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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Arizona Dream


Réalisateur : Emir Kusturica
Avec : Johnny Depp, Faye Dunaway, Jerry Lewis, Lili Taylor, Vincent Gallo,...
Distributeur : Malavida Films / StudioCanal
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique, Fantastique.
Nationalité : Américain, Français.
Durée : 2h22min

Date de sortie : 6 janvier 1993
Date de ressortie : 10 juillet 2024

Synopsis :
Axel vit davantage dans un monde rempli de rêves et de poissons volants qu'à New York, où il habite. Sur le point de se remarier, son oncle Leo, vendeur de voitures en Arizona​, ​lui demande de traverser les Etats-Unis pour être son témoin. Sur place, il rencontre Elaine, une veuve fantasque qui ne rêve que de voler, et sa fille Grace qui en veut à la terre entière. Il se retrouve alors ballotté entre les rêves de toutes celles et ceux qui l'entourent...



Critique :



Si l'on considère, à raison, que le cinéma du génial orfèvre serbe Emir Kusturica est un doux bordel désorganisé, poétique et burlesque, véritable petit cabinet des curiosités et de tous les possibles à l'étrangeté baroque et obsédante, que dire du kamoulox assez improbable à l'idée de le voir quitter ses terres slaves natales pour aller plaquer sa patte et sa folie au cœur de l'Americana profonde, avec un casting entièrement issu du pays de l'oncle Sam ?

Oui, Arizona Dream est une pure anomalie, la mise en images mélancolique des désillusions et les promesses vides de sens du rêve américain (alors qu'il vivait pleinement le sien, puisqu'il occupait un poste d'enseignant à l'université Columbia, en remplacement d'un Miloš Forman qui lui avait déjà, plus ou moins directement, attribué la Palme d'or en 1985 pour Papa est en voyage d'affaires), un petit tourbillon de folie(s) tout en amertume et à la noirceur mystique - renforcée par le score entêtant de Goran Bregovic -, où la mort n'a de cesse de flirter et de pervertir les rêves et les aspirations de ses personnages aussi singuliers et excentriques que franchement paumés.

S'essouflant sans doute au moins autant qu'elle est capable de trouver son propre tempo fantastique, la narration, décousue (on est chez Kusturica, rien d'étonnant) est tout du long vissée sur la figure authentique et sauvage du jeune Axel Blackmar, de retour dans son Arizona natal pour le mariage de son oncle Leo, un concessionnaire Cadillac souffrant de problèmes cardiaques et dont l'épouse à 40 ans de moins que lui.

© 2024 Malavida - Studiocanal - Constellation - UGC. Tous droits réservés

Une âme prompt à être emporté et hanté par ses propres rêves et tourments autant qu'à ceux de ses proches, que ce soit sa future amante, Elaine, la veuve fantasque et d'âge moyen qui limplique directement dans les siens (tellement obsédée par son rêve de voler qu'elle l'encourage à construire un avion de l'époque des frères Wright sur le terrain ensoleillé de sa propriété), la belle-fille névrosée et suicidaire de celle-ci qui parle aux tortues, Grace; son oncle qui rêve d'empiler les Cadillacs jusqu'à la lune où même son cousin, Paul, qui se rêve acteur et récite compulsivement les dialogues de ses films favoris.

Fable foutraque et tragi-comique conçue dans la douleur, autant d'un point de vue professionnel (plusieurs divergences artistiques avec une Warner Bros qui a sensiblement salopé son montage) qu'intime (le conflit en Yougoslavie éclatera en pleine production, obligeant le cinéaste, personnellement touché par les événements, à de multiples allers-retours sur place pour aider ses parents), qui s'abandonne sans réserve à un imaginaire foisonnant et imprévisible pour mieux en épouser sa poésie brute et déchirante, pour mieux déconstruire de l'intérieur un mythe aux valeurs et au symbole pipés.

Vol au-dessus d'un désert de coucou, échappée sauvage et onirique suspendue entre psychanalyse bigarrée et (dés)illusions, Arizona Dream, concocté par un Kusturica qui traverse l'Atlantique mais emporte son âme dans ses bagages, à la douceur mélancolique d'un songe insouciant (et cinématographique) et l'amertume d'une gueule de bois.
Une anomalie donc, déstructurée et parfois maladroite mais avant tout et surtout passionnée et passionnante, qui n'a rien perdu de sa magie même avec plus de trois décennies au compteur.


Jonathan Chevrier