[ENTRETIEN] : Entretien avec César Diaz (Mexico 86)
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© ESTHER SANCHEZ - AFP - RTBE.be // © BAC Films |
Révélé par son brillant premier
long-métrage Nuestras Madres, César Diaz revient avec une fiction
toujours aussi politique mais virant vers d’autres tonalités. C’est justement
par ce qu’il prolonge tout en se démarquant que Mexico 86 mérite
la découverte et nous a poussé à une discussion chargée avec ce talentueux
réalisateur.
[Il est recommandé de lire cet
entretien après avoir vu le film.]
Au tout début, j’avais commencé à écrire l’histoire d’une nounou guatémaltèque travaillant à Bruxelles, qui avait laissé ses enfants au Guatemala et s’occupait de deux petits en Belgique. Un jour, sa mère l’appelait pour lui dire que son enfant tournait mal et qu’il arrivait le lendemain à Bruxelles. - César Diaz
Comment est né Mexico 86 ?
J’avais envie de traiter la
question mère-fils, que j’avais déjà traitée dans Nuestras Madres,
mais de manière différente. Comment est-ce qu’on crée ces rapports ?
Comment les liens biologiques ne suffisent pas pour le faire ? Pour moi,
votre père ou votre mère, c’est la personne qui se lève la nuit, vous donne à
manger, vous aime, vous emmène à l’école, … Bref, c’est la personne qui est là.
Pour moi, c’est le temps et la présence qui créent ce rapport. Au tout début,
j’avais commencé à écrire l’histoire d’une nounou guatémaltèque travaillant à
Bruxelles, qui avait laissé ses enfants au Guatemala et s’occupait de deux
petits en Belgique. Un jour, sa mère l’appelait pour lui dire que son enfant
tournait mal et qu’il arrivait le lendemain à Bruxelles. Le film montrait alors
comment cet ado venait et bouleversait la vie de cette femme. Pour moi, c’était
assez émouvant car cela faisait 10 ans qu’elle ne l’avait pas vu. Le gros
problème de ce film était que je n’ai jamais réussi à dépasser la question
migratoire. À chaque fois, les retours que j’avais des lecteurs, des script
doctors et même des productrices étaient des questions sur comment elle a eu
ses papiers, pourquoi elle ne l’avait pas fait venir, … Pour moi, on s’en fout
de tout ça. Ce qui m’intéresse, c’est cet enfant-là qu’elle n’a pas vu depuis
10 ans, comment elle s’occupe des deux petits ici et comment il est
terriblement jaloux que le métier de sa mère implique un amour inconditionnel
envers ces petits alors qu’il se sent mal-aimé. Je n'ai jamais réussi à aller
plus loin. Tout ça, c’est ma faute dans un sens où, si les gens ne
comprennent pas, ce n’est pas qu’ils sont bêtes. Comme auteur, on n’a pas
réussi à les atteindre. Du coup, je me suis demandé d’où venait tout ça. J’ai
vécu chez ma grand-mère et je n’ai revu ma mère que dix ans après son départ.
Quand je l’ai revue, je ne l’appelais pas « Maman » mais j’utilisais
son prénom, ce que je fais encore. Ma mère était ma grand-mère. Même si on
était ensemble, on se rapprochait plus de frère et sœur qui partageaient un
appartement. Pardon, c’était très long ! (rires)
Non, c’était justement
passionnant à écouter ! C’est vrai qu’un point que j’aime beaucoup se
trouve dans ces plans qui lient l’aspect familial à l’aspect politique, comme
ce plan dans le restaurant ou l’assassinat. Aviez-vous des idées de mise en
scène précises par rapport au sujet du film ?
J’avais envie de faire un thriller politique très lié au cinéma américain des années 70 comme Bullitt, French Connection, Running on empty, des films que j’aime beaucoup, avec la présence de la question politique mais aussi des questions humaines hyper présentes. On savait qu’on n’avait ni l’envie ni l’ambition ni les moyens de faire un film comme ça. Il fallait trouver un langage particulier tout en racontant à travers tout ça un thriller politique avec tout ce qui va avec. Pour moi, le pari était de rester au plus près des personnages. Je me souviens que, lorsqu’on est arrivé au Mexique, on nous a montré plein de jouets avec notamment une grosse voiture qui suit et autour de laquelle on peut tourner un plan à 360 degrés. Je leur ai dit tout de suite qu’on s’était mal compris : on va rester à l’intérieur de la voiture avec Bérénice, malgré les coups de feu. Tout le monde m’a regardé en me demandant si j’étais sûr. Le pari du film était de maintenir un point de vue cinématographique fort tout le long du film au milieu d’un thriller politique.
C’est intéressant car il y a de
plus en plus de voix reprochant aux œuvres culturelles d’être politiques. Quel
est votre avis sur la question ?
On ne peut pas dissocier les
deux. Quelque part, tout est
politique : chaque acte qu’on pose, en société ou dans l’intime, est
politique. J’ai un garçon et une fille et élever un garçon avec des valeurs
humanitaires et féministes est politique. On ne peut pas les dissocier.
