[CRITIQUE] : The Things You Kill

Réalisateur : Alireza Khatami
Acteurs : Ekin Koç, Erkan Kolçak Köstendil, Hazar Ergüçlü, Ercan Kesal,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Turc, Français, Polonais, Canadien.
Durée : 1h53min.
Synopsis :
Après plusieurs années aux Etats-Unis, Ali retourne s'installer en Turquie avec sa femme. Dans sa ville natale, il retrouve sa famille qui vit un enfer sous le joug terrible de son père. Aussi, lorsque sa mère décède dans des circonstances suspectes, Ali soupçonne-t-il rapidement son père. Aidé par un mystérieux rôdeur qu'il engage comme jardinier, le jeune homme mène une quête vengeresse qui va le confronter au pire des secrets...
On avait laissé le cinéma naissant du cinéaste iranien Alireza Khatami l'an dernier, alors qu'il signait en duo avec Ali Asgari (pour qui il avait chapeauté l'écriture du brillant Juste une nuit, odyssée sisyphéenne dans un Téhéran loin d'être accueillant, façon beau et édifiant portrait de femme determinée et indépendante qui embrassait totalement la cause d'une émancipation et d'un éveil social encore chimérique), l'excellent Chroniques de Téhéran (dont le titre original, Ayeh haye zamini, convoque directement les Vers terrestres de Forough Farrokhzad, poète persan tragiquement décédé à l'âge de 33 ans dans un accident de voiture), mise en images un brin Kafkaïenne de la crise étatique iranienne, véritable film à sketchs savamment irrévérencieux visant à fustiger la léthargie d'une bureaucratie locale qui pourrit littéralement la vie - déjà compliquée - de sa population.
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Copyright Le pacte |
Une séance qui surlignait un peu trop lourdement l'aspect impersonnel/inhumain de la bureaucratie (qui ne sont eux-mêmes, que des pions interchangeables du système, et donc tout autant des victimes), mais n'en restait pas moins joliment ludique, même dans la redondance de sa formule - filmé les sequences/témoignages en plan fixe/point de vue unique, exclusif aux citoyens/victimes.
Il est, assurément, moins question de ludisme (mais les accents Kafkaïens, voire même Lynchiens, sont eux toujours là) à la vision de son second long-métrage solo, The Things You Kill, odyssée personnelle et douloureuse dans les traumatismes nés d'une violence paternelle et patriarcale anxiogène, au plus près d'un professeur de littérature enseignant aux États-Unis, Ali, qui revient s'installer pour de bon dans sa Turquie natale et renouer ainsi avec le comportement autoritaire et brutal de son père, raison primordiale de son départ à l'autre bout du globe, et dont comportement violent envers une épouse partiellement paralysée et proie facile à sa tyrannie, ne fait qu'accentuer l'inversion/animosité du trentenaire envers lui.
Tout bascule, littéralement, lorsque sa mère décède dans des circonstances suspectes, poussant l'enseignant à se perdre dans une quête vengeresse chaotique et dévastatrice envers son irresponsable géniteur, terreau parfait qu'use Khatami pour explorer croquer un thriller âpre et Buñuelien en diable, sur les ravages de l'emprise aussi bien au cœur d'une famille tyrannisée (au plus près d'une victime implacable du patriarcat, elle-même incapable d'avoir sa propre descendance), que dans une nation déterminée à maintenir, à tout prix, cette hiérarchie agressive/répressive et la culture du statu quo.
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Chronique familial perturbante frappée d'accents surréalistes symbolisant l'instabilité refoulée et bordélique d'une identité insaisissable, à la fois en pleine mutation et férocement torturée par une violence héréditaire, The Things You Kill est une sacrée proposition, vrai/faux film noir qui n'a jamais peur de bifurquer vers un surnaturel ambigu et envoûtant, pour mieux provoquer un vertige indiscutablement troublant et poignant.
Vivement la suite de la carrière d'Alireza Khatami donc.
Jonathan Chevrier