[ENTRETIEN] : Entretien avec Stéphane Ly-Cuong (Dans la cuisine des Nguyen)
![]() |
© Olivier Vigerie / © Respiro Productions |
En s’attaquant au domaine musical avec Dans la cuisine des Nguyen, Stéphane Ly-Cuong propose un premier long-métrage drôle et pétillant mais également touchant par ses réflexions. Au vu du grand plaisir procuré par ce film, il était évident pour nous de contacter le réalisateur pour pouvoir échanger un peu sur les comédies musicales et le développement de ce petit coup de cœur.
J’ai commencé à réfléchir à ce projet il y a un peu plus de dix ans, en tout cas en tant que film. Avant ça, il y a eu un spectacle musical qui s’appelait Cabaret Jaune Citron dans lequel j’avais déjà ce personnage d’Yvonne Nguyen, déjà interprétée par Clothilde Chevalier. - Stephane Ly-Cuong
Impossible de ne pas commencer en vous demandant quelle est votre comédie musicale préférée.
En général, quand on me pose cette question, j’arrive difficilement à n’en donner qu’une ! (rires) Dans les grands classiques, j’aime beaucoup Chantons sous la pluie par la joie qu’il dégage. C’est aussi un film qui parle de cinéma avec beaucoup d’amour. Je trouve que c’est un hymne au cinéma et à la comédie musicale donc ça m’a beaucoup marqué. Après, j’aime beaucoup Les parapluies de Cherbourg, les films de Jacques Demy en général mais c’est vrai que celui-ci a un côté plus radical avec des choix très assumés que certaines personnes peuvent trouver de trop mais justement, j’aime bien cette façon de marquer un univers vraiment singulier et assumé. C’est pour cela que j’aime ce film. Je vais m’arrêter là ! (rires)
Pourriez-vous revenir sur le développement du film ?
Ça a été un assez long cheminement. J’ai commencé à réfléchir à ce projet il y a un peu plus de dix ans, en tout cas en tant que film. Avant ça, il y a eu un spectacle musical qui s’appelait Cabaret Jaune Citron dans lequel j’avais déjà ce personnage d’Yvonne Nguyen, déjà interprétée par Clothilde Chevalier. Ce personnage me permet d’exploiter depuis tout ce temps-là les questions relatives à la quête identitaire et à la double culture, au centre de mon travail sur ce film. Quand j’ai commencé à développer ce projet en film, je n’avais pas forcément envie de reprendre l’aspect musical à ce moment-là. J’avais envie de faire quelque chose de plus sérieux. Je pense que je me mettais moi-même des contraintes que personne d’autre ne m’imposait en fait. Je me suis dit que, vu que c’est un premier film d’auteur, il fallait que je fasse quelque chose de sérieux. Au fur et à mesure de ma réflexion, je me suis rendu compte comme Yvonne qu’il fallait que j’assume mon identité, ce que j’avais vraiment envie de faire, et de me diriger à la fois vers la comédie musicale et la comédie en général. En 2019, j’ai commencé à développer ce projet avec Respiro Productions, qui avait déjà produit mes deux derniers courts. On a vraiment assumé ensemble d’aller dans cette direction singulière, quitte à se dire qu’on allait peut-être se confronter à pas mal de refus vu qu’on est dans une forme OVNI dans le cinéma français mais on a décidé d’aller jusqu’au bout de nos choix.
Quel a été le travail dans la création des chansons ?
J’ai coécrit les paroles avec Christine Khandjian, ma co-parolière, et après je dispatchais les titres entre Thuy-Nhân Dao et Clovis Schneider, le duo de compositeurs, selon les univers et leur personnalité. Pour la chanson avec Koko, j’avais envie qu’Yvonne exprime un peu ce qui l’a bercée, comment elle a été nourrie depuis son enfance par les comédies musicales et j’avais envie que ça se retrouve dans cette chanson, que ce soit celle d’une amoureuse des comédies musicales, peut-être un peu naïve, peut-être un peu enfantine car j’avais envie de me placer dans ce point de vue-là. De façon plus générale, le film devait être vu à travers ses yeux, elle est dans chaque séquence. L’idée était qu’on comprenne assez tôt que pour elle, la vie est plus belle en comédie musicale et que tout peut être un prétexte pour s’échapper dans les rêves.
