[CRITIQUE] : Le clan des bêtes
Réalisateur : Christopher Andrews
Acteurs : Christopher Abbott, Barry Keoghan, Colm Meaney, Paul Ready, Nora-Jane Noone,...
Budget : -
Distributeur : New Story
Genre : Thriller.
Nationalité : Britannique, Irlandais, Belge.
Durée : 1h46min
Synopsis :
Un berger irlandais est entraîné dans un conflit violent avec une ferme voisine, lorsque ses moutons sont attaqués par des inconnus...
Le cinéma irlandais est définitivement hanté par les conflits du passé. Que ce soit en reconstitution historique, ou alors en héritage de violence. Il y a une bonne partie des films de Jim Sheridan, de Neil Jordan, Bloody Sunday de Paul Greengrass, Le vent se lève de Ken Loach, Hunger de Steve McQueen, Les banshees d'Inisherin de Martin McDonagh, Calm with horses de Nick Rowland. Le clan des bêtes, premier long-métrage de Christopher Andrews, est dans cette lignée. Dans tous ces films, la violence est toujours corrélée à des contextes social et intime fragiles, éreintants. Ici, deux familles de bergers se querellent depuis longtemps. L'une a un père malade et une mère décédée, l'autre a des problèmes financiers. Pourtant, à leur manière respective, ils ont l'objectif d'assurer la survie de leur ferme et de leur troupeau de moutons.
Le premier geste du cinéaste se révèle dès sa première scène (un flashback installant le contexte du conflit), en montrant un paysage tout sauf idyllique, ou jovial, ou vigoureux. De nombreux arbres sont à terre, d'autres ont perdus des branches ou des feuilles. La boue est omniprésente, tout comme la brume et le manque de soleil jusqu'à perte de vue, puis les routes sont dangereuses. Comme s'il s'agissait d'un territoire lointain où toute vie et tout végétal ont cessé de se développer, là où une poignée de personnes tentent pourtant de survivre en perpétuant des traditions. Et pourtant, les deux fils protagonistes (incarnés par Christopher Abbott et Barry Keoghan) sont filmés différemment dans ce paysage. Deux façons d'exercer le métier de berger. Le premier se fond dans le paysage et l'ouverture du cadre à celui-ci, comme s'il était fait pour cela. Le second, émotionnellement renfermé, est toujours dans la rupture – comme si son corps était une couche étrangère superposée à ce paysage.
Toutefois, ce paysage irlandais ne se résume pas qu'à cela. Sa rudesse les impacte tous, car au-delà des propriétés privées se trouve la même terre à arpenter chaque jour. Jusqu'à se disputer l'autorité à tel ou tel endroit, et même l'acquisition de moutons perdus. A partir de là, Michael et Jack sont comme des vagabonds de leur propre vie. Perdus dans ce paysage isolé, et perdus dans l'organisation de ce qui constitue leur quotidien. Le cinéaste pousse l'idée jusqu'à donner une place importante à la nuit, aux scènes d'obscurité. Là où les personnages sombrent de plus en plus, où la haine grandit en eux, dans une ambiance anxiogène faite d'urgences et de sauvagerie cachée. Jusqu'à chasser l'homme.
Le deuxième geste du cinéaste est de proposer un néo-western. Pas vraiment un film de vengeance, mais un film de querelle où l'homme fait ressortir ses pires penchants machiste, toxique et avide de pouvoir. Un néo-western également parce que malgré l'acharnement apparent des personnages dans ce conflit, le film reste plutôt calme et revient vite à une "insignifiance" (la place de l'humain dans ce monde isolé) dès lors qu'il tend à s'intensifier. Néo-western enfin parce qu'il y a un choix narratif important, ne cherchant pas à explorer les causes et l'esprit de vengeance, mais à étudier les conséquences respectives. Chaque point de vue est important, nous dit cette rupture narrative. Parce que dans un conflit, deux camps existent, et ils apportent des nuances essentielles à la compréhension de l'atmosphère.
Christopher Abbott ne cherche aucun antagoniste, ni à juger ou blâmer aucun personnage. Les traditions, qu'elles soient communes ou familiales, sont le réel poids poussant à ne pas désamorcer la situation. Même la présence du dialecte irlandais gaélique est à la fois le symbole des traditions chères aux coeurs et celui d'une frontière invisible. La rupture narrative au sein de ce néo-western est aussi l'occasion de dégonfler la métaphore biblique qui se dégage de l'ensemble (et souvent assez lourde, surlignée). Parce que la catharsis ici n'existe pas, alors les deux points de vue (des deux protagonistes fils de bergers) montrent que l'existence de souffrances respectives n'est pas l'occasion de créer un rapprochement et de l'entraide, mais une occasion d'essayer d'évacuer ces sentiments en assurant sa survie aux dépens des autres.
Le troisième geste du cinéaste est d'aborder son récit comme quelque chose de plus fourni qu'un simple thriller de voisinage, qu'une simple histoire de vengeance. Notamment grâce à la rupture narrative, le comportement des personnages masculins n'apparaît plus comme une chasse animale gratuite. La sensibilité des deux protagonistes se renforce, à la fois par un amour contrarié et par une peur de l'abandon parental. Le clan des bêtes est donc petit à petit davantage qu'un thriller, parce qu'il y a dans son atmosphère vénéneuse, sanglante, colérique et aride une déflagration des intimités. Même si le film met une bonne demi-heure à installer son ambiance et à installer ses points importants, il est surtout intéressant dans l'errance et l'obscurité qui dévorent progressivement ce qui définit les âmes (leur rôle dans ce paysage) et ce qui constitue la sérénité passée de ce territoire.
