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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Trilogie Dead or Alive


Dead or Alive (1999), Dead or Alive 2 : Birds (2000) et Dead or Alive Final (2002) de Takashi Miike.


N'ayons pas peur des mots, le vénéré Takashi Miike est sans l'ombre d'un ombre d'un doute, le cinéaste le plus fou, prolifique (la barre des cent films est déjà atteinte...) et extravagant qui est venu bousculé de son talent le septième art de ses trente dernières années, tous genres et continents confondus, lui qui a su se frayer un chemin dans nos coeurs de cinephiles - mais surtout en Occident - grâce à Audition, une claque sans nom dont personne ne s'en est véritablement remis.

Un touche-à-tout iconoclaste, qui a aligné les péloches avec une frénésie proprement indécente - Woody Allen peut aller se rhabiller dix fois -, au point même d'aborder tous les fronts et formats possibles, tant il est aussi à l'aise avec les petites productions bricolées qu'avec les grosses montures produits par les majors.

Un grand bonhomme qui ne semble vivre que pour tourner et qui, on l'espère, ne s'arrêtera pas tout de suite, d'autant qu'il n'a pas perdu un iota de son mojo au fil des décennies (vérité que plusieurs mauvaises langues ne semblent pas vraiment approuver, tant pis pour eux), malgré quelques séances il est vrai sensiblement plus " mineures ".



Mais c'est par le prisme de son (glorieux) passé que l'on s'attarde cette fois sur son cinéma en cette riche semaine de ressorties, avec sa cultissime trilogie Dead or Alive, dégainée à nouveau en salles via Splendor Films, qui avait déjà frappé fort en février dernier en offrant aux cinéphiles avertis,  une copie toute pimpante du génial L'Enfer des Armes de Tsui Hark.

Pierre majeur de l'édifice iconoclaste de l'orfèvre nippon, la trilogie (qui n'en est pas totalement une, tout du moins pas dans la plus stricte et commune définition du terme, puisque chaque œuvre existe et peut se voir indépendamment des autres, même si portée par le même duo : Riki Takeuchi et Sho Aikawa) offre un prétexte facile à Miike pour s'enticher une nouvelle fois d'exilés du système, des criminels comme des figures censées représenter la loi, ne trouvant que solitude, rage et frustration brutale au sein d'un Japon moderne qui leur refuse tout idée de quiétude et de bonheur - même au sein de leur propre cellule familiale.

DOA premier du nom, polar urbain excessif et splatterpunk (avec même un doigt de comédie et de mélodrame alambiqué) flanqué dans les bas fonds d'une Shinjuku dont Miike tire toute l'essence sordide avec une gourmandise savamment malsaine, s'ouvre sur une merveille de " cinéma chaos " : une véritable orgie de dépravation et de violence, frénétique et mutique, traçant une cartographie dans le sang, les nouilles (oui), le sexe, les excréments et même la drogue (toujours à la périphérie, autant dans les mains d'une femme qui tombe d'un toit, que férocement enracinée dans les espoirs illusoires de ceux qui ont le malheur d'y goûter, dans ce véritable purgatoire sur terre) de la hiérarchie locale, appelée à se déchirer sous le poids des destinées et des forces opposées,  du jeune gangster Ryuichi et du policier vétéran Jojima, qui n'a pas eu peur de franchir le côté obscur de la loi pour sauver sa fille malade.

Dead or Alive - © DR Daiei - Toei Video Company -  Excellent Film -  Pretty Pictures - Splendor Films

Seule la folie furieuse et proprement improbable - dans son basculement vers la science-fiction débridée - du climax, saura véritablement répondre à la frénésie de cette introduction, le cinéaste bousculant sadiquement les attentes entre ses deux (gros) morceaux à travers une structure à rebours, au rythme non plus effréné mais lancinant, presque confortablement engourdie dans la manière qu'il a de faire se tourner autour les deux personnages (deux figures semblables d'une même pièce), comme pour faire monter la sauce avant leur inévitable affrontement, point d'orgue d'une écriture conventionnelle qui ne cherche jamais à révolutionner une popote familière et à l'efficacité éprouvée.

Une lutte bizarre (et le mot est faible, avec un cocktail improbable d'auto-mutilations/amputations, de bazookas fifous et même d'étranges orbes de pouvoir pas si éloignées d'un kaméhaméha) mais surtout incroyablement énervée et désespérée, celles entre deux âmes dont les quêtes vaines leur ont coûté tout ce qu'ils cherchaient à protéger (leurs familles, auprès de qui les liens se sont douloureusement fracturées), et qui sont désormais prêtes à tout faire exploser - genre vraiment - pour ne plus voir l'autre exister, pour rendre la monnaie de sa pièce à un monde dur et implacable, qui punit le moindre excès de faiblesse et de fragilité.
Deux êtres qui ne peuvent que s'entretuer même s'il ne peut véritablement y avoir de vainqueur à l'arrivée, tant tout deux sont à jamais enfermés dans un cycle de rage et de violence qui ravage tout, et avant tout et surtout eux-mêmes.

