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[ENTRETIEN] : Entretien avec Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys (On vous croit)

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Ils sont derrière un film choc, de ceux qui donnent envie de parler en superlatifs et même en nécessité par l’approche artistique et thématique : Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys ont accepté d’échanger avec nous sur leur premier long-métrage, On vous croit.

Simplement, comme l’a dit Arnaud, je vois dans mon travail comment les violences envers les femmes et les enfants sont très présentes. Quand on pose la question de cette violence en consultation, sur la confrontation à la façon de s’adapter à l’âge de la victime et les histoires des patients, on se rend compte que la réponse est souvent oui. - Charlotte Devillers


Pourriez-vous revenir sur les bases du projet ?

Arnaud Dufeys : Charlotte et moi, on s’est rencontrés sur un autre projet. Elle travaillait comme infirmière dans un centre de violences sexuelles à Paris et m’a contacté dans un premier temps pour écrire un film sur ce sujet avec elle, ce qu’on a fait. Écrire ce projet a été un processus assez long, dans des conditions de production classiques pour cette fois-là avec un premier long, on a appris à se connaître et à parler de plein de sujets, dont celui-ci qui est revenu à plusieurs reprises dans nos discussions parce qu’elle connaît bien par son travail et qu’elle veut parler de la CIVISE, qui est une association, sur Paris, de victimes de violences sexuelles avec des témoignages livrés en public auxquels on peut assister. On est donc allés là et on s’est rendu compte de l’urgence et de la nécessite d’aborder ce sujet au vu des statistiques affolantes. Ça coïncidait avec l’appel à projet pour des films en conditions légères du Centre de Cinéma Belge et on s’est dit que c’était la bonne manière pour mettre le pied à l’étrier. Cela s’est fait de toutes façons comme ça en termes de production car c’était plus simple et rapide à financer que le précédent.

Charlotte Devillers : Je n’ai pas grand-chose à rajouter d’autre. Simplement, comme l’a dit Arnaud, je vois dans mon travail comment les violences envers les femmes et les enfants sont très présentes. Quand on pose la question de cette violence en consultation, sur la confrontation à la façon de s’adapter à l’âge de la victime et les histoires des patients, on se rend compte que la réponse est souvent oui. Ce sont des moments très fragiles, avec des personnes en situation de vulnérabilité. Avec Arnaud, on a énormément échangé, discuté et ce sujet revenait de façon très fréquente. On voit bien aussi niveau médiatique qu’il y a urgence. Ce projet en subvention légère répondait très bien à cette urgence.

Une force du film est de conserver une certaine froideur de l’outil judiciaire tout en gardant en cœur l’aspect humain. Comment avez-vous travaillé pour maintenir cet équilibre ?

C.D. : Je pense que ce sujet-là est très intime et en même temps concerne tellement de monde qu’on partait de toute façon de l’individuel vers le collectif, la pensée de comment réfléchir ensemble à garder cette humanité dans notre film. On a fait très attention à ça.

A.D. : C’était une volonté d’avoir une multiplicité de points de vue. Chaque personne a sa vision et sa manière de la défendre, y compris en justice. Ça a été une discussion de faire que chaque personne ait une vérité, même si elle est coupable, elle se fait une raison de ce qui s’est passé et elle invente une histoire dans sa tête qui devient une vérité. À un moment donné, il fallait que chaque personnage puisse incarner ça car il était important pour nous que ce film ne soit jamais à charge de la justice ou pro mère protectrice ou pro agresseur. On avait conscience que la clé du film était dans cette complexité, cette nuance, et d’apporter à la juge un aspect progressiste pour qu’on puisse comprendre aussi que la justice a une vraie fonction, qu’on ne la rejette pas, que cette parole a une importance pour les victimes et qu’elle doit être entendue, y compris pour tout le monde et les agresseurs pour qu’ils se rendent compte de ce qu’ils ont fait. Il fallait donc capter cette complexité du système judiciaire, dans sa juste place selon nous.

C.D. : Vous parlez d’humanité mais les lieux mêmes de justice, que ce soit en France ou en Belgique, sont aujourd’hui des structures très froides, transparentes, mais en même temps, cette froideur-là à laquelle sont confrontés les victimes, les agresseurs et les avocats font qu’ils s’y perdent. Comment réinstaurer un peu d’humanité dans ces locaux ? C’était aussi pour nous un vrai challenge. Le choix du lieu était justement important pour nous.

