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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Cycle Judit Elek en 3 films


Cycle Judit Elek en 3 films : La Dame de Constantinople (1969), Peut-être Demain (1979) et La fête de Maria (1984).




Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, selon une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.
Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.

Pour l'auteur de ces mots, la cinéaste hongroise Judit Elek, rescapée du ghetto de Budapest avant d'être diplômée de l'École supérieure d'art dramatique et cinématographique de Budapest, et de devenir l'une des pionnières du « cinéma direct » et une figure majeure de la nouvelle vague tchèque, n'était encore qu'un nom lu à l'arrachée au travers de quelques textes, malgré une carrière foisonnante.

On ne remerciera donc jamais assez ExtraLucid Films de permettre de corriger nos (grosses) lacunes avec la ressortie, en versions restaurées, de trois de ses efforts.
La Dame de Constantinople tout d'abord, son premier long-métrage - à la lisière du documentaire -, dont le titre original (Sziget a szárazföldön, littéralement Île sur le continent), traduit plus clairement l'isolement profond qui habite son personnage principale, le film se faisant le portrait à la fois douloureux et solaire d'une femme âgée (magnifique Manyi Kiss) persuadée par ses voisins de quitter son deux-pièces pour un plus petit, pour le simple fait qu'elle vit seule et que, compte-tenu du manque de logements au cœur de Budapest, elle ferait mieux de laisser son logement d'une vie à une famille.
Sa quête d'un nouvel appartement se fait alors chamboulement tout en rencontres incongrues contraste mélancoliquement avec la solitude dans laquelle elle vit.


Une narration en apparence simple, intime mais dénuée de tout sentimentalisme putassier, qui se fait pourtant le reflet réaliste d'une nation lessivée, rongée par la monotonie d'un quotidien sous le joug du communisme et de l'influence soviétique, porté tout autant par la photographie délicate d'Elemér Ragályi, que par la mise en scène enlevée et sophistiquée d'Elek, parsemée de petites touches surréalistes à la Tati.
De solitude, il en est à nouveau question avec le définitivement plus tragique Peut-être Demain, toujours aussi fidèle aux codes du cinéma direct et réaliste (une immédiateté encore une fois incroyable), vissé qu'il est sur l'intimité touchante et intense de l'union impossible entre deux âmes, un couple adultère malheureux dans leurs mariages respectifs, et sont les étreintes cachées ne sont que le seul répit d'une vie insatisfaisante, mais aussi d'une existence sous le régime de Kádár.


Deux êtres tout en incertitudes et évasifs, qui semblent repousser toute idée d'engagement - même celle d'un avenir commun -, soit le terreau parfait pour la cinéaste pour croquer un exposé vibrant et glacial sur la solitude, sur les occasions manquées mais aussi et surtout sur la complexité des relations humaines, et encore plus quand les sentiments rentrent dans l'équation.
Dernier opus de cette rétrospective - et sous fortes influences Bergmaniennes -, La fête de Maria, basé sur le journal de Júlia Szendrey, veuve du poète national Sándor Petőfi, se fait une oeuvre pleine d'amertume et embaumée par la maladie et mort, chronique estivale sous tension et tout en affrontements d'une famille aristocrate dans la Hongrie de 1866, qui permet à la cinéaste de sonder mélancoliquement le passé de sa nation tout comme son identité, tout en poursuivant sa propension à creuser, avec sensibilité, les méandres complexes de l'humanité entre querelles et communications avortées.


Le point final pittoresque et déchirant à ce qui est, clairement, l'une des rétrospectives immanquables de l'été.


Jonathan Chevrier