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[ENTRETIEN] : Entretien avec Grégory Gadebois et Bernard Campan (Jean Valjean)

© 2025 – Radar Films Mediawan – France 3 Cinéma


S’attaquer à un morceau de la littérature française comme Jean Valjean reste toujours délicat au vu de l’influence des Misérables sur la culture francophone. Le nouveau film d’Éric Besnard prend ici le parti judicieux de se limiter aux premiers chapitres de l’ouvrage, permettant de mieux adresser le changement du héros de Victor Hugo dans un cadre intime et quasi théâtral. Cela constitue un espace de jeu idéal pour des acteurs comme Grégory Gadebois et Bernard Campan, respectivement Jean Valjean et Monseigneur Myriel dans le long-métrage.

Il est rentré dans le bagne à 19 ans et ça s’est arrêté là. Tout ce qui s’est passé là-bas n’est plus valable dans la société. Sa vie reprend là où elle s’est arrêtée. C’est un enfant de 100 kilos en colère qui sort, ce qui peut être terrible. Chaque personne qu’il croise ne fait qu’attiser cette colère, dans ce qu’elles lui renvoient. C’est comme Hulk. Même les animaux le jugent. - Grégory Gadebois


Comment avez-vous approché vos rôles respectifs ?

Bernard Campan : J’étais assez surpris parce que dans mon souvenir, non pas de la lecture des Misérables car je ne l’avais jamais lu mais dans les films, Monseigneur Myriel n’était pas le genre de personnage que je pouvais penser qu’on allait me proposer un jour. Il est en général quelqu’un de plus rond, plus bonhomme, plus âgé donc j’étais assez surpris et j’avais un peu peur d’un personnage un peu mièvre. Ça ne donne pas nécessairement envie à un comédien de jouer un saint homme. Et puis, en rencontrant Éric, il m’a dit qu’il voulait travailler sur les zones d’ombre du personnage, son passé comme il l’a écrit par la suite, l’évolution, le changement, la foi. Pour travailler tout ça, je ne dirais pas que j’ai eu un peu peur mais je me suis essentiellement détendu, ce qui a été assez facile car avec Éric, il y a une ambiance tellement agréable. On fait confiance au metteur en scène, on s’en remet à lui et à partir de là, j’ai pu sentir que c’est à la détente que je pouvais toucher à ce personnage. Il n’est pas dans le jugement donc il n’est pas dans la cogitation, avec des pensées qui l’envahissent. Il est dans la détente, physique, mentale, émotionnelle même. Et c’est par ce petit chemin-là que j’ai approché le personnage.

Grégory Gadebois : Pour moi, c’était une grosse boule de haine, de colère, de ressentiment. Quand Jean Valjean quitte le bagne, c’est quelqu’un qui est innocent qui a été broyé par la prison et les autres, qui a été forcé de devenir un monstre par le regard des autres mais également pour se défendre parce que le bagne est quelque chose de dur. Il a cette force comme trait de caractère. Il soulève la charrette. Ça lui est facile, la méchanceté, parce qu’à partir du moment où il devient méchant, il devient le plus fort car il est fort. Il peut facilement trouver une place dans ce bagne. Quand il sort, c’est un caillou, un enfant en colère. Il est rentré dans le bagne à 19 ans et ça s’est arrêté là. Tout ce qui s’est passé là-bas n’est plus valable dans la société. Sa vie reprend là où elle s’est arrêtée. C’est un enfant de 100 kilos en colère qui sort, ce qui peut être terrible. Chaque personne qu’il croise ne fait qu’attiser cette colère, dans ce qu’elles lui renvoient. C’est comme Hulk. Même les animaux le jugent. Il finit par se conforter dedans, ça devient confortable pour lui car on lui donne une place jusqu’à ce qu’il rencontre l’abbé, parce qu’il ne sait pas que c’est un Monseigneur. Pour lui, c’est quelqu’un d’assez bête pour le laisser entrer comme cela chez lui. Il y a quelque chose comme ça où il pense qu’il faut être inconscient pour le laisser entrer chez lui avec deux femmes et l’argenterie. Mais cet homme lui tend la main et ça va le changer, ou pas.

Vos personnages, bien que différents, partagent justement une forme de révélation identitaire : ils décident de ne plus être celui qu’on leur demande d’être mais la personne qu’ils souhaitent devenir, il y a une question de choix d’identité.

