[ENTRETIEN] : Entretien avec Caye Casas (Accident Domestique)
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Après avoir
cartonné en festival, Accident domestique (en version originale La mesita del comedor) débarque dans les salles auréolé d’une
haute réputation par sa noirceur et son ton grinçant. Nous avons eu l’occasion
d’échanger par mail interposé avec son réalisateur, Caye Casas, afin de creuser
un peu plus sur cette table en verre qui provoquera un événement tragique…
Je n'avais rien filmé depuis 5 ans et je n'avais aucun projet. Je pensais que je ne pourrais plus jamais faire un autre film. Mais je voulais essayer de faire un dernier film, un film qui serait puissant et que quiconque le verrait n'oublierait jamais. - Caye Casas
D’où vient l’envie de raconter
cette histoire ?
Je n'avais rien filmé depuis 5
ans et je n'avais aucun projet. Je pensais que je ne pourrais plus jamais faire
un autre film. Mais je voulais essayer de faire un dernier film, un film qui
serait puissant et que quiconque le verrait n'oublierait jamais. J'avais le
scénario de La mesita del comedor dans un tiroir depuis des années.
Je savais que je pouvais le faire avec un budget limité. Une amie m'a laissé
utiliser son appartement gratuitement alors nous avons franchi le pas et
l'avons tourné en seulement 10 jours. Je voulais raconter une grande tragédie
avec des touches d'humour noir, et en me basant sur des faits réels concernant
ce type d'accident. Nous voulions faire un film
effrayant, mais pas un film d’horreur typique. Ce n'est qu'une table de salle à
manger, un destin cruel et une tragédie qui pourrait arriver à n'importe lequel
d'entre nous.
Comment la table a-t-elle été
conçue pour avoir un look aussi particulier ?
Nous n'avions pas l'argent pour
créer une table mais nous étions clairs : nous voulions qu'elle soit kitsch,
moche et différente. Heureusement, un ami antiquaire avait cette petite table
qui traînait dans son entrepôt. Nous lui avons demandé s'il voulait nous la
vendre à un bon prix et il nous l'a donnée ! Nous l'avons peinte en or,
installé du verre incassable et elle est devenue la star du film. Maintenant je
l'ai chez moi, mais sans verre.
Dans quelle mesure était-il
important pour vous de garder l’accident hors champ ? Cela ajoute de la tension
et un manque de compréhension sur la façon dont l'accident a pu se produire, ce
qui, à mon avis, renforce la cruauté du film.
Nous l’avions clairement compris
dès l’écriture du scénario. L'imagination du public est parfois plus puissante
que si l'on voit des images explicites. C'est pourquoi les moments les plus
difficiles du film se déroulent hors champ. Il n’est pas nécessaire de s’attarder
là-dessus : il vaut mieux que les gens l’imaginent. Cela génère plus de
tension et fonctionne beaucoup mieux.
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Aviez-vous peur de franchir une
ligne d’insupportable dans le film ?
Je n'avais peur de rien, juste de ne pas pouvoir terminer le film en 10 jours et avec si peu d'argent. Je ne sais pas
m’autocensurer et je ne le fais pas. La seule bonne chose quand on fait des
films indépendants, c'est la liberté : j'écris et je tourne en toute liberté,
pour le meilleur et pour le pire. Je savais que cette histoire allait générer
des émotions très fortes. C’est ce que nous recherchions et je suis fier de
voir que nous y sommes parvenus. Comme je l’ai déjà mentionné, quiconque verra
le film ne l’oubliera pas.
Comment était le travail
avec votre casting ?
Sensationnel ! Nous nous sommes
enfermés dans l'appartement où nous avons tourné pendant une semaine pour
répéter. Nous avons répété pendant de nombreuses heures, jusqu'à ce que les
acteurs connaissent bien leurs personnages, les dialogues, les mouvements, les
sensations. Cette semaine a été la clé pour pouvoir tourner le
film dans un délai aussi limité. Certains acteurs avaient déjà travaillé avec moi mais je ne connaissais pas d'autres personnellement et leur attitude était
vraiment merveilleuse.
Votre mise en scène utilise de
nombreux gros plans pour étouffer le personnage principal. Était-ce déjà une
intention visuelle avant le tournage ?
