[CRITIQUE] : The Gazer
Réalisateur : Ryan J. Sloan
Acteurs : Ariella Mastroianni, Marcia DeBonis, Renee Gagner, Jack Alberts,...
Budget : -
Distributeur : UFO Distribution
Genre : Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Frankie est atteinte d'une maladie dégénérative qui l’empêche de se repérer le temps. Encline à la paranoïa et sujette à des pertes de consciences fréquentes, elle enregistre des messages sur des cassettes pour se repérer et assurer sa sécurité. Incapable de trouver un travail stable dans son état, en quête d’argent pour récupérer la garde de sa petite fille, elle accepte une mission proposée par une femme aux intentions troubles...
Le jeu des comparaison est, sensiblement, toujours un poil vulgaire - voire putassier, d'autant plus quand il n'est pas usé avec pertinence - quand bien même plus d'un cinéaste assume, avant même que leurs œuvres ne soient placés devant le regard critique (plus où moins affûté) du spectateur, des affiliations/références qui poussent, justement, à la comparaison.
Dans ce sens, Ryan J. Sloan pousse le bouchon encore un peu plus loin que Maurice le poisson rouge (shame on you si tu n'as pas la référence) avec son premier long-métrage, The Gazer, tant il se place volontairement au carrefour de très nombreuses références/influences pas forcément toujours bien digérées, quand bien même il reste de tout son long vissé sur le désir ardent - et louable - d'incarner une expérience un tant soit peu originale, quitte à s'embourber dans une narration toute aussi bordélique qu'un poil frustrante (tant elle pose infiniment plus de questions qu'elle ne donne de réponses), notamment dans son dénouement.
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Une oeuvre de funambule plus où moins adroite en somme, faite avec trois bouts de ficelles et un coeur gros comme ça, mais qui s'avère suffisamment singulière et ambitieuse (et encore plus au sein du cinéma indépendant US actuel) pour ne pas passer inaperçue.
À l'instar du Memento de Christopher Nolan où l'on est intimement propulsé dans l'état d'esprit chaotique et de la mémoire endommagée de Leonard Shelby, Sloan, aidé d'Ariella Mastroianni - à la fois comédienne et co-scénariste du film -, nous jete au cœur même de la perception biaisée du monde de son héroïne titre, Frankie, une mère encore fraîchement veuve qui n'a de cesse d'observer des inconnus comme d'écouter ses longs monologues enregistrés sur des cassettes audios, pour garder le cap sur une existence où elle est - quasiment - isolée de tous.
Une réalité à la dérive totalement vampirisée par les limites de sa maladie neurologique : la dyschronométrie, un trouble des fonctions motrices qui bouscule ses sens au point qu'elle semble incapable de pouvoir mesurer le temps qui passe.
S'accrochant comme elle le peut à une existence bouffée par la maladie et la précarité, qui l'empêche de rester auprès de la prunelle de ses yeux (sous la tutelle d'une belle-mère férocement hostile), elle se voit malgré elle entraîner dans un bourbier sans nom (une femme mystérieuse lui offre une opportunité tentante : l'aider à échapper à son frère violent pour 3 000 dollars, sauf qu'elle va disparaître et avant que Frankie ne puisse récupérer son argent), dont elle aura bien du mal à se dépêtrer...
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Cadre Hitchcockien (un New Jersey désolé et craspec, vrai personnage à part entière) sous fond de thriller paranoïaco-noir et urgent so 70s (photographie granuleuse, format 16 mm et score angoissant à la clé), qui lance des perches tout aussi bien à De Palma (Sisters), Nolan (Memento donc, mais aussi et surtout à Following), Altman (Le Privé) et Cronenberg (Videodrome, dans des séquences oniriques façon hommage dispensable), qu'il tente d'interroger son auditoire sur la nature même de la perception (que l'on a du monde, des autres mais aussi et surtout en soi-même); The Gazer, bout de cinéma tout autant épuré et sinueux qu'un brin décousu sur les bords, séduit néanmoins pour son joli esprit underground que l'on pensait perdu outre-Atlantique, vissé qu'il est sur le naturel hypnotisant d'une Mastroianni qui a tout d'un phare désespérée dans la pénombre.
Peut-être l'avènement d'un cinéaste à suivre, mais assurément celui d'une comédienne que l'on a pas envie de quitter des yeux.
Jonathan Chevrier