G.G. : J’aime bien cette idée qu’on ait le choix. Je ne sais pas si c’est ça que vous voulez dire mais Jean Valjean décide. Il ne décide pas qu’on lui tende la main, c’est l’homme bon qui le fait et il fait tout pour provoquer le contraire. Mais à partir du moment où on lui tend cette main… C’est quelque chose d’assez beau de la part du prêtre de lui tendre la main sans rien attendre en retour. C’est gratuit. Ça lui coûte même deux chandeliers et des couverts en argent. C’est assez beau ce que fait cet évêque car il n’a jamais la réponse. Il ne veut pas se dire « J’ai changé un homme » mais il a essayé d’aider cet homme. Cela laisse Jean Valjean avec des questionnements lors de son départ et il décide. J’aime bien l’idée que ce soit une décision, qu’on puisse décider d’être gentil. C’est con mais je crois qu’il y a des gentils. Quand on me demande ce que je fais avec des personnages, je dis « Là, je fais un gentil » ou « Je fais un méchant » (rires). Il y a quand même le bien et le mal, ces deux notions qui existent. On peut au moins essayer de décider de faire le bien. J’aime bien cette idée. Après, c’est vrai que ce n’est jamais le bien qui gagne, regarde le monde. C’est pour ça que Victor Hugo est toujours d’actualité.

Comment percevez-vous justement l’héritage culturel, social et politique des Misérables ?

B.C. : Avant de tourner ce film, j’aurais été bien en peine de répondre ! Victor Hugo a une œuvre aussi immense que son personnage mais je connaissais très peu celui-ci avant de tourner ce film. Il se trouve que c’est quelqu’un de très moderne, novateur. Il a bousculé le monde classique avec une écriture moderne contre la peine de mort, pour l’Europe et la suppression des frontières. Ce sont des idées très modernes qu’il a apportées mais, au-delà de ça, il a créé des archétypes de personnages qui nous habitent encore. C’est quelque chose dont on a discuté avec Éric Besnard : il y a Jean Valjean, Monseigneur Bienvenu mais il y a Gavroche, Cosette, Fantine, …

G.G. : Javert !

B.C. : Javert, bien évidemment ! Ce sont tous des archétypes de personnages qui nous suivent encore là, qui sont encore très modernes. Ça a forcément changé les choses et ça a continué de le faire mais je serais bien en peine de mieux y répondre.

Peut-être vous, Grégory ?

B.C. : Oui, je me dis que tu seras meilleur pour répondre à ça ! (rires)

G.G. : Oh non, il ne faut jamais me soupçonner de ça ! (rires)

Copyright 2025 – Radar Films Mediawan – France 3 Cinéma

Comment décririez-vous le travail d’Éric Besnard sur le plateau et dans sa direction d’acteurs, sachant que c’est votre quatrième film pour Grégory et le premier pour Bernard ?

B.C. : Je trouve que c’est formidable, ça correspond à ce que j’ai souvent entendu dire. Cela commence déjà par le bon casting, la bonne personne au bon endroit en relation avec les autres personnes. Puis, c’est quelque chose de très facile. Comme le dit Éric, il ne dirige pas vraiment un comédien, il trouve le comédien qui va pouvoir incarner. Après, c’est un peu comme une bille légèrement inclinée : il ne va pas faire descendre la bille mais donner un coup pour nous orienter plus à gauche ou à droite. Et encore, c’est très délicat sa façon de nous diriger. J’ai retenu une phrase de lui que j’aime beaucoup : quand il trouve que c’est bien, plutôt que de nous dire « Super, refais la même chose ! » -quelque chose que je déteste car en tant que comédien, je ne sais même pas ce que j’ai fait-, il met une main sur l’épaule et dit « Tu es au bon endroit ». J’aime ça car c’est de la direction d’acteurs, ça laisse une place complète à l’interprétation tout en nous donnant confiance. Je l’ai entendu dire 2, 3 fois et j’aime beaucoup (rires).

G.G. : C’est ça ! Le texte, comme il l’écrit toujours, il sait comment diriger. Après, la direction d’acteurs, c’est quelque chose de très bizarre, c’est un truc qui se fait comme ça. Avec Éric, on parle beaucoup parce que ça fait 4 films. On croit parler de choses et d’autres mais on travaille tout le temps. Quand il me parlait d’autres choses, j’y retrouvais déjà son Jean Valjean. En fait, j’aime beaucoup ce qu’il écrit, les personnages dont il choisit de parler, ce qu’il me propose de faire, qui est toujours différent, donc c’est déjà une indication. Après, on parle et ça se fait comme ça. J’ai remarqué qu’il ne parlait pas pareil à tout le monde. Il y a des gens avec qui il a besoin de parler plus et pas nécessairement avec nous. Il s’adapte à chacun. C’est toujours un peu du bricolage les films. Pas les plans car il travaille toujours à ses images et son texte, et encore car je pense qu’il arrive à cloisonner quand il est sur le plateau pour ne pas être l’auteur, juste metteur en scène. Mais la direction d’acteurs est une vraie question.

