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[CRITIQUE] : Stranger Eyes


Réalisateur : Yeo Siew-hua
Acteurs : Lee Kang-sheng, Wu Chien-ho, Anicca Panna, Vera Chen,...
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Singapourien, Taïwanais, Français.
Durée : 2h04min

Synopsis :
Un jeune couple à la recherche de leur petite fille disparue découvre des enregistrements vidéo de leurs moments les plus intimes pris par un mystérieux voyeur, les conduisant à enquêter pour révéler la vérité derrière ces images – et sur eux-mêmes.


Trois mois après la disparition de leur fille, un jeune couple reçoit d’étranges DVD. Dessus, des vidéos d’eux, filmées à leur insu, surgies d’un passé qu’ils n’ont jamais choisi de partager. Qui est responsable de la disparition de la petite ? Cet étrange voyeur ? La grand-mère un peu trop présente ? Ou bien tout autre chose ?

Avec Stranger Eyes, son troisième long-métrage, le cinéaste singapourien Yeo Siew Hua s’impose comme une voix singulière du cinéma contemporain. Il orchestre un film à la frontière du thriller, du drame familial et du fantastique, dans lequel le réel se fissure doucement, jusqu’à devenir presque irréel.

Copyright Akanga Film Productions

Le cœur de Stranger Eyes, c’est la solitude. Celle d’une galerie de personnages qui ne savent plus comment se parler, sauf à travers les écrans : lives Twitch, caméras de surveillance, vidéos volées… Le monde semble fait de pixels, de reflets flous, d’images fantômes. Le voyeurisme devient leur langage universel. Yeo interroge alors ce que signifie encore l’intimité, la liberté ou l’identité à l’ère de l’hypersurveillance – et le fait avec une poésie visuelle faite d’un patchwork d’images.

Dans ce film, tout semble flou : les souvenirs, les visages, même les frontières. Le casting, cosmopolite, est composé d’acteurs et actrices venus de Singapour, de Taïwan, de Malaisie et même de France. Lee Kang-sheng, Wu Chien-ho, Vera Chen, Anicca Panna, Maryanne Ng-Yew, Pete Teo et Mila Troncoso sont issus de cinémas aux esthétiques multiples. Cette diversité nourrit le sentiment d’universalité – à l’écran comme dans le propos.
La ville elle-même est un personnage. Son centre commercial, filmé comme un lieu morne, incarne le cœur battant d’un monde qui s’effondre lentement. Il évoque autant la mélancolie d’une époque révolue que les décors d’un film post-apocalyptique. Les personnages y errent vêtus de t-shirts floqués de noms étrangers – “New York”, “San Francisco”, “Les Sardines” – comme autant de traces d’un ailleurs fantasmé, jamais atteint. Ils sont les enfants d’une hypermondialisation, déconnectés de toute racine.

Mais Stranger Eyes est surtout un film profondément humain, hanté par les liens familiaux. Darren et Peiying, jeunes parents modernes, oscillent entre amour et doute. Yeo explore la parentalité non comme une évidence, mais comme une construction fragile, faite de choix et d’hésitations. Des figures de pères et de grand-mères imparfaits se dessinent en miroir, avec une tendresse pudique et des non-dits parlants.

Copyright Akanga Film Productions

Le film flirte avec le fantastique à petites touches : visions fantomatiques, errances nocturnes dans un supermarché désert, communication par la musique entre deux âmes solitaires… Chez Yeo, le surnaturel n’est jamais tape-à-l’œil. Il glisse doucement, comme un rêve ou un souvenir oublié. Son cinéma devient celui du ressenti, de l’émotion sourde.
Plus qu’un thriller, Stranger Eyes est un poème. Un poème sur la perte, sur la solitude contemporaine, sur les visages que l’on croit connaître et que l’on ne regarde plus. Yeo Siew Hua transforme l’outil de surveillance – d’ordinaire brutal, froid, déshumanisant – en matière sensorielle, en langage cinématographique aussi beau qu’inquiétant.

Stranger Eyes est tout autant un poème onirique et nostalgique sur la solitude du monde moderne, qu’un thriller sur l’angoisse de l’hypersurveillance où les limites entre vie privée et vie publique s’effacent. Pour ce faire, Yeo Siew Hua propose un film labyrinthique où ses personnages se perdent dans leur enfant intérieur.


Éléonore Tain