[ENTRETIEN] : Entretien avec Benoît Feroumont (Mon Ami Robot)
Copyright 2023 Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso |
Un des meilleurs films de 2023 débarque en cette fin d’année et s’avère être une pépite d’animation, réussissant à matérialiser à l’écran le besoin de connexion émotionnelle dans un souffle émotif palpable. Nous avons donc discuté avec Benoît Feroumont de ce qui fait de Mon Ami Robot un immanquable sur grand écran.
Le directeur d’animation est un drôle de poste sur les films d’animation. C’est un poste entre le réalisateur et les équipes d’animation. C’est la personne référente pour tous les animateurs, artistiquement... - Benoît Feroumont
Pourriez-vous expliciter toutes
les tâches que vous avez dû gérer sur Mon Ami Robot en tant que
directeur de l’animation ?
Le directeur d’animation est un
drôle de poste sur les films d’animation. C’est un poste entre le réalisateur
et les équipes d’animation. C’est la personne référente pour tous les
animateurs, artistiquement, car je travaillais généralement avec des
productrices pour organiser tout ça. Je suis le chef des animateurs, celui qui impulse
le style, écoute, comprend le mieux ce que le réalisateur veut. Sur ce coup-ci,
je me suis vraiment beaucoup entendu avec le réalisateur. Mes intuitions
étaient justes en général. Je suis aussi chargé du recrutement artistique. Il y
a aussi un côté un peu productionnel car il y a tout un calcul de donner telle
séquence ou tel personnage à tel animateur, de connaître chaque animateur,
aussi bien ses points forts que ses points faibles. Il y a aussi tout un côté
management humain car c’est un long moment. Cela a duré 18 mois de travail
d’animation. Évidemment, on est des humains donc on doit comprendre qui va mal,
qui va bien, qui est en forme, encouragé, découragé, … C’est tout un boulot de
chef d’équipe, artistique, d’impulsion, comprendre ce que le réalisateur veut.
Il faut parfois, pas le trahir, mais aller à l’encontre de son opinion pour son
bien (rires). C’était beaucoup le cas ici dans le sens où on avait un
réalisateur qui ne venait pas de l’animation. C’est un fan éclairé entouré de
gens qui avaient peu d’expérience au fond. Il ne connaissait pas exactement le
pouvoir de l’animation. Il voulait parfois des choses très très calmes et
demandait des choses douces mais je savais bien que cela n’allait pas
fonctionner. On lui proposait alors avec l’animateur quelque chose qui allait
mieux mettre en valeur ce qu’il avait en tête. Il y a tout un aspect technique
aussi : connaître les programmes, le temps que ça met, etc. Il y a un truc
aussi qu’on a fait sur cette production. On faisait chaque jour à 16h les
daily. Je prenais tous les plans qui ont été produits par les animateurs. Ils
ont jusque 15h30 pour dire s’ils sont dans la liste des daily et je checke tous
les plans en faisant des commentaires à voix haute. Dans le cas de « Robot
Dreams », j’ai demandé à ce que tous les animateurs soient là, même s’ils
n’avaient pas de plan. Cela me permettait de dire ce qui était important à
faire, avec un côté pédagogique. Donc, tous les jours, à 16h, j’étais sur mon
ordinateur avec des animateurs sur différents écrans afin de faire des
commentaires et en discuter. Il y avait évidemment beaucoup de commentaires au
début mais cela a fini par diminuer au fur et à mesure de la production.
C’est intéressant car le film
parle d’un besoin évident de connexion avec une forme de critique de
l’individualisme et cela ressort de ce que vous racontez.
Je n’y avais pas pensé mais
effectivement. C’est marrant car ça a à voir avec mon travail de bandes
dessinées et de dessins animés. La bande dessinée est un travail solitaire et
ça a tous les avantages de cet aspect : la liberté, aucun compte à rendre
à personne, … Mais après un certain temps, j’ai envie de me mesurer à autre
chose, avoir une vie sociale, me plonger dans un travail de groupe. L’animation
est géniale pour ça. Maintenant que j’ai terminé ce travail de groupe -même
s’il est fini depuis un bout de temps-, je suis content de revenir à la bande
dessinée, de retrouver ce côté un peu solitaire d’ours dans ma caverne.
Justement, comment cette
expérience de la bande dessinée a influencé votre travail sur l’animation, même
si vous avez déjà travaillé dans ce domaine, comme sur Les triplettes de
Belleville ?
Oui, il y avait aussi Brendan et le secret de Kells et Astérix et Obélix le
domaine des dieux mais, dans ces trois cas-là, j’étais directeur
d’animation d’une équipe belge. C’étaient des coproductions belges et je m’occupais
donc de ces groupes. Dans ce cas-ci, c’était vraiment moi qui étais en charge
de tout le film et qui devais imprimer un certain style d’animation. J’étais
donc en contact directement avec le réalisateur, à discuter directement avec
lui.