Et celle développée par la comédie musicale dans le film, reprenant de nombreux clichés racistes ?
L’idée était à la fois d’accumuler pas mal de poncifs dans le texte car le personnage incarné par Thomas Jolly -qui fait l’auteur, compositeur et à peu près tout dans le film- exprime une Asie mythique, intemporelle et sans frontières. Du coup, il parle à la fois de lieux géographiques au Vietnam, de kimono, bref de cultures de pays d’Asie qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. J’avais donc envie de jouer avec ça. Avec Christine Khandjian, on s’est un peu retenus pour ne pas en faire trop car il y en a déjà pas mal. (rires) Pour Clovis, le compositeur, je voulais que la musique soit accrocheuse mais un peu simpliste comme certaines chansons de variété, ce que dit d’ailleurs Koko avec pas forcément beaucoup d’accords. On a en tout cas bien rigolé ! On s’est demandé jusqu’où aller pour éviter d’être trop dans le ridicule mais on s’est beaucoup amusés.
![]() |
Copyright Respiro Productions |
Une autre scène qui fonctionne énormément est ce concert auquel Yvonne accompagne sa mère qui, par la chanson, revit un souvenir touchant, ce qui leur permet également de se connecter par la musique.
Pour moi, c’est une scène absolument importante car c’est le moment où Yvonne commence à se connecter à sa mère. Le film raconte ce parcours de reconnexion et elle s’y reconnecte via la musique. Yvonne communique par la comédie musicale tandis que sa mère le fait par la musique et là, à travers le concert d’une chanteuse que sa mère affectionne, Yvonne revoit ça avec ses yeux et il y a un petit prisme West Side Story dans la façon de voir la scène en réimaginant la rencontre de ses parents sous un angle un peu comédie musicale. J’avais envie d’avoir une chanson mélancolique, nostalgique, mais dans le style des chansons vietnamiennes, je ne dirais pas de cette époque car elles sont encore populaires aujourd’hui, mais ces chansons parlant d’amour perdu, d’amour du pays, etc. et qu’Yvonne comprenne un aspect de la vie de sa mère et que cela passe non pas par un moment parlé mais par un moment musical.
Il y a plusieurs types de morceaux musicaux mais comment filmer une comédie musicale ?
L’intention de départ, c’était déjà de bien différencier les numéros musicaux des séquences de la vie quotidienne. Comme Yvonne pense que la vie est plus belle en comédie musicale, il fallait que ça se transcrive aussi dans la façon de filmer. Avec Alexandre Icovic, mon chef opérateur, on a vite fait le choix d’avoir des séquences beaucoup plus travaillées au niveau de l’image, des mouvements de caméra, des couleurs, de lumière pour les numéros musicaux et quelque chose de plus moderne et simple pour la vie quotidienne : des champs-contrechamps, des plans fixes, de la caméra à l’épaule, … quelque chose d’un peu plus épuré et simple pour contraster avec ça. Ensuite, pour parler plus spécifiquement de comment tourner les numéros musicaux, Alexandre est venu avec moi sur toutes les répétitions de danse, ce qui permettait de voir le travail effectué par Caroline Roelands et ce qui allait rendre le mieux à l’image et dans l’espace. Je pense que ce qui change pour une comédie musicale par rapport à un film classique, c’est qu’il y a un travail de préparation qui est plus long et qui nécessite aussi beaucoup de communication entre les différents postes pour rendre au mieux tous ces numéros musicaux.
Un autre travail visuel qui fonctionne aussi et que vous avez rapidement mentionné, ce sont les scènes de cuisine, qui apportent une autre forme sensorielle au film tout en donnant faim.