Évidemment que faire un film est un acte politique. On amène les gens à avoir
un dialogue avec le film à travers l’écran, à se poser des questions sur
l’engagement, la maternité, ce qu’on est prêt à payer pour changer la société, …
Je trouve que c’est de la mauvaise foi de dire qu’on ne doit pas rentrer en
politique. Ça n’a pas de sens.
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Quelles sont les différences que
vous avez ressenties avec le tournage de Nuestras madres ?
Je voulais sortir de ma zone de
confort, qui est de faire un film avec des non professionnels préparé pendant
six mois avant que la caméra n’arrive vers la fin. Là, j’avais envie de sortir
de là car je connais l’industrie, où je suis depuis un bon nombre d’années, et
que je ne voulais pas garder cette étiquette « auteur qui sait faire des
films avec des non professionnels dans un langage documentaire ». Du coup,
je me suis dit que je voulais avoir des acteurs et tourner autrement, payer un
peu mon ticket pour l’industrie. C’est pour ça que je dis qu’on a fait ce qu’on
voulait faire. Bérénice est arrivée une semaine avant le tournage, on avait
travaillé en amont sauf qu’avec elle, quand on lui demande de faire un plan
d’une certaine manière, c’est réglé dès la prise suivante. J’avais envie de
montrer que je pouvais faire autre chose, poser un défi à moi-même et à
l’équipe. On a fait un film d’époque avec des courses poursuites, des tirs et
des comédiens connus qui font dix films dans l’année, arrivent quelques jours
avant le tournage et font leur travail avant de se mettre dans un nouveau
projet. J’avais envie de me prouver à moi-même que j’étais capable de faire un
film comme ça.
Entre vos deux films, vous avez
travaillé sur le montage d’un autre long-métrage, Infiltrée de
Justin Lerner. Quelle était votre expérience sur ce poste ?
J’ai monté beaucoup de films
avant et c’est quelque chose qui a été très dur pour moi après la Caméra d’or parce
que c’est un moment que j’apprécie énormément. Pour moi, l’écriture d’un film
se fait in fine sur une table de montage, même si on continue encore à l’écrire
au mixage et à l’étalonnage. C’était dur car personne ne m’appelait ! Même
les producteurs me disaient qu’ils ne voulaient pas deux réalisateurs dans la
salle de montage. Justin est venu avec cette idée et, surtout, avec l’envie de
questionner la matière. C’était un vrai plaisir même si c’était hyper dur car
il était à Los Angeles et que j’étais à Bruxelles donc mes journées démarraient
à 20h. On travaillait jusqu’à 1h-2h du matin et après, j’avais les petits à
amener à l’école. Je suis content du résultat et je pense qu’on a fait une
jolie carrière avec le film. Ici, il en fait un autre et on discute pour que je
travaille également dessus donc c’est plutôt chouette.
On se rencontre dans le cadre du
Love International Film Festival de Mons, vous avez été récompensé à Cannes, …
Quelle est votre vision des festivals de cinéma, notamment dans la transmission
de films ?
Je pense qu’ils sont essentiels ! Ce n’est pas pour rien que j’organise le Kinolatino à Bruxelles. Pour moi, ce sont les plateformes qui aident à diffuser des films qui pourraient ne pas être distribués mais également le moyen pour faire venir le public. On vit un moment contradictoire : avant, il y avait des films qui fonctionnaient de la même façon. Maintenant, on a des films qui fonctionnent très très bien et d’autres pas du tout. Je pense que les festivals peuvent aider avec les films qui ne fonctionnent pas car ils sont intéressants et peuvent trouver une nouvelle carrière. C’est aussi pour ça que j’accompagne le film dans ses projections.
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Est-ce qu’il y a un point du film
sur lequel vous auriez bien voulu revenir plus longuement ?
Pour moi, il y a un moment dans
le film dont personne ne parle mais qui est essentiel, c’est que le fils fait
le choix de partir. À un moment donné, quand l’enfant se rend compte de qui est
sa mère et qu’il voit qu’elle ne changera pas, il la délivre presque de cette
responsabilité. J’étais content d’avoir trouvé ça dans le scénario. Le défi de
tout ça était qu’on ne juge pas cette femme, en lui demandant après 30 minutes
de s’occuper de son enfant. Le fait que ce soit lui qui la délivre était très
fort à mes yeux. C’est le parcours de ce personnage qui se rend compte à 11-12
ans de l’enjeu des actions de sa mère et de l’importance de son combat en lui
demandant de le faire.
C’est vrai que vous perpétuez
cette question de l’héritage et de la maternité, notamment en revenant sur une
histoire peut-être pas nécessairement connue par le grand public. À quel point
est-ce important pour vous de raconter pareille histoire dans une actualité
aussi chargée ?
Pour moi, ce qui est intéressant,
c’est comment le sujet de l’engagement revient aujourd’hui en force. J’espère
qu’en Europe, on ne devra jamais faire ce genre de choix. En tout cas, se poser
la question me paraît pertinent : à quel point la défense des idéaux, de
la démocratie, d’un pays, de la liberté a un prix et est-ce qu’on est prêt à le
payer aujourd’hui ? Je ne sais pas mais se poser la question me paraît
essentiel.
Entretien réalisé par Liam Debruel
Merci à Valentine Tzamos et
Valerie Cornelis de Com des Demoiselles ainsi qu’au Love International Film
Festival de Mons pour cet entretien.