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[CRITIQUE] : La Mélancolie


Réalisateur : Takuya Kato
Avec : Mugi Kadowaki, Kentaro Tamura, Shôta Sometani, Haru Kuroki, …
Distributeur : Art House
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Japonais, Français.
Durée : 1h24min

Synopsis :
Après la perte brutale de son amant, Watako retourne discrètement à sa vie conjugale, sans parler à personne de cet accident. Lorsque les sentiments qu’elle pensait avoir enfouis refont surface, elle comprend que sa vie ne pourra plus être comme avant et décide de se confronter un à un à tous ses problèmes.


Critique :



Comme son titre l’indique, le deuxième long métrage de Takuya Kato, La Mélancolie, ne respire pas la joie. Mais le film ne cherche jamais à embrasser tout à fait le mélodrame. Ce paradoxe, au cœur même du récit, fait de ce film une belle surprise à voir en ce milieu d’été.

Watako se prépare à partir en week-end, bonnet vissé sur la tête, vêtements soigneusement préparés. Elle est seule dans le cadre, parlant à contre-coeur à un homme dans le hors-champ. Qui est cet homme ? La narration nous laisse dans le flou jusqu’à ce que l’évidence apparaisse : si Watako rejoint son amant pour le week-end, cette voix inconnue hors cadre était celle de son mari.

Copyright 2023「HOTSURERU」FILM PARTNERS & COMME DES CINÉMAS

Partie en glamping avec son amant, Watako se permet enfin d’être plus ouverte, comme leur habitation en verre qui ne leur laisse pas d’espace intime. L’idée est peut-être de se délester du poids du secret et de vivre cet amour en plein jour, aux yeux et à la vue de tous. Mais le drame arrive, un coup de fouet pour l’héroïne qui comprend vite qu’elle doit faire comme si de rien n’était. Amour illicite, deuil tout aussi illicite. Peut-on vraiment vivre ce déchirement en silence ?

La Mélancolie comporte un spleen intriguant car il est présent dès le début, quand tout allait bien. Tout allait aussi bien que cela ? La vie de Watako est artificielle, un peu comme si elle vivait dans un Truman Show. Elle agit comme si on inspectait en permanence sa vie, qu’elle contribue à rendre parfaite en apparence. Son mari et elles forment un couple soudé, elle accepte la présence de son beau-fils et les conseils de sa belle-mère. Les moments où elle sort de ce rôle sont les moments qu’elle partageait avec l’homme qu’elle aimait. Sa mort ne la rend pas seulement triste, elle aide aussi à débusquer les mensonges de sa vie. Watako se trouve souvent seule dans le cadre, dans un plan d’ensemble. Incapable de partager sa souffrance avec autrui, c’est comme si elle était morte elle-aussi. Elle hante le film, sans un mot, portant son deuil impossible tel un boulet de forçat.

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Takuya Kato se sert de cette base mélodramatique pour plonger dans un portrait sans phare du couple japonais moderne. À l’instar de Aristocrats de Yukiko Sode, sorti en 2022 et où Mugi Kadowaki jouait aussi le rôle principal, La Mélancolie décortique les liens du mariage et le résultat est déprimant. Les illusions priment et ne doivent jamais être dévoiler. Le couple, que ce soit celui de Watako ou celui de son amant (lui-même marié) n’est qu’un vaste mensonge, fondé sur les faux-semblants et les non-dits. Le mari de Watako ne semble pas vouloir voir la tristesse de son épouse, ni sa colère, sa frustration. Si le couple fait chambre à part, comme on le découvre au fil du récit, c’est qu’il y a eu une première tromperie, de la part du mari. Watako s’est alors défait émotionnellement de leur relation et est tombée amoureuse de quelqu’un d’autre, sans pour autant faire les démarches d’une séparation. Vivre dans un statu-quo revient à ne pas vivre. Watako finit par exprimer ses émotions, celles que l’on entrepercevait dans le silence, celles que l’on voyait , l’image de cette femme étrangère à sa propre vie. Et dans cette vérité, son mari semble tomber des nues. L’illusion semble infinie.

Pour construire ce mensonge à l’écran, le cinéaste choisit l'économie. Du mouvement, des dialogues, des décors. La facticité de certains de ces décors (comme la maison que le couple visite) est si imposante qu’ils ont l’air de sortir tout droit d’un film. Même les moments de bonheur de Watako sont vides de désirs, comme si ce monde-là, où régit une immense raideur sociétale, n’était pas en mesure d’apprécier la beauté des sentiments. Quelle ironie d’avoir choisi ce titre français, La Mélancolie, quand ce mot renvoie (dans son sens antique) à vivre pleinement un deuil. Dans une société nipponne, où les codes sociaux enferment les cœurs, le film se voit comme la preuve qu’on ne peut pas échapper à nos émotions.


Laura Enjolvy