[CRITIQUE] : Les Eblouis
Réalisatrice : Sarah Suco
Acteurs : Camille Cottin, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca, Céleste Brunnquell, ...
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français
Durée : 1h39min
Synopsis :
Camille, 12 ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement. La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire. Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et sœurs.
En mettant le doigt sur le sujet de la manipulation d’une manière très juste et en déjouer les pièges du manichéisme, #LesEblouis se fait un objet de cinéma intéressant, l’histoire inquiétante et prenante prenant joliment le pas sur ces quelques défauts evidents (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/aLvikD4g2s— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) November 21, 2019
Nous avons pu voir Sarah Suco cette année dans Les Invisibles notamment, dans la peau d’une jeune fille à la rue, elle nous revient derrière la caméra cette fois, avec Les Éblouis qu’elle a écrit et réalisé. Un premier long-métrage très personnel, inspiré de fait réel, car la réalisatrice a vécu pendant dix ans dans une communauté religieuse à tendance sectaire. Elle a voulu en faire un film nuancé, éviter toute colère et surtout prendre du recul vis à vis de son histoire, elle a donc co-signé le scénario avec Nicolas Silhol (à qui l’on doit Corporate). Son souhait était de se détacher de tout élément de docu-fiction et faire un long-métrage purement cinématographique. Elle a refusé toute charge contre ces communautés, tout en montrant cependant les dérives souvent sectaire et les dégâts que cela peut engendrer, sur des adultes vulnérables, mais aussi et surtout, sur des enfants qui n’ont rien demandé.
Les Éblouis prend son titre au pied de la lettre pour son ouverture et nous montre Camille (Céleste Brunnquell), la fille aînée des Lourmel effectuer un numéro acrobatique dans son école de cirque. Toute de paillette vêtue, c’est avec fierté qu’elle vient à la rencontre de ses parents. Une fracture se crée déjà cependant avec eux, surtout avec sa mère Christine (jouée par Camille Cottin), qui semble mal à l’aise et préfère rentrer. L’arrivée dans la communauté se fait sans crier gare. Des plans de la famille Lourmel au grand complet, avec leur quatre enfants, sortant d’une messe. Un repas convivial, un week-end à la campagne. Le film ne nous prévient pas du danger et le spectateur ne se méfie pas. Tout à l’air normal et nous avons l’impression de voir une famille dans laquelle la religion prend de la place. Aucune raison de s’inquiéter. Nous avons là une technique de séduction invisible, mise en place par la plupart des sectes. Un rouage bien huilé. Vient ensuite l’emprise, le moment où l’innocent chef de la communauté, plus communément appelé Le Berger (Jean-Pierre Darroussin) décide de faire arrêter l’école de cirque à Camille, sous peine de ne pas accepter la famille dans sa communauté. Une raison toute simple : elle venait de répéter un numéro de Clown pour présenter à son école devant la paroisse, une façon pour lui de voir sa trop grande liberté face à son art. Les parents acceptent le deal, Camille arrête son école et ils s’installent tous au sein de la communauté. Il ne reste qu’au Berger de les éloigner totalement de leur famille proche (en l'occurrence, les parents de Christine), allant jusqu’à faire déterrer un faux souvenir d’abus sexuel grâce à une prière (procéder qu’il a utilisé avec bon nombre de femme de la communauté, comme le découvrira Camille). Les Lourmel étant maintenant sous sa coupe, il est facile d’user des autres procédés pour les maintenir dans son cercle : l’infantilisation, le chantage, tout pour qu’ils restent dans un état de soumission, avec Dieu comme unique prétexte.
Les parents font leur choix, biaisé en l'occurrence, mais restent des adultes. Les Éblouis décide de s’intéresser au sort de ces enfants, qui eux subissent les conditions d’une secte, sans l’avoir choisi, pendant un moment où l’éducation et le développement sont primordiaux. Dans le film, Camille qui n’a seulement quatorze ans, doit quitter brutalement le monde de l’adolescence, et ses petits problèmes, pour prendre à bras le corps la situation dans laquelle ses parents se sont embrigadés. La facilité avec laquelle les Lourmel se sont soumis à la communauté est sidérante, mais ce qui l’est encore plus, est la façon dont ils ferment les yeux sur les abus et la maltraitance que subissent leurs propres enfants. Un de ses frères est enfermé dans le noir après s’être perdu en forêt, ils restent seuls pendant un long-moment lors de la retraite spirituelle de leur parents, laissant à Camille le soin de prendre soin de ses deux frères et sa petite sœur de deux ans (alors qu’elle n’a que quatorze ans nous le rappelons). Sans oublier les abus sexuels qui va de paire dans ce genre de secte, car malheureusement quand on parle de pouvoir, tous les moyens sont bons pour en profiter sur les plus faibles, les plus précaires.
On aurait aimé un peu plus de conviction, d’identité via la mise en scène, qui se contente de raconter son histoire sans prise de risque (même si la caméra capte parfois le regard pénétrant de Céleste Brunnquell). Heureusement pour le film, l’histoire inquiétante et prenante prend le pas et nous en oublions presque tout le reste. Car la réalisatrice a su mettre le doigt sur la manipulation d’une manière très juste et a su déjouer les pièges du manichéisme.
Laura Enjolvy