[ENTRETIEN] : Entretien avec Nathan Ambrosioni (Les enfants vont bien)
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| Copyright 2024 - Manuel Moutier – Chi-Fou-Mi Productions / StudioCanal |
Les enfants vont bien, dit le nouveau film du jeune réalisateur Nathan Ambrosioni. « Le cinéma français aussi », avons-nous envie de rajouter, avec autant de talent au scénario que derrière la caméra. Nous ne pouvions donc pas refuser une rencontre avec cette personnalité de talent, surtout dans le cadre d’un festival aimant tant la francophonie que le FIFF.
Parler de la famille est quelque chose qui me passionne car la mienne a connu des très hauts et des très bas. - Nathan Ambrosioni
D’où est venue l’idée pour ce nouveau film ?
En 2019, je comprends que c’est possible de disparaître, qu’on a le droit à l’oubli en France et je trouve ça assez fou. Ça me reste en tête pendant tout ce temps, avec un plein de colère et d’incompréhension. À force d’y penser, cela finit comme tout : ça s’apaise, ça se rationnalise et ça fait écho à plein de choses qui sont assez personnelles. Ma sœur est partie à l’autre bout du monde et n’est jamais revenue par exemple. On se parle toujours mais elle vit désormais en Nouvelle-Zélande. Parler de la famille est quelque chose qui me passionne car la mienne a connu des très hauts et des très bas. Il y avait ce sujet des disparitions volontaires, cette envie de retravailler avec Camille, de parler de quelque chose de très personnel comme notre rapport à la famille, la fatalité de ce lien, la complexité de la maternité et tous ces ingrédients ont fait Les enfants vont bien.
Je trouve la façon dont tu filmes la disparition de la mère très juste : on ne voit pas son visage lors de sa première apparition, il y a ce plan miroir dans la douche où elle commence à s’effacer, ce plan où elle chante Petula Clark où elle se trouve dans l’ombre, … Comment as-tu travaillé ta mise en scène pour appuyer cette disparition progressive ?
Je voulais que le personnage de Suzanne soit un fantôme qui habite tout le film. C’était très important pour moi que sa présence envahisse chaque image du film. Je voulais qu’elle ne soit déjà pas là quand elle est présente et quand elle n’est plus là, qu’on ne parle plus que d’elle. C’est ça le film finalement : elle est là et inaccessible, derrière une porte, à travers une vitre, un miroir. Avant même qu’on puisse essayer de la comprendre, elle s’en va et on ne la comprendra peut-être jamais. Il faut voir le film pour savoir si elle revient ou pas mais je te laisse ne pas spoiler (note du rédacteur : c’est promis !). On est avec ceux qui restent, qui n’ont pas compris et ne comprendront peut-être jamais. C’est pour ça qu’une fois qu’elle est partie, j’avais envie de filmer de loin, à travers les vitres, comme si c’était peut-être elle qui les observait tout en sachant pertinemment que ce n’est pas possible, qu’elle n’est pas dans le jardin à les regarder manger. Mais peut-être que le spectateur pensera à elle comme ça. Il fallait trouver le moyen que Suzanne habite le film et ça devait passer par la mise en scène vu qu’elle n’a pas de dialogues et qu’elle n’est pas là à l’image.
Tu filmes aussi la partie administrative de manière brillante comme la police, l’école, la justice, toutes ces institutions qui ne savent pas comment gérer cette situation au vu de sa légalité comme tu l’as souligné.