(Rires) Dans un premier temps, le choix de la cuisine était de partir de l’idée que la cuisine est un moyen de communication pour la mère mais aussi un moyen de transmission de sa culture. Parfois, c’est la seule chose qu’on communique à ses enfants quand on est un parent immigré : on ne communique pas nécessairement sur l’histoire ou la géographie mais on le fait avec la cuisine. Pour l’aspect sensoriel de la cuisine, j’avais effectivement envie que les gens aient faim en voyant le film ou en en sortant (rires). En fait, ces deux femmes ont des problèmes pour communiquer avec la parole donc la communication passe par autre chose. Pour la mère, c’est par la cuisine et pour mettre en avant tout ce qui se passe mais qui ne passe pas par la parole, j’avais envie de développer l’aspect sensoriel, que ce soit le son des choses en train de cuire ou de crépiter ou le bruit de la vapeur, que ce soit l’image avec le riz, les légumes, … que tout ça crée un univers assez réconfortant dans lequel on se sent un peu bien et qui permet d’accéder à une intimité familiale. Tous ces éléments devaient participer pour moi à créer ce petit cocon dans lequel on accède.
De nombreuses comédies musicales tournent autour de la relation amoureuse et c’est quelque chose que vous évacuez très rapidement. C’était important pour vous de vous concentrer sur Yvonne et non une potentielle romance ?
Oui, c’était très important. C’est vrai que j’ai eu des toutes premières versions où il y avait des relations amoureuses et je me suis rendu compte que ça ne m’intéressait pas, que je n’avais pas envie d’avoir un énième personnage féminin principal dont le seul but était de se caser ou d’obtenir un mec. Je me suis dit qu’aujourd’hui, on peut quand même raconter des histoires où les femmes ont des objectifs plus forts et plus personnels. Donc j’ai évacué ça très vite, tout comme j’évacue le mec en question car il ne croit pas en ses rêves. Ses rêves sont plus importants pour elle que l’amour d’un homme. J’avais envie de parler d’autres formes d’amour comme l’amour familial (une fille pour sa mère et une mère pour sa fille) mais aussi l’amour de son métier et de son art. Il y a aussi beaucoup de formes d’amitié dans le film et c’est quelque chose dont je n’ai pas l’impression qu’on parle beaucoup alors que c’est une forme d’amour. C’est ce lien avec Koko mais aussi d’autres membres de la troupe, pour Georges ou même Fu Fen. Pour moi, ce sont des formes d’amour qui sont toutes aussi intéressantes à exprimer qu’un amour sentimental.
![]() |
Copyright Respiro Productions |
Vous avez de l’expérience dans le théâtre ainsi que la réalisation de clips et de courts-métrages. Le fait de tourner un long-métrage était une étape attendue pour vous ?
Oui, c’est normalement un parcours logique. Au bout d’un certain nombre de courts-métrages, on va vers le long mais ce n’est pas non plus sans embûches ! (rires) Ce n’est pas non plus facile, c’est-à-dire que ça prend du temps, plus ou moins selon les personnes, et là, c’est vrai que ce n’était pas forcément un projet évident car il y avait l’aspect comédie musicale, il y avait l’aspect franco-vietnamien donc on pouvait nous ramener sur le fait qu’on n’avait pas accès à une grande star connue dans les rôles principaux. Finalement, les choses se sont bien goupillées. Elles ont pris le temps qu’elles ont pris mais l’essentiel est qu’elles se sont faites. Ça a été un parcours certes logique mais quand même assez long.
Pourriez-vous revenir un peu sur votre travail en tant que scénariste sur Hiver à Sokcho ?
J’avais rencontré Koya Kamura, le réalisateur du film, lors d’une résidence d’écriture. On s’était très bien entendu et l’année d’après, lorsqu’il a commencé à travailler sur le projet, il en a parlé à son producteur en lui disant qu’il ne voulait pas travailler le projet seul et qu’il aurait bien aimé que je collabore au scénario. Il connaissait le projet de mon film, il avait vu mes courts-métrages, donc il savait que les relations familiales intergénérationnelles et les questions d’identité sont des thèmes qu’on retrouve dans mon travail. Ça a été une expérience assez intéressante parce que les deux projets se sont développés en même temps, qu’il y avait dans les deux une relation mère-fille ainsi qu’une place pas négligeable de la cuisine mais dans deux tons, deux couleurs très différentes. Ça a été assez plaisant de travailler avec Koya, de travailler sur le livre d’Elisa Shua Dusapin donc ça a été la première fois que je faisais un travail d’adaptation (enfin pour le cinéma, je l’avais fait pour le théâtre) à partir d’une œuvre existante. C’était plein de challenges différents et stimulants donc je suis très content d’avoir travaillé sur ce film dont je trouve le résultat final vraiment très beau.
