil, d'un suspect idéal indiscuté parce que validé par la vox populi.
Fort heureusement, et grâce à un mea culpa aussi timide que logique (il ne pouvait pas physiquement être l'auteur de l'attentat), la réalité sera rétablie trois mois plus tard, mais le mal était déjà fait depuis bien longtemps...
Captivant dans sa belle complexité même si un poil trop bavard (voire un brin vaporeux, surtout dans son dernier tiers), dominé par un script à l'équilibre certes précaire mais virtuose, tout en étant classique et totalement focalisé sur ses personnages, Le Cas Richard Jewell est un solide drame pertinent et intelligent, formidablement interprété (Hauser, Sam Rockwell, Jon Hamm, Olivia Wilde et Kathy Bates sont impeccables), transcendant autant son portrait intime d'une figure héroïque - malgré elle - sous pression, que son regard désabusé d'une nation aussi procédurale qu'elle est douloureusement en péril; une vision qui fait écho aux notions présentes dans ses films précédents, sur l'écart entre les idéaux américains et la réalité plus troublante de la vie.
Peut-être pas un Eastwood majeur mais, indiscutablement, l'un des meilleurs films de ce riche début d'année ciné 2020.
Jonathan Chevrier
Après un détour intimiste avec The Mule l’année dernière, l’increvable Eastwood revient avec Le Cas Richard Jewell s’attardant sur l’homme ayant déjoué l’attente du parc du Centenaire durant les Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. Au travers de ce récit, le cinéaste poursuit son autopsie du héros américain entamé avec son American Sniper 2014, continué par la suite dans Sully et Le 15 h 17 pour Paris.
Contrairement à ses prédécesseurs, Le Cas Richard Jewell scrute l’inadéquation de l’image du héros. Là ou American Sniper et Le 15 h 17 mettaient en scène des militaires et Sully un pilote de ligne, Richard Jewell est un homme banal. Cet aspirant policier est rondouillard, vivant encore chez sa mère, aimant un peu trop les armes à feu. Bref, il est une figure plus poreuse, moins évidente et par conséquent le coupable idéal.
Eastwood, au travers d’une poignée de scène, parvient a planter les tenants et aboutissants de son personnage, sa frustration de ne pas être un « vrai » policier, tout autant que ses failles comme lorsqu’il dépasse les limites de ses fonctions en tant que simple gardien d’université. On entre en empathie pour Richard, tout en assimilant l’excès qui l’habite dans cette volonté de redevenir cette image trônant dans le salon de sa mère.
Mais, ce que trouve le cinéaste sous le vernis de cette affaire ; et qu’il met en exergue, c’est la force de destruction des médias. Qui vient, ici, littéralement — et métaphoriquement, s’accoupler avec une incarnation de la Justice, le FBI. Eastwood fait de ce "mariage", le véritable terroriste, celui qui s’introduit dans l’intimité, la viole sans impunité ou excuse. Dès lors, Richard Jewell et sa mère, Bobi, deviennent des dommages collatéraux qu’Eastwood met en lumière pour mieux pointer, souligner, marteler encore et toujours les faiblesses de l’Amérique.
Ce n’est pas tant les institutions que critique le réalisateur, mais bien le pouvoir qui enivre ses représentants. Car, Le Cas Richard Jewell est un grand film sur la frustration. Celle de Richard est la plus évidente, mais, l’agent du FBI, campé par John Hamn, rêve de quelque chose de plus excitante que surveille un parc. Quant à a journaliste, incarnée par Olivia Wilde, elle est lassée par l’actualité peu palpitante d’Atlanta. De cette frustration émerge l’erreur, la journaliste saute sur le scoop sans examiner les faits, l’agent du FBI voit l’occasion de briller dans sa hiérarchie. Dans une époque gangrenée par les fake news, Eastwood martèle l’importance des faits, de la vérification, de l’exigence qui incombe a ces institutions dont la force de frappe est meurtrière.
Cette nouvelle variante d’un même thème se démarque plus encore par l’émotion qui vient progressivement envelopper le récit. Au travers principalement de Bobi Jewell, magistralement campée par Kathy Bates, qui prend de plein fouet les accusations sur son fils, voyant sa vie basculer et luttant pour maintenir la tête hors de l’eau. Son discours face à la presse, malgré la conventualité du procédé, prend à la gorge. Mais, alors que pendant les deux tiers du métrage, Richard encaisse les coups sans répondre, ne cessant de justifier les actions le visant, le personnage va finalement laisser apparaitre son émotion face à ces attaques dans une poignée de scène touchante.
Ainsi, Clint Eastwood continue son autopsie du héros américain, en plaçant en son centre une figure plus poreuse créant une inadéquation entre la splendeur héroïque et l’intimité de l’homme. Dès lors, l’œuvre capte les dommages collatéraux de la violence d’un regard.
Thibaut Ciavarella
Affaire historique et passionnante, Le Cas Richard Jewell retrace l’attentat qui a eu lieu à Atlanta, Géorgie, le 27 juillet 1996, en pleins Jeux Olympiques. Une bombe, au sens littéral comme figuré, qui a retourné les Américains et a transformé l’agent de sécurité Richard Jewell tour à tour en héros national et en traître à sa patrie. Cette histoire a tous les ingrédients d’un grand film de Clint Eastwood. Et pourtant, quelque chose ne colle pas.