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Sur quoi se sont basées vos
premières discussions ?
Les premières discussions étaient
sur la recherche du style du film. Quand je suis arrivé à Madrid, il fallait
savoir que je remplaçais quelqu’un. On m’a engagé parce que j’avais justement
déjà fait du travail de directeur d’animation. Et puis, j’avais fait un
court-métrage qui s’intitulait Le lion et le singe, qui avait
reçu le Magritte du Meilleur court-métrage d’animation. Le réalisateur avait vu
le film et trouvait que c’était le style qu’il voulait. Ils m’ont donc contacté
et j’ai assez vite accepté pour venir à Madrid. J’ai alors commencé à
travailler avec les animateurs en montrant ce court-métrage et à explorer
comment faire pour que ce film fonctionne en termes de mouvements et
d’animation. Au début, Pablo voulait un truc qui était presque « non
animé ». Il faut dire que l’animatique était très puissant, tout était
déjà bien en place. Justement, c’était tout un débat pour trouver le bon style.
Dans le côté cartoon, on peut faire quelque chose de très exagéré, comme dans Roger Rabbit, et dans la non animation. Il y a toute une palette.
Ce que j’ai assez vite compris dans le film, c’est que ce qui était important,
c’était la grande scène d’émotion à la fin et que, pour que cette émotion soit
comprise par le spectateur, il fallait la rendre concrète. Si les personnages
sont crédibles, leurs émotions le seront autant. Il fallait arriver à croire en
leur réalité. Alors oui, on a un chien et un robot mais on l’oublie assez
facilement. Je voulais des personnages vivants, en qui on puisse croire, et
cela passait par les mouvements, les choses concrètes, les contacts entre les
objets ou les systèmes de pression. Il y a des tas de trucs qu’on peut faire en
animation pour rendre les choses efficaces et magiques. On les a évités. Cela
demandait aussi une forme de tempo entre les choses que demandait Pablo, avec
une animation douce et très calme, tout en donnant en même temps de la chair à
ces personnages dans ce décor qui était très juste en termes de perspective et
de réalisme. Il fallait aussi aller tous les jours dans le bureau du
réalisateur et montrer les étapes de l’animation, les layouts, les cleanups.
Pablo avait l’habitude de travailler les plans jusqu’à la dernière seconde et
c’était difficile de lui expliquer que c’était fini ici après le layout, qu’on
ne peut plus changer la mise en scène après ou trouver une nouvelle idée de
mise en scène. Il a eu beaucoup de mal au début à accepter que l’animateur
devait travailler sur une base déjà validée (rires). Je ris parce qu’il était
toujours aussi gentil et très compréhensif. Il arrivait en disant qu’il avait
une idée et je lui disais que c’était impossible car on avait déjà eu les
layouts. Il a fallu lui expliquer qu’une fois que l’idée était validée en
animation, on ne pouvait pas faire de nouveaux ajouts de dernière minute. Il
devait juste nous expliquer le « quoi » et on créait ce
« quoi ».
Le fait que la narration ne se
repose sur aucun dialogue et que l’émotion se base essentiellement sur le trait
a apporté un autre challenge au film ?
Il se trouve que je n’ai
quasiment fait que ça dans ma carrière d’animateur donc je suis à l’aise avec
ça. Ce n’est pas le trait sur lequel on repose plus mais sur l’animation et le
mime. On est plutôt dans la narration des films muets, de Laurel et Hardy, Tom
et Jerry, les Hannah Barbara, les Bugs Bunny, les Buster Keaton et Charlie
Chaplin. On est vraiment dans ces histoires-là, dans cette manière de raconter
des histoires uniquement sur l’action car on n’avait pas de dialogues. En plus,
dans ce cas-ci, il n’y avait carrément pas de panneau. Pablo avait déjà fait un
film du nom de Blancanieves, un film muet mais qui avait quelques
panneaux. Il n’y avait pas besoin de ça ici. Tout le storyboard avait été fait
en amont par Pablo, José Luis Ágreda et une storyboardeuse du nom de Maca Gil. Ils
ont fait ça avec le monteur aussi et ont travaillé de manière intense. L’animatique
était vraiment très bon. Maca a fait un travail de mise en scène avec Pablo qui
était vraiment excellent. Il fallait servir cette étape qui était déjà là et
était essentielle. Le film, en tant qu’animatique, était déjà émouvant.