C’est pour ça que ça me passionnait aussi : quand j’ai commencé à faire mes recherches plus précises en 2022, j’ai contacté une assistante sociale, trois policiers, une juge aux affaires familiales, une psychologue pour enfants, plein de corps de métiers liés d’une manière ou d’une autre aux disparitions volontaires. Je me suis rendu compte que tout le monde peut disparaître. Quand j’en ai parlé aux policiers en expliquant la situation du film, ils m’ont tous dit qu’ils ne pouvaient effectivement rien faire car, même si elle a des enfants, elle les dépose chez sa sœur, ce qui n’est donc pas un abandon. Quand je leur ai demandé comment ils pouvaient être sûrs que ce n’était pas suspect, ils ont répondu que ce n’est pas le cas si elle a laissé une lettre et qu’ils pouvaient se contenter de ça. Je trouvais ça assez fou et en même temps, c’est la loi : on ne peut pas chercher un majeur qui a choisi de disparaître. C’est comme ça, c’est la loi. Ça peut paraître assez fou pour certaines personnes comme ça l’est pour moi. J’ai des gens qui me disent que la réaction du policier dans le film est n’importe quoi alors que je suis parti du retour de ces vrais agents. L’un d’entre eux a même déjà vécu ça : une personne est venue lui signaler la disparition de sa fille mais le policier ne pouvait pas agir, au point de le voir en civil le lendemain pour lui dire qu’il regarderait quand même ce qu’il peut faire, ce qui m’a d’ailleurs donné cette idée dans le film. L’humanité de l’administration transparaissait et j’avais envie de raconter ça aussi : qu’au-delà de la loi, il y a des individus. Je trouvais ça important pour cette typologie. Il y a aussi des films qui doivent être beaucoup plus politiques et à charge mais celui-ci est sur la famille, sur ces gens qui restent et aucunement sur la police ou les juges. On a donc le droit de leur donner ici une place plus humaine, pas fictionnelle car c’est réel. La juge des affaires familiales m’a aussi dit « Peut-être est-elle partie par amour ? » et c’est quelque chose que je n’avais pas pensé à placer à cet endroit alors qu’elle m’a dit qu’elle pourrait clairement dire ça dans cette situation, avec l’envie de faire preuve d’humanité dans ce moment. Ça a chargé le film et rythmé l’écriture. Quand on m’a dit qu’elle devrait faire la demande d’autorité parentale car si elle ne le faisait pas, elle ne l’aurait pas et donc qu’elle devrait envoyer un mail, je me suis rendu compte qu’elle devrait se charger d’absolument tout et je trouvais ça hyper intéressant pour le parcours du personnage. Ça m’intéressait en tout cas !
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Ça m’intéressait aussi et ça résonne avec tes personnages dans toute ta filmographie, chercher cette humanité dans des personnes enfermées dans un certain cadre : Guillaume Gouix qui sort de prison, Toni qui cherche à concilier mère parfaite et ancienne célébrité, … ça se retrouve aussi dans tes dialogues donc comment travailles-tu cet aspect ?
Il n’y a pas d’impro, dans le sens où je ne me sens pas capable de travailler cela avec le casting, surtout avec des enfants. Si on les laisse parler de ce qu’ils veulent, c’est très souvent des blagues « pipi caca » qui reviennent et c’est normal vu leur âge, c’est même très drôle quand on a 7 ans ! (rires). Pareil sur Toni en famille, c’était un sujet de prédilection ! Tout ça pour dire que je n’aime pas trop l’improvisation en dialogue. C’est un moment que j’adore, sur lequel je passe beaucoup de temps, et je parle tout seul. Je fais toutes les scènes seul dans ma chambre ou dans mon bureau. J’écris à voix haute et je m’enregistre parfois avec le dictaphone. J’essaie que ce soit le plus intuitif possible et de parler, d’écrire exactement. J’essaie de ne pas changer un mot de la façon dont je parle, j’aime créer une langue. Je ne veux pas que ce soit le plus naturel possible mais le plus vrai dans la vérité du film. J’aime bien qu’une langue appartienne au film, comme dans ceux de Noah Baumbach – sans l’envie de comparer car il est beaucoup plus talentueux que moi. Quand je regarde « Marriage Story », c’est la langue du film, leur façon de parler. J’aime bien l’idée que si les acteurs n’improvisent pas, ils auront tous la même langue. Ils ne parleront pas tous de la même façon mais ils auront quelque chose de commun. Ça rendra peut-être une certaine vérité à l’écran.
Ça ne fait pas naturalisme pur mais naturalisme de fiction.
C’est ça ! Le but, c’est que ça soit la vérité du film. C’est ça le plus important pour moi.
Quelles ont été les discussions avec Camille Cottin sur le personnage ? Sans parler de total opposé, elle est dans un autre registre que dans Toni en famille, notamment dans le rapport à la maternité…
C’est quelque chose dont on a beaucoup parlé. Il y a plein de ponts entre les deux films mais c’est vrai que ça a été une vraie discussion. Elle était surprise que je lui dise que j’ai écrit le personnage pour elle car je la connaissais mieux que Toni et quand elle l’a lue, elle a dit que c’était quelqu’un qui ne lui ressemble en effet pas du tout là où Toni lui ressemble : son humanité, sa bienveillance, sa fraîcheur, …
Sa participation à la Star Academy ! (rires)
Oui, participation très connue, cherchez sur Internet ! (rires) Je suis sûr que des personnes vont y croire maintenant.