Teddy Devisme
Acteurs : Christopher Abbott, Barry Keoghan, Colm Meaney, Paul Ready, Nora-Jane Noone,...
Budget : -
Distributeur : New Story
Genre : Thriller.
Nationalité : Britannique, Irlandais, Belge.
Durée : 1h46min
Synopsis :
Un berger irlandais est entraîné dans un conflit violent avec une ferme voisine, lorsque ses moutons sont attaqués par des inconnus...
Le cinéma irlandais est définitivement hanté par les conflits du passé. Que ce soit en reconstitution historique, ou alors en héritage de violence. Il y a une bonne partie des films de Jim Sheridan, de Neil Jordan, Bloody Sunday de Paul Greengrass, Le vent se lève de Ken Loach, Hunger de Steve McQueen, Les banshees d'Inisherin de Martin McDonagh, Calm with horses de Nick Rowland. Le clan des bêtes, premier long-métrage de Christopher Andrews, est dans cette lignée. Dans tous ces films, la violence est toujours corrélée à des contextes social et intime fragiles, éreintants. Ici, deux familles de bergers se querellent depuis longtemps. L'une a un père malade et une mère décédée, l'autre a des problèmes financiers. Pourtant, à leur manière respective, ils ont l'objectif d'assurer la survie de leur ferme et de leur troupeau de moutons.
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Copyright Patrick Redmond |
Le premier geste du cinéaste se révèle dès sa première scène (un flashback installant le contexte du conflit), en montrant un paysage tout sauf idyllique, ou jovial, ou vigoureux. De nombreux arbres sont à terre, d'autres ont perdus des branches ou des feuilles. La boue est omniprésente, tout comme la brume et le manque de soleil jusqu'à perte de vue, puis les routes sont dangereuses. Comme s'il s'agissait d'un territoire lointain où toute vie et tout végétal ont cessé de se développer, là où une poignée de personnes tentent pourtant de survivre en perpétuant des traditions. Et pourtant, les deux fils protagonistes (incarnés par Christopher Abbott et Barry Keoghan) sont filmés différemment dans ce paysage. Deux façons d'exercer le métier de berger. Le premier se fond dans le paysage et l'ouverture du cadre à celui-ci, comme s'il était fait pour cela. Le second, émotionnellement renfermé, est toujours dans la rupture – comme si son corps était une couche étrangère superposée à ce paysage.
Toutefois, ce paysage irlandais ne se résume pas qu'à cela. Sa rudesse les impacte tous, car au-delà des propriétés privées se trouve la même terre à arpenter chaque jour. Jusqu'à se disputer l'autorité à tel ou tel endroit, et même l'acquisition de moutons perdus. A partir de là, Michael et Jack sont comme des vagabonds de leur propre vie. Perdus dans ce paysage isolé, et perdus dans l'organisation de ce qui constitue leur quotidien. Le cinéaste pousse l'idée jusqu'à donner une place importante à la nuit, aux scènes d'obscurité. Là où les personnages sombrent de plus en plus, où la haine grandit en eux, dans une ambiance anxiogène faite d'urgences et de sauvagerie cachée. Jusqu'à chasser l'homme.
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Copyright Patrick Redmond |
Le deuxième geste du cinéaste est de proposer un néo-western. Pas vraiment un film de vengeance, mais un film de querelle où l'homme fait ressortir ses pires penchants machiste, toxique et avide de pouvoir. Un néo-western également parce que malgré l'acharnement apparent des personnages dans ce conflit, le film reste plutôt calme et revient vite à une "insignifiance" (la place de l'humain dans ce monde isolé) dès lors qu'il tend à s'intensifier. Néo-western enfin parce qu'il y a un choix narratif important, ne cherchant pas à explorer les causes et l'esprit de vengeance, mais à étudier les conséquences respectives. Chaque point de vue est important, nous dit cette rupture narrative. Parce que dans un conflit, deux camps existent, et ils apportent des nuances essentielles à la compréhension de l'atmosphère.
Christopher Abbott ne cherche aucun antagoniste, ni à juger ou blâmer aucun personnage. Les traditions, qu'elles soient communes ou familiales, sont le réel poids poussant à ne pas désamorcer la situation. Même la présence du dialecte irlandais gaélique est à la fois le symbole des traditions chères aux coeurs et celui d'une frontière invisible. La rupture narrative au sein de ce néo-western est aussi l'occasion de dégonfler la métaphore biblique qui se dégage de l'ensemble (et souvent assez lourde, surlignée). Parce que la catharsis ici n'existe pas, alors les deux points de vue (des deux protagonistes fils de bergers) montrent que l'existence de souffrances respectives n'est pas l'occasion de créer un rapprochement et de l'entraide, mais une occasion d'essayer d'évacuer ces sentiments en assurant sa survie aux dépens des autres.
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Copyright Patrick Redmond |
Le troisième geste du cinéaste est d'aborder son récit comme quelque chose de plus fourni qu'un simple thriller de voisinage, qu'une simple histoire de vengeance. Notamment grâce à la rupture narrative, le comportement des personnages masculins n'apparaît plus comme une chasse animale gratuite. La sensibilité des deux protagonistes se renforce, à la fois par un amour contrarié et par une peur de l'abandon parental. Le clan des bêtes est donc petit à petit davantage qu'un thriller, parce qu'il y a dans son atmosphère vénéneuse, sanglante, colérique et aride une déflagration des intimités. Même si le film met une bonne demi-heure à installer son ambiance et à installer ses points importants, il est surtout intéressant dans l'errance et l'obscurité qui dévorent progressivement ce qui définit les âmes (leur rôle dans ce paysage) et ce qui constitue la sérénité passée de ce territoire.
Teddy Devisme