[CRITIQUE] : Ingeborg Bachmann
Réalisatrice : Margarethe von Trotta
Acteurs : Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld, Tobias Resch, Basil Eidenbenz,...
Budget : -
Distributeur : Splendor Films
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Allemand, Suisse, Autrichien, Luxembourgeois.
Durée : 1h52min
Synopsis :
A trente ans, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est au sommet de sa carrière lorsqu'elle rencontre le célèbre dramaturge Max Frisch. Leur amour est passionné mais des frictions professionnelles et personnelles commencent à perturber l'harmonie.
Chaque critique du genre nous fait, inlassablement et ironiquement dans le même tempo, répéter la même chose, et c'est au moins tout autant frustant de l'écrire que de le mirer en salles.
Dans un paysage cinématographique - pas uniquement Hollywoodien - dominé/gangrenné par des projets simplistes usant inlassablement la même formule établie et éprouvée, il y a une certaine ironie (quelques-uns parleront peut-être de karma, pourquoi pas) dans le fait que le genre que l'on considère à la fois le plus cheap et confondant de banalité - le biopic, surtout dans son penchant propret et académique -, ne cesse d'abreuver le planning des sorties chaque mercredi.
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Difficile dès lors de se passionner pour la moindre incursion dans le genre, tant rares sont les cinéastes qui se bornent un tant soit peu à essayer de se délester de cette popote familière et redondante de l'hagiographie Wikipedia-esque, avec des histoires aux ingrédients un chouia plus ambitieux, pensées autant pour divertir que pour instruire leur auditoire.
On ne partait donc pas forcément enthousiaste - malgré la présence en vedette de la (toujours) merveilleuse Vicky Krieps - à la potentielle vision de Ingeborg Bachmann signé Margarethe von Trotta (qui est présente par deux fois dans nos salles obscures cette semaine, avec L'Amie), figure majeure de la Nouvelle Vague allemande et coutumière du procédé, annoncée comme une mise en images vendue ciblée de la vie de l'intellectuelle et poétesse autrichienne éponyme, majoritairement à travers le prisme de sa relation avec le dramaturge suisse Max Frisch.
Monumentale erreur, tant la cinéaste octogénaire établit une correspondance intellectuelle et artistique à la fois délicate et sensible avec son sujet, jouant moins la carte d'une hagiographie facile que celle d'un portrait infiniment cultivé sur un personnage en conflit permanent avec sa créativité comme avec ses désirs et la société en elle-même, à l'image de son idylle malade et tourmentée que la cinéaste retranscrit froidement, dominée par l'emprise d'un homme toxique qui pense la culture comme un moyen d'accroître son pouvoir psychologique sur elle et sa liberté/lucidité littéraire.
Le refus des conventions de von Trotta se retrouve jusque dans sa volonté d'arborer une narration non linéaire et bardée d'analogies, où s'intercalent quelques séquences salutaires de voyage qui agissent comme des échappées sereines, des légers instants de répit pour une âme blessée qui a faim d’amour, de vie et de passion.
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Pas un petit exercice de cinéaste funambule, Ingeborg Bachmann réussit la prouesse de voguer sur son propre groove biopic-esque à la fois rafraîchissant et familier, Margarethe von Trotta arrivant à résumer toute la complexité créative comme les tourments intérieurs d'une écrivaine exceptionnelle, en créant une véritable connexion émotionnelle avec elle et ce, quand bien même elle tombe dans l'écueil le plus dommageable de toute biographie féminine : la réduire, même en partie, à ses amours.
Imparfait donc, mais passionnant tout de même, en grande partie pour sa facture soignée et la partition exceptionnelle de Vicky Krieps.
Jonathan Chevrier