Enfin, quelle question auriez-vous voulu qu’on vous pose durant vos interviews pour le film ?
Parfois, je me dis que j’aurais bien aimé avoir des questions ultra cinéphiliques comédies musicales, qu’on m’interroge sur chaque aspect qu’il y a dans les décors car il y en a beaucoup, parfois des petits clins d’œil. Il y a la scène d’ouverture où Yvonne se réveille dans son lit, ouvre une porte et atterrit dans une rue de Paris. Quasiment chaque seconde est truffée de références à des comédies musicales car on est dans son rêve, nourri de toutes les comédies musicales avec lesquelles elle a grandi. Donc j’aurais bien voulu qu’on m’interroge plus sur ça et, en même temps, j’ai envie de lancer un petit jeu pour les spectateurs et spectatrices sur les références de comédies musicales que vous voyez dans ces deux premières minutes de film. Donc c’est plutôt moi qui retourne la question ! (rires)
Oui, c’est normalement un parcours logique. Au bout d’un certain nombre de courts-métrages, on va vers le long mais ce n’est pas non plus sans embûches ! (rires) Ce n’est pas non plus facile, c’est-à-dire que ça prend du temps, plus ou moins selon les personnes, et là, c’est vrai que ce n’était pas forcément un projet évident car il y avait l’aspect comédie musicale, il y avait l’aspect franco-vietnamien donc on pouvait nous ramener sur le fait qu’on n’avait pas accès à une grande star connue dans les rôles principaux. Finalement, les choses se sont bien goupillées. Elles ont pris le temps qu’elles ont pris mais l’essentiel est qu’elles se sont faites. Ça a été un parcours certes logique mais quand même assez long.
Pourriez-vous revenir un peu sur votre travail en tant que scénariste sur Hiver à Sokcho ?
J’avais rencontré Koya Kamura, le réalisateur du film, lors d’une résidence d’écriture. On s’était très bien entendu et l’année d’après, lorsqu’il a commencé à travailler sur le projet, il en a parlé à son producteur en lui disant qu’il ne voulait pas travailler le projet seul et qu’il aurait bien aimé que je collabore au scénario. Il connaissait le projet de mon film, il avait vu mes courts-métrages, donc il savait que les relations familiales intergénérationnelles et les questions d’identité sont des thèmes qu’on retrouve dans mon travail. Ça a été une expérience assez intéressante parce que les deux projets se sont développés en même temps, qu’il y avait dans les deux une relation mère-fille ainsi qu’une place pas négligeable de la cuisine mais dans deux tons, deux couleurs très différentes. Ça a été assez plaisant de travailler avec Koya, de travailler sur le livre d’Elisa Shua Dusapin donc ça a été la première fois que je faisais un travail d’adaptation (enfin pour le cinéma, je l’avais fait pour le théâtre) à partir d’une œuvre existante. C’était plein de challenges différents et stimulants donc je suis très content d’avoir travaillé sur ce film dont je trouve le résultat final vraiment très beau.
Enfin, quelle question auriez-vous voulu qu’on vous pose durant vos interviews pour le film ?
Parfois, je me dis que j’aurais bien aimé avoir des questions ultra cinéphiliques comédies musicales, qu’on m’interroge sur chaque aspect qu’il y a dans les décors car il y en a beaucoup, parfois des petits clins d’œil. Il y a la scène d’ouverture où Yvonne se réveille dans son lit, ouvre une porte et atterrit dans une rue de Paris. Quasiment chaque seconde est truffée de références à des comédies musicales car on est dans son rêve, nourri de toutes les comédies musicales avec lesquelles elle a grandi. Donc j’aurais bien voulu qu’on m’interroge plus sur ça et, en même temps, j’ai envie de lancer un petit jeu pour les spectateurs et spectatrices sur les références de comédies musicales que vous voyez dans ces deux premières minutes de film. Donc c’est plutôt moi qui retourne la question ! (rires)
L’auteur a évidemment quelques réponses mais il vous invite gentiment à découvrir cette excellente comédie tant qu’elle est sur grand écran.
Entretien réalisé par Liam Debruel.
Un très grand merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour l’entretien.