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[CRITIQUE] : Rétrospective Marleen Gorris



Rétrospective Marleen Gorris en 2 films : Le Silence autour de Christine M. (1982) et Miroirs brisés (1984).

Distributeur: ExtraLucid Films





On ne le répétera jamais assez, à une époque où la cinéphilie se statue, selon une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie et, en ce sens, il n'y a rien de plus grisant que d'arpenter avec curiosité et enthousiasme, des filmographies qui nous sont totalement inconnues.

Notamment à travers les quelques cycles de ressorties que plusieurs petits distributeurs courageux, viennent dégainer chaque mercredi au cœur d'une distribution annuelle de plus imposante et écrasante.

Un tout petit mois après le petit cycle de trois films de la cinéaste hongroise Judit Elek - La Dame de Constantinople (1969), Peut-être Demain (1979) et La fête de Maria (1984) -, dégainé par ExtraLucid Films, place à une autre - petite - rétrospective essentielle, celle des deux premiers efforts de la réalisatrice néerlandaise Marleen Gorris, cinéaste féministe et engagée dont le militantisme (ses combats fémininistes comme son soutien à la cause LGBT) a nourrit une œuvre longtemps laissée de côté - voire conspuée -, quand bien même son magnifique Antonia et ses filles a eu les honneurs d'un Oscar du Meilleur film étranger (ce qui a fait d'elle la première cinéaste récompensé de toute l'histoire de la cérémonie).

Une pionnière au regard cru, brutal et sans concession (mais pas exempts de quelques envolées Fassbinderiennes splendides), à l'image même de la violence systémique infligée aux femmes d'hier comme d'aujourd'hui.
Inédits en France, les puissants Le Silence autour de Christine M. et Miroirs brisés sont désormais offert aux spectateurs dans des versions restaurées - pour ne rien gâcher -, deux déflagrations pures et dures tout autant provocante que rageuse, factuelles et dénué de tout misérabilisme - et voyeurisme - putassier.

Le Silence autour de Christine M. -INCREDIBLE FILM B.V.

La première s'attache à l'histoire de trois femmes ordinaires et inconnues les unes des autres (mais aussi diamétralement opposées, ce qui renforce le canevas tissé par la cinéaste), qui ont assassiné le gérant d’une boutique de prêt-à-porter, un geste sauvage et dénué d'empathie mais avant tout et surtout symbolique, qui trouve sa justification dans l'accumulation constante et méticuleuse de microagressions misogynes auxquelles ces femmes sont confrontées au quotidien, une réponse au rejet, aux humiliations comme à la violence directe comme indirecte, d'un patriarcat à l'oppression systémique étouffante.

Cri de rage - où plutôt rire - aux fausses allures de thriller procédural, contre un système qui réduit continuellement la femme au silence et au carcan restrictif du rôle de mère/épouse, où un simple déraillement fait aléatoirement exploser la cocotte-minute de leur condition et d'une domination écrasante, dans un acte brutal qui n'a pas besoin de discours - à l'image d'une Christine M. qui s'enfermera tout du long, dans un mutisme étrangement libérateur.
Lui aussi flanqué dans les rues d'Amsterdam et tout autant rageur, son second long-métrage, Miroirs brisés, explore encore un peu plus le déséquilibre du rapport de force comme la fracture entre les sexes, avec une vision plus radicale au détour de deux calvaires déchirants appelés à ne se croiser que dans les derniers instants : les existences brisées, d'où le titre, de Diane, épouse d'un toxicomane qui n'a d'autre recours que la prostitution dans une maison close pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur fils; et Bea, femme au foyer ordinaire kidnappée par un psychopathe dans une sorte de donjon bétonné où il aligne les polaroïds de toutes ses victimes.

Deux figures empathiques et finement croqués (qui ne résume pas qu'à leur statuts tragiques), victimes directes de la folie et de la perversité d'un homme qui a tous les pouvoirs sur elle (une victime des sévices d'un tueur en série, une autre consentie puisqu'elle vend son corps à la brutalité d'hommes l'objectivant, de facto, encore plus), qui piétine et abuse de leurs corps à son bon vouloir, dans une absence de culpabilité comme de justice inhérente à une société conditionnée à tolérer l'intolérable, et condamnant brutalement une rébellion pourtant légitime et essentielle.

Deux œuvres coups de poing qui n'ont n'ont perdu de leur force évocatrice même avec quatre décennies au compteur, deux (re)découvertes immanquables au sein d'un été cinéma 2025 qui les compte pourtant à le pelle.


Jonathan Chevrier