[CRITIQUE] : Aïcha
Réalisateur : Mehdi M. Barsaoui
Acteurs : Fatma Sfar, Yassmine Dimassi, Nidhal Saadi, Hela Ayed, Mohamed Ali Ben Jemaa,...
Distributeur : Jour2fête
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Tunisien, Italien.
Durée : 2h03min
Synopsis :
Aya, la vingtaine, vit encore chez ses parents dans le sud de la Tunisie et se sent prisonnière d'une vie sans perspectives. Un jour, le minibus dans lequel elle fait quotidiennement la navette entre sa ville et l'hôtel où elle travaille s'écrase. Seule survivante de l'accident, elle réalise que c'est peut-être sa chance de commencer une nouvelle vie. Elle se réfugie à Tunis sous une nouvelle identité, mais tout est bientôt compromis lorsqu'elle devient le principal témoin d'une bavure policière.
Il faut avoir en soit une sacrée audace - et un peu de corones aussi - pour aborder le thème hautement difficile du terrorisme par le prisme du deuil et d'un mélodrame savamment tendu (le tout dans un cadre encore plus complexe, un pays de confession musulmane) et bouleversant, quand on passe derrière une caméra pour la première fois.
C'était le pari certes risqué mais totalement réussi opéré par Mehdi M. Barsaoui avec Mon Fils, magnifique drame dans l'ombre des premiers films d'Alejandro González Iñárritu (jusque dans le score viscéral d'Amin Bouhafa), dont le suspens comme les dilemmes moraux qui l'habitent nous prennaient littéralement aux tripes.
Le tout dominé par un Sami Bouajila des grands jours, qui donne du corps et du cœur à cette double tragédie familiale d'un couple confronté aux affres d'un secret affligeant qui remet totalement en cause leur rapport, qu'à leur tentative de sauver coûte que coûte leur progéniture d'une mort annoncée, dans une nation où la loi islamique interdit les dons d'organes en dehors de la famille biologique.
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© Jour2Fête /Cinétéléfilms/Dolce Vita Films/Dorje Film/13 Productions |
Cinq ans plus tard, et sans un confinement qui viendrait dynamiter son exploitation en salles, le voilà de retour avec un second long-métrage, Aïcha, où il s'amuse une nouvelle fois à jongler avec les genres tout en auscultant avec toujours autant d'acuité, les travers (privilèges des élites, corruption policière et institutionnelle,...) d'une Tunisie contemporaine encore tributaire de la politique patriarcale et des dérives du passé, loin des espoirs que la Révolution a pu susciter chez des citoyens qui, justement, ne semble plus réellement réellement avoir.
La narration, savamment corsée, s'attache principalement (non sans quelques bifurcations/sous-intrigues plus fugaces auprès d'autres personnages) aux atermoiements d'Aya (formidable Fatma Sfar), jeune femme coincée dans une existence morne et déjà toute tracée, qui voit dans un évènement inattendue une chance de bousculer la destinée et de s'inventer une nouvelle vie affranchie de toute contrainte (obligations familiales, un amant/boss pas vraiment décidé à quitter sa femme, un travail peu gratifiant et humiliant,...), une renaissance (littérale, puisqu'elle naît d'une mort simulee) rêvée qui prendra vite des allures de cauchemar implacable.
Une héroïne purement Hitchcockienne, résiliente et tout en conflits (une révérence évidente mais assumée), pour un thriller sous-tension dans son portrait authentique et sans concession d'une nation oppressive et patriarcale, dont l'écriture un peu trop brute et pleine d'aspérités (en dehors de son héroïne titre, tous les autres personnages manquent de profondeur) est continuellement contrebalancée par une mise en scène épurée et techniquement impeccable - notamment dans sa seconde moitié à Tunis.
Pas aussi fort qu'Un Fils donc, mais un sacré effort tout de même.
Jonathan Chevrier