Oui, j'aime les gros plans pour
créer de la claustrophobie, de l'inconfort, ... pour être au-dessus de la
souffrance du personnage. C'est aussi mon style, et quand la situation est la
plus tendue, avoir le personnage en très gros plan vous étouffe.
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À quel point pensez-vous que la
frontière entre l’humour très, très noir et l’inconfort est fragile lors de la
conception d’un film comme celui-ci ?
C'est ma marque de fabrique :
j'aime mélanger les genres et incorporer de l'humour noir dans une grande
tragédie, comme la vie elle-même. La vie n’est pas un genre, elle est multiple.
Je donne toujours l'exemple que; parfois, vous êtes à un enterrement et l'humour
surgit. La vie peut être contradictoire et la même chose se
produit dans mes films.
Vous décrivez très vite une
structure familiale fragile, Jésus cherchant à s'affirmer avec cette table et
Marie lui reprochant de vouloir tout contrôler. Étiez-vous intéressé de jouer
avec cette représentation plus « tangible » du couple ?
Je voulais représenter un couple
en crise, qui ne traverse pas son meilleur moment. Il y a de la
tension entre eux dès la première minute. C'est un couple qui s'aime, mais à ce
moment-là, ils ne vont pas bien. Cela est arrivé à tous ceux qui ont un
partenaire. Si j'étais représenté dans un mauvais moment avec mon
partenaire, ce ne serait certainement pas agréable et c'est ce que je voulais.
L'implication du frère et de sa
jeune compagne apporte une nouvelle dynamique, que ce soit en raison de la
différence d'âge, de la « naïveté » de la compagne, ou simplement de leur
alchimie plus « jeune » par rapport à celle de Maria et Jésus. Comment
avez-vous pensé ce couple secondaire par rapport au couple principal ?
L’une des clés de la tension du
film est que les seuls qui savent ce qui s’est passé sont le protagoniste et le
public ; les autres personnages n'en ont aucune idée. C'est très puissant car
cela fait du spectateur le protagoniste émotionnel. Le frère, qui
vient avec impatience pour faire la fête, et sa jeune petite amie, qui est
comme une petite fleur au milieu de l'enfer, transforment cette situation de
discussion familière de toutes sortes de sujets avec une innocence totale en
des moments gênants et très difficiles, ce qui conduit également à un humour noir
involontaire.
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La façon dont vous filmez
l'appartement contribue également au sentiment d'étouffement du public, car le
décor semble écrasant, ce qui, je pense, offre une vision différente de la vie
quotidienne détruite par le drame. Comment avez-vous travaillé sur ce plateau ?
La
directrice artistique Cristina Borobia était claire : tout l'appartement devait
avoir un aspect antique, à l'exception de la chambre du bébé. Là, l'explosion
de couleurs devait être maximale, afin de contraster avec le
reste de la maison, qui devient un véritable enfer.
Comment vivez-vous la diffusion
du film, notamment compte tenu des critiques élogieuses dans les festivals ?
Tout ce qui nous arrive est en
réalité un rêve. Quand on fait un film 100% indépendant, ultra low cost, où on
ne dépense pas un euro en publicité parce qu'on n'en a pas, on n'imagine pas
pouvoir toucher autant de pays. Mais, malgré le fait que les débuts aient été
très difficiles, nous avons commencé à remporter des prix dans des
festivals du monde entier, devenant le film de genre le plus récompensé de
2023. Et pour couronner le tout, un certain Stephen King nous a demandé de voir
le film et, par l'intermédiaire du maître Mick Garris, nous le lui avons envoyé. Il l'a regardé, l'a adoré et l'a recommandé publiquement sur ses réseaux
sociaux. Ça ne pourrait pas être mieux !
Y a-t-il une scène particulière
du film sur laquelle vous aimeriez revenir ?
Pendant le tournage, j'ai inventé
une nouvelle fin, beaucoup plus macabre et cruelle, mais par manque de temps et
d'argent, je n'ai pas pu la tourner... C’est dommage car c'était la fin la plus
macabre que j'aie jamais vue.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Blanche Aurore Duault de
l’agence de communication MIAM pour avoir servi d’intermédiaire pour cette
interview.