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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Ninón Sevilla, La Vénus d’or du cinéma mexicain


Rétrospective Ninón Sevilla, La Vénus d’or du cinéma mexicain : L'Aventurière de Alberto Gout (1950), Victimes du péché de Emilio Fernandez (1951) et Prends-moi dans tes bras de Julio Bracho (1954)

Distribution : Les Films du Camélia.


Après une formidable année 2023 côté rétrospectives/ressorties au féminin, qui aura vu Carlotta Films et Les Films au Camélia, toujours au rendez-vous des rétrospectives essentielles, célébrer les cinémas de Kinuyo Tanaka, Mai Zetterling, Ida Lupino et même du pendant réalisatrice de Jeanne Moreau; force est d'admettre que l'année 2024 n'avait pas encore passée la seconde dans la mise en lumière de figures féminines si ce n'est oubliées, au minimum méconnues des spectateurs et des cinéphiles - là où, côté masculin, le planning est sensiblement plus dense.

Bonne nouvelle, Les Films au Camélia viennent corriger un brin le tir en ces premières heures de juillet riche en séances, avec une petite rétro pas piquée des hannetons (et qui répond à celles des cinq films noirs mexicains de l'année dernière), centrée sur la merveilleuse Ninón Sevilla, la " Vénus d’or " de l'âge d'or du cinéma mexicain, comédienne cubano-mexicaine tout en talents (la comédie comme la danse), en charisme et en charme.

Icône de la rumbera et figure sensuelle ultime, qui considéra un temps devenir religieuse, alors qu'elle était décemment faite pour enflammer la pellicule (plus qu'une incroyable actrice, elle est une présence franche et implacable qui dévore l'écran), la firme célèbre son aura à travers trois mélodrames à fleur de peau et déchirant : Victimes du péché de Emilio Fernandez, Prends-moi dans tes bras de Julio Bracho et L'Aventurière de Alberto Gout, aux restaurations absolument magnifiques.

© Les Films du Camélia

Tout autant mélodrame aux effets dramatiques démesurés (toujours à la lisière du grotesque) et film noir que pure comédie musicale, tout en sensualité et rythmé par la cadence effrenée de ses danses enflammées, Victimes du péché suit les atermoiements de Violeta, véritable force de la nature qui ne se laisse écraser par rien ni personne, pas même par la convoitise, la jalousie et la violence des hommes, pas même par la vie elle-même.
Une femme à la résilience presque héroïque, qui va se découvrir mère par la force des choses : Rosa, son amie, mise enceinte par un gangster/proxénète/enfoiré local, Rodolfo, abandonne son bébé mais celle-ci le sauvera, l'élèvera comme le sien et le protégera de son géniteur brutal, quoi qu'il lui en coûte.

Embaumé dans la photographie noire magnétique de Gabriel Figueroa, le film incarne un mélodrame fiévreux et haletant où les hommes ont le cœur froid et les femmes le sang chaud, le film s'autorise tous les excès du genre - quitte à s'en brûler les ailes - tout en s'appuyant solidement sur une véracité accrue des conditions sociales de l'époque (l'orphelin comme la femme, maillons supposément les plus faibles, sont toujours ceux qui souffrent le plus, tandis que les exclus de la société sont emprunt d'une solidarité exceptionnelle).
Imparfait, Victimes du péché détonne lorsqu'il laisse s'exprimer le corps de Sevilla, lorsqu'il laisse celle-ci danser avec passion, comme si sa Violeta essayait de transcender le déterminisme cruel du destin, tentait de vaincre la précarité profonde d'un patriarcat violent, humiliant et imperturbable.

C'est, définitivement, l'un des spectacles les plus électrisants que le septième art puisse nous donner à admirer.
Les thématiques du film (tout comme son équipe technique) se retrouvent sans surprise dans le plus puissant Prends-moi dans tes bras du prolifique Julio Bracho, mélodrame dont le classicisme n'a d'égal que sa justesse.

© Les Films du Camélia

D'exploitation des femmes, il en est à nouveau question à travers la figure meurtrie mais vaillante et résiliente de Rita, fille d'un vieux pêcheur qui décide de quitter son modeste village au Yucatan, de sacrifier sa propre vie et son bonheur, pour rembourser les dettes de son patriarche.
Un sacrifice qui la plongera dans un cauchemar où elle se fera exploiter par plusieurs hommes, même si elle aura droit à son quart d'heure de gloire en tant que star du cinéma.

Dans l'ombre du Terra Trema de Visconti dans sa première moitié plus naturaliste (marqué par un réalisme social cher au cinéaste), avec sa célébration d'une communauté construite sur des valeurs et un code moral fort, avant de virer vers un penchant plus classique dans une seconde moitié où l'absolutisme du patriarcat sévit à toutes les strates, punit l'altruisme de l'oiseau majestueux qu'est Rita, enfermée dans la cage dorée d'une société hypocrite et oppressante, dont les figures masculines qui lui sont chers ne reconnaîtront jamais ni son courage, ni ses sacrifices, ni son amour.
Une victime donc, mais loin d'être passive dans sa chute, dans sa nécessité d'utiliser son corps et de ses aptitudes pour survivre, de dépendre de l'argent et de la voracité des hommes qui l'entourent : elle est tout en contrôle, elle s'élève au-dessus du piège qu'on lui tend, est meilleure que tous les hommes réunis.

Mélodrame puissant et sordide sur la résilience et de la détermination féminine, Prends-moi dans tes bras est aussi et surtout un bijou d'ingéniosité, Bracho trompant les limites du genre par une propension a privilégier la vérité des regards et des corps, sublimant les mouvements endiablés d'une Ninón Sevilla absolument féroce.

© Les Films du Camélia

Peut-être la plus belle pièce de ce triptyque (tout du moins pour l'auteur de ses mots), terminons cette rétrospective avec L'Aventurière de Alberto Gout, qui a tout du Rumberas ultime qui emporte le spectateur dans un splendide tourbillon cinématographique, certes sensiblement dans la même veine que le cocktail déjà chargé qu'incarnait Victimes du péché sorti dans sa foulée (le mélodrame tout en rebondissements, le film noir romantique, la comédie musicale endiablée), mais avec un poil plus de passion et de vie.
« Vende caro tú amor, aventurera ».

D'un pitch au demeurant conventionnel, d'autant plus au sein même de cette rétro (la vie d'Elena, jeune femme issue de la bourgeoisie de la petite bourgade de Chihuahua, vole en éclats lorsque sa mère s’enfuie avec son amant - un ami de la famille - et que son père se suicide à la suite de son départ, l'obligeant à se rendre à Ciudad Juarez, à la frontière des Etats-Unis, pour gagner sa vie et être exploitée dans un bourbier local), tire un beau récit sous fond d'innocence perdue, de rédemption et de défaite des " valeurs " bourgeoises, où Gout use à merveille du phénomène de citation/régurgitation des codes Hollywoodiens de l'époque (un comble quant on sait que la classe supérieure locale prend pour exemple son voisin américain), pour leur donner un contexte et une saveur purement mexicaine - haletante et lascive à la fois.

Magnifié par des numéros musicaux toujours aussi entraînants que profondément diégétiques à l'histoire, L'Aventurière ne serait évidemment rien sans Sevilla, diamant noir dont on aura de cesse d'admirer la beauté et la sensualité.
Au rayon des séances indispensables de l'été, avec la rétrospective Ninón Sevilla, La Vénus d’or du cinéma mexicain, Les Films du Camélia viennent d'en dégainer trois avec gourmandise.
On ne les remerciera jamais assez pour ce beau cadeau.


Jonathan Chevrier


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