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[SƎANCES FANTASTIQUES] : #94. Cronos

Copyright Les Films du Camelia/Metropolitan FilmExport/October Films

Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'œuvres de la Hammer que des pépites du cinéma bis transalpin, en passant par les slashers des 70's/80's (et même les plus récents); mais surtout montrer un brin la richesse des cinémas fantastiques et horrifiques aussi abondants qu'ils sont passionnants à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture de nos billets !


#94. Cronos de Guillermo del Toro (1993)


Avant de devenir l'un des maîtres du fantastique, Guillermo del Toro a, comme tout le monde (ou presque), commencé par le court-métrage, avant de passer le cap du long-métrage en 1993 avec Cronos. Jonglant entre des touches d'horreur, de burlesque et de tendresse, le film préfigure déjà par bien des aspects la suite du parcours du cinéaste, ne serait-ce qu'en signant la première de ses nombreuses collaborations avec les acteurs Ron Perlman et Federico Luppi.

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C'est à ce dernier que revient le rôle principal, dans la peau d'un antiquaire - nommé non sans facétie Jesus Gris - qui fait par hasard la découverte d'un étrange instrument réputé conférer à son détenteur la vie éternelle. L'artefact est bien évidemment convoité par un businessman vieillissant qui a chargé son neveu Angel (ce cher Ron Perlman) de mettre la main dessus avant que la vie ne finisse de l'abandonner. Cependant, cet avide adversaire n'est peut-être pas si dangereux que l'objet lui-même car, comme dans toute légende qui se respecte, les faveurs de l'occultisme viennent avec un tribut à payer.

Pour broder sa mythologie, Cronos lorgne aussi bien du côté des histoires de vampires et de revenants que du Christianisme, et aurait ainsi pu se contenter de n'être qu'un énième remixage de ces éléments mis au service d'un suspense horrifique. Seulement, voilà, Guillermo del Toro vient, dès le début, insuffler une autre dimension à son œuvre, en particulier au travers du regard candide de la petite-fille de l'antiquaire, Aurora. Si sa présence impose un déchirement supplémentaire à Jesus, soucieux de veiller sur elle, elle vient surtout apporter une saveur douce et lumineuse qui détonne habilement avec le thème sinistre.

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Si cette manière de se glisser dans un regard d'enfant se retrouvera plus tard dans le travail du réalisateur mexicain, par exemple dans L'Echine du diable ou Le Labyrinthe de Pan, il s'agit moins ici de faire contraster la dureté du monde avec l'innocence de la jeunesse que de le réenchanter, donnant au film des airs de conte que l'on lirait au coin du feu à des gamins captivés. Surtout, il se joue là un lien privilégié entre Aurora et son grand-père, chacun s'évertuant à protéger l'autre au mieux de ses capacités, plaçant au cœur de l'intrigue une relation de bienveillance mutuelle qui irrigue l'ensemble de l'atmosphère.

Ces teintes plus claires laissent par ailleurs la place à des sursauts fantasques qui se retrouvent tout particulièrement au travers du lunatisme d'Angel, porté par la charmante démesure de Ron Perlman. Ses humeurs malicieuses en feraient ainsi un parfait méchant de dessin animé, lui permettant d'être un antagoniste convaincant tout à la fois pour Jesus et pour Aurora. Ce côté fantasque a aussi l'avantage de donner plus d'indulgence pour certains maquillages qui accompagnent l'avancée du surnaturel de manière un peu douteuse, car l'on sait que c'est la force de l'imaginaire et non la peur véritable que l'on est venu chercher.

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Cronos n'est certes pas un film imparfait, et son rythme s'enlise un peu dans sa dernière partie, qui parvient moins bien à équilibrer ses différentes facettes. Sa trajectoire devient plus prévisible, s'appliquant un peu trop à coller au monomythe, et s'étrangle dans ce qui semble être des passages obligés jusqu'à un final qui paraît un brin fatigué. Néanmoins, tout ce que Guillermo del Toro est jusque-là parvenu à mettre en œuvre pour affirmer la singularité de son univers garantit que l'on reste impliqué dans la richesse de son ambiance, que la monotonie de quelques scènes ne suffit pas à étouffer.

Sans être un coup de maître, ce premier long-métrage, d'ailleurs remarqué à sa sortie, fait ainsi plutôt honneur à la carrière du cinéaste. Partant d'un point de départ qu'on pourrait croire déjà usé, il parvient, par l'originalité de son ton et le camaïeu d'émotions par lequel il nous fait passer, à rester digne d'un détour pour les amateurs du genre, tout en restant largement accessible par son humanité et son approche sensible d'une monstruosité qui reste plus à apprivoiser qu'à craindre.


Lila Gleizes