Pourtant, le premier tiers du film démarre bien : enlevé, avec une présentation rapide et efficace du personnage de Richard Jewell, de sa situation d’homme blanc trentenaire vivant chez sa mère à ses échecs professionnels successifs, qui n’entament pourtant pas sa détermination à rejoindre les forces de l’ordre des États-Unis. Sa rencontre avec Watson Bryant, qui deviendra par la suite son avocat, est plutôt touchante et bien amenée. Ce personnage, dont la gouaille n’est pas sans rappeler Saul Goodman, est interprété parfaitement par le sympathique Sam Rockwell, qu’on a eu le plaisir de voir un mois plus tôt dans le Jojo Rabbit de Taika Waititi.
L'ambiance de cette fameuse soirée Centennial Olympic Park, le soir du 27 juillet 1996, est très bien retranscrite : la foule, l’allégresse, mais aussi la panique succédant à l’indolence quand Richard Jewell trouve le sac à dos suspect et commence à avertir les policiers sur place, tout laisse le spectateur sur le bord de son siège, dans l’attente du drame. La panique montante est très bien mise en scène jusqu’à l’explosion qui sera fatale à deux personnes, mais dont les dégâts ont été limités grâce, justement, à l’intervention de Jewell. Cependant le reste du film se montre moins dynamique dans sa mise en scène, et la tension ne remontera plus après cette explosion.
L’un des points noirs du Cas Richard Jewell est le trop-plein de scènes bavardes, consacrées à l’auto-appesantissement du personnage principal ; si l’injustice que subit Richard Jewell est effectivement tragique, l’abattement dans lequel il est plongé est parfois poussif et se fait au détriment de l’action, qui peine à décoller suite aux accusations auxquelles il fait face. L’acharnement de la police à faire de lui le poseur de bombes est intéressant, pas seulement parce qu’elle fait de lui une victime - après tout, nous sommes dans une enquête de terrorisme, il est logique qu’il soit suspecté - mais par le manque d’objectivité dont les agents font preuve : en effet, fiévreux de prouver la culpabilité de Jewell, les policiers orientent leurs recherches et leurs interrogatoires, en omettant des pistes très évidentes qui auraient pu écarter leur suspect. Au contraire, ils ajustent leurs indices en fonction de leur théorie, une méthode dangereuse qui annule l’objectivité de l’enquête, ce qui est parfaitement montré par Clint Eastwood.
En revanche, Eastwood ne fait finalement pas grand-chose du personnage de Jewell, ne distille aucun doute sur sa personnalité ou sa psychologie. Une fracture s’opère alors dans notre relation avec lui : car présenter un personnage qui est la caricature de l’Américain moyen, blanc, en surpoids, obsédé par la défense de sa patrie au point d’avoir une bonne vingtaine d’armes à feu dans sa chambre, mais sans aucun recul critique, et au contraire une certaine révérence, pose problème. Difficile de s’attacher à ce héros malgré lui, dont la simplicité semble confiner parfois à la bêtise. À travers Richard Jewell, on devine le message du réalisateur et sa défense du bon Républicain, honnête, gentil, dévoué à l’État et au Deuxième Amendement. À quelques mois des élections présidentielles américaines, ce portrait faisant preuve d’une criante absence de remise en question laisse songeur.
D’autant plus qu’il s’accompagne d’une critique violente - et un brin facile - des médias, à travers la frénésie des journalistes qui suivent partout la police, Richard Jewell et Watson Bryant, leur comportement harcelant, leurs articles et reportages remplis d’exagérations qui tournent en boucle… Et surtout, la terrible représentation du personnage de la journaliste Kathy Scruggs. Si j’ai été, à titre personnel, interpellée par le fait que le seul personnage féminin du film - exception faite du personnage de la mère de Richard Jewell, Bobi, jouée par Kathy Bates - soit montrée comme une femme odieuse et manipulatrice, qui n’hésite pas à utiliser son corps pour obtenir des tuyaux de la police, les proches de Kathy Kruggs et ses défenseurs se sont insurgés contre son incarnation par Olivia Wilde dans Le Cas Richard Jewell. Si Kathy Kruggs était bel et bien une journaliste déterminée, qui fumait, buvait et jurait à l’envi, il n’y a cependant jamais eu la moindre preuve qu’elle ait couché avec qui que ce soit pour obtenir des informations. Elle était, par ailleurs, considérée comme une excellente journaliste par le chef de la police d’Atlanta, Beverly Harvard. Elle n’aurait jamais, selon ses proches, fait preuve de malhonnêteté intellectuelle pour faire du sensationnalisme, et ses articles indiquant que Richard Jewell était suspecté par la police s’en tenaient aux faits les plus stricts toujours selon ses défenseurs - ce qui n’est pas forcément montré dans le film de Clint Eastwood. Par ailleurs, Kathy Kruggs est décédée depuis 2001, et n’est plus là pour se défendre… Cette représentation semble donc être un parti pris du réalisateur, sans réel fondement, qu’on soupçonne teinté de misogynie...
Ainsi malgré le jeu très juste du casting, et en particulier de Sam Rockwell, Le Cas Richard Jewell peine à laisser une impression durable : trop de clichés dans les dialogues, un personnage principal vraiment peu sympathique, et un sous-texte un peu trop réac’ rendent cette passionnante histoire vraie trop lisse, trop Républicaine et finalement peu intéressante.
Victoire