B.C. : Je crois que pour Alexandra (Lamy) et Isabelle (Carré), il leur a écrit tout ce que leur inspirait le matériel pour qu’elles puissent travailler leurs personnages. Il nous disait ça avant de dire qu’il n’avait pas besoin de le faire pour Grégory. Il s’adapte à la façon de jouer de chacun.

G.G. : Parfois, un mot, on se dit que c’est une indication alors que pour un mot qu’on nous donne, c’est dix autres qu’on va s’interdire. On est compliqué les acteurs ! Ça relève de la psychanalyse. Le principal, c’est d’avoir confiance dans le regard du metteur en scène et pour le metteur en scène dans celui de l’acteur. Je le vois avec les autres, il est toujours ouvert. Je sais qu’il avait prévu des choses avec chaque personnage mais si Bernard l’abordait différemment, il était surpris mais que ça lui allait, il reste ouvert.

B.C. : Ce qu’il fait qui est très agréable, c’est que dans les premières prises, il va dire « Tu vas là, tu vas dire ton texte », mais il ne va pas dire plus. Il a besoin de voir d’emblée ce que le comédien va lui apporter avant de lui proposer d’autres orientations. Il y a des metteurs en scène qui disent « Alors tu vas du point A au point B, tu te souviens que tu es chargé de ça, d’où vient le personnage », en racontant tout ce que l’on doit faire psychologiquement et c’est un peu fatiguant. Lui, il laisse faire. Il attend notre proposition. J’ai travaillé avec d’autres metteurs en scène comme ça et c’est très agréable.

G.G. : C’est brimant quand on nous dit tout ce qu’on doit faire, une petite liste de choses qu’on doit faire mais une grande qu’on s’interdit. Ce sont comme les didascalies.

B.C. : Sans parler de ceux qui te font travailler à la note, comme dans les comédies, où tu dois restituer une musique… Mais ne parlons pas des autres !

On se rencontre dans le cadre d’une journée Junket donc y a-t-il une question qu’on ne vous a pas posée aujourd’hui mais que vous auriez bien voulu entendre ?

B.C. : J’aurais bien aimé qu’on me demande si le film était dangereux pour moi car j’aurais pu répondre qu’il l’a été (rires) ! À un moment, Monseigneur Bienvenu monte sur un âne -et je crois que ce n’est même plus dans le film-, il fait deux passages pour récolter de l’argent chez les riches. J’ai fait le plan sur l’âne mais il s’est emballé…

G.G. : (rit)

B.C. : … Et plutôt que de marcher, il s’est mis au trot. On ne peut pas trop fixer une selle sur un âne et je suis tombé sur des cailloux en me faisant mal. Donc j’aurais aimé qu’on me pose cette question pour répondre ça !

G.G. : J’avoue ne pas aimer les questions donc je préfère que tu en poses une autre ! (rires)

Alors j’en profite ! C’est vrai qu’on a une image des Misérables d’une fresque ample, donc resserrer l’histoire sur ses 150 premières pages plus intimes, ça a un côté un peu théâtral avec les décors limités, les intérieurs qui poussent les personnages au bout de leurs émotions, … Comment avez-vous vécu cette approche ?

G.G. : Si on ne parle que de Jean Valjean, je pense, et Éric aussi, que c’est le moment le plus intéressant pour l’aborder car après, il est bon. Il est un peu rattrapé pour moi avec la rencontre avec les Thénardier quand ils le kidnappent et qu’il se brûle avec le tisonnier. Marius le sauve mais il ne le sauve pas des Thénardier, il le sauve d’un rétrogradage. C’est le moment où il revient au début du film. C’est toujours enfoui en nous le sale, le méchant, et c’est toujours prêt à ressortir mais il le combat tout le temps. Mais le gros truc qui est rigolo à faire, c’est le début, quand il enfouit ça, le pas vers la lumière.

B.C. : Mettre la loupe sur cette soirée, sur ce huis-clos, c’est mettre une loupe sur l’intime car c’est une transformation intérieure. Tout ça n’est que transformation intérieure, c’est du mystique, du mystique laïque même quand on décrit Besnard. C’est un spinoziste dans l’âme. C’était bien d’avoir toute cette intimité en chacun pour voir que c’est là que se produit le changement.




Propos recueillis par Liam Debruel.

Un grand merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour cet entretien et son organisation complète.