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[CRITIQUE] : Rétrospective Binka Jeliazkova, éclat(s) d'une cinéaste révoltée - Partie 2


Rétrospective Binka Jeliazkova, éclat(s) d'une cinéaste révoltée - Partie 2 : La vie s’écoule silencieusement (1957) et La Piscine (1977).


Distributeur : Malavida Films




Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, selon une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.
Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.

Pour l'auteur de ces mots, la cinéaste bulgare Binka Zhelyazkova, considérée comme « l'enfant terrible du cinéma bulgare » et longtemps censurée sur ses propres terres, etait inconnue au bataillon et elle le serait sans doute resté encore longtemps sans l'opportunité offerte par la firme Malavida Films, de découvrir son imposant cinéma au détour d'une rétrospective accouchée un brin dans la douleur sur près de trois ans et demie : " Éclat(s) d’une cinéaste révoltée " (meilleur titre de retrospective de récente mémoire, notre dédicace est proprement posée), dont la première partie composée de Nous étions jeunes (1961) et Le ballon attaché (1967), avait déjà atteint les salles au printemps 2022 (et dont tu peux retrouver notre avis plein d'amour ici).

Place désormais à la seconde salve de films (en espérant une troisième), La vie s’écoule silencieusement (1957) - co-réalisé avec Christo Ganev -, gardé dans les cartons en Bulgarie pendant plus de trente ans, et La Piscine (1977), peut-être son oeuvre la plus populaire; deux regards à la fois crus et mélancoliques sur un “pays des roses“ dont elle expose avec acuité les travers comme les divisions générationnelles presque insurmontables, qui désunissent des âmes révolutionnaires et désespérées d'hier, à une jeunesse plus individualiste.

© Malavida Films – Filmautor – Bulgarian NFC

Magnifique mélodrame intimiste et doux-amer sondant la dichotomie qui imprègne la réalité de l'après-guerre dans une nation sous influence où la libération est née dans une violence insondable et inoubliable que l'on cherche à réécrire, La vie s’écoule silencieusement suit une poignée d'anciens révolutionnaires socialistes dont l'idéalisme comme la camaraderie se délitent sous les attitudes mensongères et cyniques d'un gouvernement - pourtant socialiste - se frottant dangereusement au pouvoir faciste, pour mieux idéologiquement et humainement se perdre.
Au plus près d'une réinsertion impossible comme d'une paranoïa dévorante qui habite ses hommes et ses femmes se sentant comme les fantômes anonymes d'une paix qui n'est plus la leur, le tandem Jeliazkova/Ganev croque une charge frontale sur l’hypocrisie profonde du gouvernement en place, à peine fragilisé par un dernier tiers un poil maladroit, malgré un final douloureusement hanté et hantant.

Plus optimiste (pas énormément non plus, tant sa Bulgarie n'y est pas forcément plus riche en perspectives, ni expurgée de l'ombre imposante et répressive soviétique) se fait La Piscine, beau drame nouée autour de l'amitié aussi improbable (car chaque figure incarne/représente trois pièces générationnelles de la société bulgare de l'époque) que prudente, bâtie sur la réflexion comme une curiosité partagée (de la vie comme des autres), entre une jeune femme dont le passage à la vie d'adulte est des plus complexe, Bela (une magnifique Yanina Kasheva), et deux hommes plus murs (moins dans les actes que dans la vérité inéluctable du temps), Apostol, un architecte quarantenaire, et Buffo, un comédien fermement ancré dans la trentaine.
Une union joliment sensible et désenchantée tant Zhelyazkova entrelace leurs vies d'une manière merveilleusement étroite et délicate, au coeur d'une balade élégante et envoûtante, filmée avec une retenue essentielle (esthétiquement plus proche des œuvres de la Nouvelle Vague française, et donc radicalement opposé à ses précédents efforts)

Le point final pittoresque et émouvant à ce qui est, clairement, l'une des rétrospectives immanquables du moment.


Jonathan Chevrier