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[CRITIQUE] : Reine Mère


Réalisatrice : Manele Labidi
Acteurs : Camélia Jordana, Sofiane Zermani, Damien Bonnard, Rim Monfort,...
Distributeur : Diaphana
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h33min

Synopsis :
Amel est un personnage haut en couleur. Elle a du tempérament, de l’ambition pour ses deux filles, une haute estime d’elle-même et forme avec Amor un couple passionné et explosif. Malgré les difficultés financières elle compte bien ne pas quitter les beaux quartiers. Mais la famille est bientôt menacée de perdre son appartement tandis que Mouna, l’aînée des deux filles, se met à avoir d’étranges visions de Charles Martel après avoir appris qu’il avait arrêté les Arabes à Poitiers en 732… Amel n’a plus le choix : elle va devoir se réinventer !



Si beaucoup ne se sont pas forcément encore remis du supposé hold-up (rien que de l'écrire, c'est d'un ridicule sans nom,  mais il y en a toujours à chipoter stupidement sur le sujet, aussi fou que cela puisse paraître), qui la vu récompenser du César du meilleur espoir féminin en 2018, pour sa performance dans Le Brio (c'est déjà débile de donner une quelconque importance aux cérémonies de remises de prix à notre échelle, mais on confine véritablement au génie quand on pète un boulon sur un palmarès); Camélia Jordana elle, trace solidement et fièrement son petit bout de chemin au sein du septième art hexagonal, comme pour mieux faire taire les mauvaises langues.

Copyright Kazak Productions – Frakas Productions – ARTE France Cinéma – 2024

Tellement bien qu'elle peut intimement se vanter d'avoir une filmographie certes pas toujours marquée par des choix heureux, mais définitivement plus hétéroclite que la quasi-intégralité de ses camarades de jeu (il lui reste, peut-être, un petit détour plus franc vers le fantastique et la science-fiction, pour être encore un peu plus complète et éclectique).
C'est sur le terrain de la chronique familiale protéiforme qu'on la retrouve en ces dernières heures de l'hiver avec Reine mère, second long-métrage de la talentueuse cinéaste franco-tunisienne Manele Labidi, dont on avait adoré le premier effort, Un Divan à Tunis, délice de comédie mordante, rafraîchissante et gentiment absurde, une véritable fenêtre cinématographique sur une Tunisie en plein chamboulement culturel, économique et social, dominée par la sincérité et le charme désinvolte d'une Golshifteh Farahani lumineuse.

On y retrouve, en filigrane, le même examen rafraîchissant et délicat sur deux cultures en conflit (ici dans la France de la fin du XXème siècle), capturé non pas à travers le prisme d'une psychiatre opérant un retour aux sources compliqués dans sa Tunisie d'origine, mais bien de la quête identitaire d'une jeune adolescente d'une famille d'immigrés confrontée aux stéréotypes gentiment institutionnalisés (le racisme exacerbé de l'histoire de France plaquée dans les livres scolaires), également spectatrice du conflit qui (dés)uni entre son père, qui sue sang et eau à la tâche pour planter les graines d'un avenir meilleur pour les siens, et sa mère dont le snobisme apparent face à un inéluctable déclassement social et son désir - légitime - de respect, ne fait que masquer un déracinement qui la dévore de l'intérieur.

Copyright Kazak Productions – Frakas Productions – ARTE France Cinéma – 2024

Un double portrait mère-fille sensible et intime - inspiré des souvenirs d'enfance de la cinéaste - qui trouve un équilibre adéquat entre un humour absurde et complice (renforcé par la petite fantaisie onirique de l'apparition éctoplasmique et imaginaire de Charles Martel, figure historico-mythique façonné par l'idéologie identitaire et la réinterprètation française au fil des siècles, et sur lequel applique le même traitement des apparences trompeuses) et une certaine gravité, qui ne glisse pourtant jamais dans les méandres du film social emprunt de misérabilisme.

N'allant pas toujours où on le pense (jusque dans sa manière habile de jongler avec les genres), et dominé par la partition solaire de Camélia Jordana en mère à la fois fière et persévérante, Reine Mère incarne une attachante et réjouissante chronique familiale sous fond d'intégration, de déracinement et de racisme ordinaire - et systémique.


Jonathan Chevrier