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C’est pour ça que je vais laisser cette info dans l’interview ! (rires)
Promis, laisse-là dedans ! Mais c’est vrai qu’on a pas mal parlé du rôle avec Camille car il n’y avait aucun rapport avec elle. Le personnage ne lui ressemble pas, ne se définit pas comme elle le fait dans la vie et c’est justement pour cela que je l’ai écrit pour elle, car je la sentais capable et que ce serait réjouissant de voir Camille totalement différente, très intérieure. Sur Toni en famille, je voyais cette intériorité dans des scènes, cet aspect bouleversant que je devais couper au montage car il ne fallait pas cet aspect sombre dessus donc il fallait un film pour ça, pour exprimer cette intériorité. Je ne sais pas si tu l’as remarqué mais on l’a peu vue comme ça. Ce n’est pas une question de « mieux » ou « pas bien », attention. On a peu vu Camille aussi intérieure alors qu’elle l’est dans la vie. C’est quelqu’un de solaire mais elle a ce truc tracassé, qui réfléchit beaucoup, très précautionneuse, qui fait attention aux gens. Pour revenir à la maternité, je voulais un personnage féminin qui se définit autrement que pour cela. Je l’avais fait avec Toni, qui était une mère extraordinaire mais qui s’est perdue dans la maternité. La femme au cinéma est souvent mère ou en attente d’un enfant ou a perdu un enfant… Je suis un homme mais aussi une personne queer, ce qui m’aide peut-être. En tout cas, j’avais envie d’interroger la maternité sous toutes ses formes avec ce film. Il y a une maternité abandonnée avec le personnage de Juliette, elle la refuse pour ses raisons qui lui sont propres. Il y a Jeanne, sa sœur, qui reçoit ces enfants, mais ce n’est pas pour autant qu’elle va devenir mère et développer ce sentiment de maternité. C’est plus complexe que ça car elle n’en n’a jamais voulu et lui mettre des enfants dans ses pattes ne va pas lui donner envie de devenir mère. C’était important pour moi de construire ces personnages-là, d’avoir cette représentation, même si je ne suis pas une femme. J’avais envie de personnages sortant de ces carcans-là. J’ai l’impression de dire « L’eau ça mouille » en 2025, quelque chose de tout bête, mais si tu y réfléchis, ça n’est pas si bête que ça.
Quelque chose qui revient beaucoup dans tes films à mes yeux est une forme de rééquilibrage du quotidien. Tes personnages sont toujours obligés de faire face à quelque chose qui les reconstruit différemment.
C’est vrai et je n’y ai pas pensé comme ça. Même dans Les drapeaux de papier, c’est ça. Je n’aime pas construire mes films sur des antagonistes très clairs. Je ne fais pas des films avec des méchants parce que ça n’est pas ma typologie de films. J’adore Weapons qui a une méchante très claire mais j’aime construire mes films sur un antagonisme très quotidien, très banal. Pour moi, on est dans un monde plein de nuances. J’aime bien que l’antagonisme de mes films soit intérieur, que ce soit un conflit qui soit propre aux personnages, pas spécialement résolu au cours du film. On peut créer une vraie dramaturgie sans en faire trop. J’aimais l’idée de comment on construit une famille. Ça venait vraiment de ça plus que « Comment on bouscule un quotidien » même si je vois ce que tu veux dire. Ce qui a vraiment dicté l’envie du film, c’est comment ces personnes qui n’ont rien à voir vont devoir faire famille malgré tout. C’est un schéma assez commun de cinéma mais j’avais envie de voir cette femme qui ne voulait pas avoir d’enfant devoir faire avec ceux-ci qui ne veulent pas être là et veulent juste retrouver leur mère. Je voulais voir ce qu’ils ressentent, comment les raconter justement. C’était important pour moi qu’ils existent à part entière et ne pas juste être « les enfants de ».
Comme dans Toni en famille où chaque enfant a son identité à part entière.