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Comment avez-vous abordé votre mise en scène ? Il y a en effet quelque chose de très précis mais vivant également, comme dans ce plan de témoignage où le père tente de pénétrer dans le cadre…

A.D. : L’idée de la mise en scène était de faire un film d’écoute plus que de parole. On avait l’envie d’aborder le point de vue du personnage principal, Alice, de la manière la plus forte possible à l’écran, et cela a amené cette idée d’écoute sur elle car il y a un long laps de temps où elle est obligée d’écouter la parole des autres sans broncher et sans réagir alors que ça peut la mettre à mal. Par ailleurs, il y avait l’idée du minimalisme, car on n’avait déjà pas les moyens mais aussi car le lieu dans lequel on filmait n’était pas en soi très intéressant. Ce sont des murs avec des chaises et un bureau. On savait donc que les visages porteraient l’événement, en particulier celui de Myriem Akheddiou. L’idée était donc que la direction d’acteur devait primer sur tout. C’est pour ça qu’il n’y a pas d’éclairage traditionnel, on n’utilisait que des lumières naturelles, on est dans un minimalisme complet au niveau du découpage et de la décoration. L’expression des visages prend le dessus sur tout.

C.D. : Quand vous parlez du père qui rentre dans le cadre, il y a quelque chose où elle est sans cesse agressée, comme le fait même qu’il soit près d’elle. Il y a ce moment où on pense qu’il lui a ou pas touché la cuisse. On voulait capter toute cette vigilance-là en choisissant ce format et en allant chercher de chaque côté comment elle pouvait être aussi agressée physiquement par quelque chose qui entrave et percute. C’est comme une effraction qu’elle subit à chaque fois et que les victimes subissent.

A.D. : Une troisième idée qui peut être intéressante pour vous est celle de l’animalité du personnage, amenée par Myriem. Elle nous a montré l’illustration d’une mère louve et cela nous a aidés lors de l’élaboration du scénario car cela a apporté de l’animalité à tous ses comportements. Ça aide beaucoup pour les scènes avant et après l’audience, dans chaque mouvement qu’elle fait où elle est à l’affût de chaque menace pour ses enfants. Il y a ainsi un mouvement dans le film, au début elle est une proie avec un prédateur qui tourne autour de ses enfants et elle avant de se muer en prédatrice.

Il y a de plus en plus de films judiciaires, avec une envie de réinvestir cinématographiquement ces lieux. Comment voyez-vous ces titres ?


C.D. : Je pense que c’est très juste. Les gens aiment voir des films de procès, il y a beaucoup de séries et de fictions qui tournent autour de cela, avec cette idée de ce qu’est une audience avec ces salles un peu poussiéreuses, ces meubles en bois, des gens qui prennent la parole dans quelque chose de très cadré. Déjà, on est dans un cabinet d’entretien ici et non dans une salle d’audience comme on pourrait l’imaginer. On a eu envie d’apporter autre chose, amener le spectateur à entrer dans ce petit espace qu’on ne voit jamais et l’amener à découvrir quelque chose. Aller au cinéma, raconter des histoires et découvrir des choses que l’on ne connaît pas, ce sont des choses extrêmement intéressantes pour ma part, même si l’on pourrait se dire « Encore un film de procès, on connaît ».

A.D. : On avait une volonté de se démarquer des films de procès qu’on a vus. On les a regardés en se demandant comment se différencier. À un moment donné, qu’est-ce qui nous inspire et comment aller plus loin ? Pour moi, une chose qui me frustre dans « Saint Omer » ou « Anatomie d’une chute », c’est de ne pas entendre plus de témoignages. C’est ce qui me plaît le plus dans ces films et j’aimerais en entendre plus, me positionner au milieu pour pouvoir me forger un avis. On me balade dans des scènes qui sont annexes, qui sont de l’ordre de l’intime mais la force du film de procès est pour moi dans le tribunal. Il y avait cette volonté dans ce film de suivre une audience tout du long. Par rapport à l’appétence des films de procès, je pense que c’est aussi dû ces dernières années à de plus en plus de procès médiatisés. « Anatomie d’une chute » a aussi eu un tel succès que le film de procès francophone a eu plus de facilité à s’exporter. On s’explique le succès de notre film comme ça.