DOA 2 - sous-titré Birds -  lui, fausse suite (puisque jamais directement lié à DOA, qui se terminait ni plus ni moins que sur une apocalypse) mais véritable claque (indiscutablement le meilleur film de la trilogie), prend thématiquement et structurellement le contre-pied du premier opus, dans un élan résolument plus... Kitanesque.

Dead or Alive 2 : Birds - © DR Daiei - Toei Video Company -  Excellent Film -  Pretty Pictures - Splendor Films

S'il joue lui aussi la carte du polar, il lui préfère néanmoins un pendant joliment plus intime, contemplatif et onirique (dans sa première partie, parce que Miike reste Miike,  évidemment), si le premier pointait une humanité qui se dirigeait lentement mais sûrement à sa perte, ce second film laisse lui place à une sensibilité toute autre et bien plus bouleversante, vissée sur des âmes - deux tueurs à gages BFF et altruistes, Okamoto et Sawada -, renouant un temps avec la nostalgie l'innocence de l'enfance (une jeunesse dans un orphelinat qui a conditionné les hommes qu'ils sont devenus aujourd'hui), avant d'épouser leur funeste destin : s'unir face aux yakuzas et aux triades qui veulent leur peau à tous les deux, la faute à un jeu de dominos interne et complexe pour l'équilibre du pouvoir, auquel ils ont participé en honorant un contrat mortel.

L'innocence, liée à l'insouciance et à la simplicité d'une jeunesse constamment contrebalancée par le nihilisme de la vie d'adulte et du réel, est la force indomptable du tandem, persuadés qu'ils sont de pouvoir être capable de reprendre la main sur leur sombre entreprise (rien de moins que la perpétuation d'une mort déjà partout), après avoir réaliser qu'ils n'étaient que les pièces jetables mais diablement efficaces, d'une mécanique du mal dont ils ont furieusement huilé les rouages par leur propre violence sourde et expéditive.

Miike s'amuse d'ailleurs tout du long avec la contradiction profonde qui habitent ses enfants abandonnés devenus in fine des adultes parias, pas tant par choix que par absence/conscience d'en avoir un, l'orage du désespoir n'ayant jamais cessé de gronder au-dessus d'eux.
Mais à la différence de Ryuichi et Jojima, un potentiel salut est offert à Okamoto et Sawada dans cette reconquête chimérique d'un passé perdu, dans ce désir de changer de voie - tout en restant des anges de la mort - et de réapprendre à se connaître, intimement comme mutuellement.
Un vrai bijou surréaliste et même bouleversant, moins absurde et bien plus abstrait.

Dead or Alive Final - © DR Daiei - Toei Video Company -  Excellent Film -  Pretty Pictures - Splendor Films

DOA 3 en revanche, sobrement intitulé Final (véritablement la seule chose sobre du film), pousse le délire apocalyptique à un degré encore plus élevé que la moyenne, même chez le papa de Ichi The Killer.
Embrassant la science-fiction (vraiment) fauchée avec un penchant (trop) gourmand pour le cyberpunk (parce que quitte à se mettre des bâtons dans les roues, autant y aller franco), Miike catapulte son auditoire dans le Yokohama de 2346, d'où il compose une dystopie nourrie par les dérives totalitaires d'un maire/dictateur fou, poussant à l'extrême la politique (bien réelle jusqu'en 2006) de l'enfant unique avec une stérilisation forcée - via une drogue -, une contraception obligatoire et une hétérosexualité rejetée et devenue même tabou.

Mais une résistance un peu trop idéaliste pour son bien, vivant cachée et prônant un amour libre tout autant qu'un rejet du contrôle des naissances, prépare un renversement par la force, pour (re)créer un monde meilleur et sans entraves pour les enfants de demain.
Pas chiche en références plus où moins directes (Tetsuo mais surtout Blade Runner en tête), certes moins intéressé par les questions existentielles de celles-ci qu'à en proposer un pastiche plus où moins inspirés, ce troisième opus marque néanmoins dans sa volonté d'installer un constat politique aussi fantasque que crédible, bâtissant solidement le basculement vers un fascisme primaire à travers les échecs économiques et sociaux du passé (difficile de ne pas faire un parallèle avec la société contemporaine post-pandémie).

Grosse bisserie fleurtant dangereusement avec le Z, le film est définitivement le plus faible des trois, pas tant pour son supposé manque d'ambition où son manque cruel de moyen (ce n'est pas plus cheap qu'un DTV de luxe d'aujourd'hui), mais bien dans le détachement frustrant et dénué d'énergie de Miike autant derrière la caméra qu'à la table de montage (qui culmine à un climax méta affreusement ridicule), symbole un peu trop rationnel d'une trilogie qui elle-même, n'a eu de cesse que de le défier aussi bien d'une manière absurde que grandiose.
Le point final frustrant d'une (re)découverte qui fait cela dit, vraiment du bien.


Jonathan Chevrier