Exactement ! Ça me saoule quand je vais voir des films – sauf quand ce n’est pas le sujet – où ça tourne autour de la question de l’enfance et de l’adolescence et que ça les limite à « enfants de personnage adulte ». Ça me frustre.
Ton chef opérateur sur ce film est Victor Seguin alors que tu travaillais auparavant avec Raphaël Vandenbussche. Comment vois-tu ce changement de chef op et comment cela a impacté le film ?
J’adore Raphaël, je l’aime énormément, mais j’avais envie d’aller autre part. J’ai fait deux films avec lui, j’adore la fidélité car je trouve ça important de se créer une famille de cinéma, et en même temps, on est tellement amis qu’on oublie de se challenger. Ça partait d’une envie de travailler avec quelqu’un qui pourrait me challenger et m’envoyer chier. Juste par exemple, pour le découpage, on se connaît trop avec Raphaël et c’était trop évident alors que j’avais envie de travailler ça avec quelqu’un qui me demanderait si ce que je fais est une bonne idée. Je voulais d’une nouvelle dynamique. J’adore travailler avec Raphaël comme avec Victor mais je crois que ça a vraiment impacté le film. On se donnait des rendez-vous sans se connaître pour parler découpage, je lui présentais mes idées et je devais me justifier en étant poussé dans mes retranchements, ce qui est génial. Ça se repose aussi sur le talent des autres, on ne fait pas un film tout seul. Victor est quelqu’un d’hyper talentueux, comme Raphaël. Il est trop fort, il a un sens du cadre qui est génial, ce qui était important pour moi car il y a plein de plans larges, à travers les fenêtres, de loin. J’avais besoin de quelqu’un qui devait challenger cela. La photo pour moi vient aussi des décors et costumes. On a eu des réunions Direction Artistique car c’était très important pour moi qu’il n’y ait que trois couleurs dans le film : le marron, le gris et le bleu foncé. Il n’y a que l’écharpe de Suzanne qui est rouge. Pour moi, la photo se construit aussi par les couleurs. L’eau ça mouille, encore une fois (rires). L’histoire se construit aussi par les couleurs, par les décors, comment on raconte une image, de la peinture du mur au costume de la comédienne par l’idée de cadre qu’on en fait. Victor adorait ça, faire ces réunions. Il était très volontaire mais il s’est aussi cassé le bras avant le tournage donc c’était très intense. Il s’est recassé le bras après le tournage, le même bras, mais il va bien ! Il y a cette scène avec la Juge des affaires familiales où tout est marron. Je trouve ça important de jouer sur des couleurs qui se marient entre elles ou qui justement s’opposent pour mieux faire ressortir le personnage, comme l’écharpe rouge. Il y a des films références que je trouve épatants et qui construisent, comme ceux des années 70. Il y a cette construction de teintes marrons et beiges. Il fallait aussi que ce soit fait finement pour ne pas que les gens remarquent immédiatement. Si c’est pour entendre « Ton film n’est que marron », … C’est quelque chose que l’on me disait souvent sur le plateau et finalement, les spectateurs ne le disent pas.
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On se rencontre dans le cadre d’un festival francophone. Comment est-ce que tu vois justement cette production francophone ?
Ça a construit ma cinéphilie professionnelle car avant, je n’adorais que les films d’horreur américains. Après, j’ai découvert des auteurs comme Dolan et Audiard, maintenant Rohmer, Bresson, Tati. On a de grands auteurs en France, comme Mia Hansen-Løve, dont j’adore les films. S’il y en a une à citer dans mes exemples, c’est elle ! On a un cinéma francophone qui est dément, on a énormément de chance ! En même temps, j’avoue que je me sens plus proche et inspiré par le cinéma asiatique, que ce soit celui d’Edward Yang, Apichatpong Weerasethakul ou Kore-eda. Ce sont vraiment mes films préférés. Il y a toute une nouvelle vague taïwanaise tout en découvrant des films chinois ou ceux de Hong Sang-soo mais aussi des cinéastes scandinaves. Le cinéma francophone est important, c’est notre culturel, mais il y a tout un cinéma à découvrir autour du monde. C’est pour cela que c’est important d’avoir des festivals comme Namur, qui célèbrent la francophonie et cette richesse culturelle.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Marie-France Dupagne et Hélène Lambert ainsi qu’à toute l’équipe du FIFF pour l’interview.