C.D. : Et puis, la thématique a quelque chose dans cette situation et dans ces histoires de femmes qui parcourent différentes instances judiciaires et pénales qui ne se parlent pas. De déployer l’audience dans cet aspect-là, cela nous permettait aussi d’expliquer toute la complexité judiciaire et juridique que traversent ces mères protectrices. Si on n’avait que ces choses annexes comme en parlait Arnaud, on ne le comprendrait pas. On a donc fait ce choix d’entrer dans une matinée d’audience, d’un moment particulier, et on voit bien que ça file bien et que le public accroche. Nous avions cette inquiétude que cela puisse fatiguer les gens en suivant aussi longtemps cet aspect. Mais si on veut comprendre la situation, se faire son propre jugement, se mettre à la place de la juge, des avocats, de la mère, du père, des enfants, il nous fallait ce moment-là.

Si cela peut vous rassurer, cela fonctionne bien : j’ai été étouffé toute la durée du film, dans le bon sens du terme.


C.D. : Ce n’était pas le but de notre film non plus de totalement vous étouffer ! (rires)


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Ah mais c’est typiquement le cas du film qui ne nous lâche pas, et ce même en l’ayant vu il y a plusieurs mois.

A.D. : C’est le plus beau compliment qu’on puisse nous faire ! En fait, il y a toute une idée aussi à la mise en scène dans l’intégration de codes du thriller. On ne voulait pas faire un film entièrement réaliste ou naturaliste, bien qu’on soit intégré totalement dans le réel, car on a conscience que pour avoir les spectateurs avec nous et donner envie aux gens de venir en salle, il faut aussi apporter des ingrédients de cinéma. C’était donc trouver la synthèse entre le plaisir cinématographique et les idées que nous souhaitons défendre.

C.D. : C’est aussi hyper intéressant car ça nous amène deux types de publics, entre les personnes qui ont vécu pareils traumatismes et violences et celles qui viennent voir du cinéma. On raconte une histoire de fiction qui ressemble à celle de plein de mères du genre, ce qui la rend universelle, mais aussi de plein de personnes qui ne sont pas victimes et de rencontrer des thématiques de société, tout en partageant un moment de cinéma.

Y a-t-il un dernier point du film avec lequel vous souhaiteriez clôturer cet entretien ?


A.D. : On nous pose souvent la question de ce que l’on veut faire avec ce film et je réponds que c’est notre rôle en tant que cinéaste d’attirer le regard et de l’orienter sur quelque chose. Si l’on peut faire parler de ce sujet, secouer le tapis en le rendant visible, cela permettra que des choses puissent se faire, même si on ne peut pas tout résoudre. Cela pourrait permettre à la justice de s’en emparer, de faire quelque chose, avec le milieu associatif aussi. Il faut que la parole circule avec le film. Notre volonté aussi était de mettre en avant qu’une présomption d’innocence fait qu’un faisceau de preuve ne sera pas considéré comme suffisant alors que s’il y en a un, on pourrait juste être dans un principe de précaution qui protège les enfants.

C.D. : C’est très juste et il y a aussi la question de la famille qui nous a été posée sur l’impact de ces violences, de l’inceste chez tous les membres. On a choisi la mère parce que c’est elle qui porte beaucoup de responsabilités et on le sait : quand il y a des violences dans sa famille, elle sera traitée comme victime mais également comme responsable mine de rien. Quel impact cela a sur les frères et sœurs ? C’est quelque chose d’important pour moi, notamment avec le personnage de la sœur. Elle met en avant la jeunesse qui s’empare du sujet. Quelle place a notre jeunesse aujourd’hui ? Quand on nous demande à qui est destiné ce film, je pense que c’est pour les gens qui en ont besoin, qu’ils aiment le cinéma ou veulent réfléchir sur le sujet. Ça peut être aussi un film d’éducation, dans le cadre de la formation. Des gens s’en emparent, n’importe qui, et c’est ça qui est chouette.




Propos recueillis par Liam Debruel

Merci à Valérie Depreeuw d’Obrother Distribution pour cet entretien.