C’est intéressant que ce film ait
ce côté coloré qui peut toucher tout le monde tout en ayant des thématiques qui
sont très matures : la solitude dans les grandes villes, la croissance
émotionnelle,…
C’est ce qui m’a attiré dans le
film. C’était déjà dans le livre de Sara Varon et c’est aussi dans le
film : il y a deux lectures globales. On peut le voir comme un enfant le
fait -ou certains adultes- sur cette histoire d’amitié, s’ils vont se retrouver
et si cette amitié va perdurer par la suite. Il y a un autre sujet que je vois
dans le film : la fin d’une histoire d’amour. Dans le livre, il y a ça
aussi. On peut y voir une métaphore d’un couple qui se sépare avec deux
réactions différentes dans leurs circonstances. Il y en a un qui cherche de
nouveaux amis, ici avec Dog. Il est assez actif et en recherche, avec sa
maladresse, avec son côté un peu Droopy maladroit. De l’autre côté, il y a
quelqu’un qui est bloqué, ne sait pas bouger et a besoin d’être sauvé. Ça m’a
vraiment frappé quand j’ai lu le livre et c’était encore là dans le scénario de
Pablo d’avoir ce sentiment de double lecture qui n’est pas qu’une anecdote dans
le film. On l’a joué plein de fois dans ce sens-là pour avoir ce thème adulte
de la solitude dans les grandes villes, de qui on rencontre, comment, pourquoi,
la dureté de la solitude et des relations parfois. Il y a des choses très dures
qui ont à voir avec les adultes et qui passent crème avec les enfants parce que
c’est tellement joyeux et coloré. Mais si on dit les choses avec les mots,
c’est très douloureux. J’étais donc très enthousiaste de travailler sur quelque
chose comme ça.
Vous parliez de l’aspect action,
il y a un vrai pouvoir du toucher dans le film.
C’était en tout cas déjà dans l’animatique. Mais en termes de facture, quand on a dû animer ces contacts, ces mains, … Il y a une scène à la fin qui était compliquée de mettre en place pour rester juste, avoir cet aspect tactile tout en conservant ces perspectives. Ces scènes-là ont demandé beaucoup de soin au niveau du dessin l’air de rien. Je ne peux pas vraiment dire qu’on a rencontré des difficultés énormes à les dessiner car le dessin était très simple et cela n’était pas compliqué à dessiner. Par contre, on y apportait beaucoup de précision et d’élégance. Il fallait vraiment que ce soit élégant et doux. C’est là-dessus que j’étais exigeant. J’avais des dessinateurs qui étaient largement à la hauteur des graphismes. Le design des personnages était très chouette pour de l’animation plutôt, pas facile mais aisée. Cela ne posait pas énormément de questions de dessins. Par contre, le style d’animation, la douceur, la crédibilité des décors encore une fois, tout cela a nécessité qu’on apporte beaucoup de soin. Je portais beaucoup d’attention aux contacts entre les choses, la place des pieds et des mains. Il y a plusieurs moments où les corps se touchent, s’agrippent. Je tenais beaucoup à ce que cela soit juste, sans que ce ne soit sensuel car on n’allait pas là-dedans. Si ça devait être tendre, on allait dans la tendresse. Je me souviens très bien d’une scène où Robot est bloqué sur la plage et Dog tourne autour sans savoir quoi faire. Il y a beaucoup de contacts à ce moment-là et on a énormément travaillé dessus. J’ai demandé à l’équipe d’animateurs d’amener des caresses dans les regards, de bien insister sur la douceur des choses, que le personnage ne l’écrase pas. Il fallait qu’il ne mette pas tout son poids, qu’il se pose sur lui sans force. On a bien prêté attention à tous ces points-là.
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Cette attention se ressent aussi
dans la gestion des couleurs, conservant un côté réaliste derrière son aspect
très coloré. Cela appuie aussi son côté émotif.
On avait un color script sur le
film (José Luis Ágreda). C’est quelqu’un qui prend toutes les scènes clés et il
fait une palette de couleurs à travers tout le film. C’est très beau, une
espèce de tableau avec tout le film en couleurs. Effectivement, c’est comme ça
qu’on arrive, avec le réalisateur et le directeur artistique, à créer une
palette de couleurs qui est vraiment repiquée sur tout. Les personnages et les décors
sont mis ensemble et ce color script raconte l’histoire. On peut, à travers
certaines couleurs, insister sur l’histoire. On sait que le rouge réfère à une
certaine sorte de passion et d’intensité, que le vert apporte quelque chose de
plus inconfortable comme le bleu et les couleurs froides. On peut raconter
toute une histoire avec les couleurs. Il y a vraiment un moyen d’insister et on
finit par faire au compositing toutes les couleurs ensemble. Le compositing,
c’est un peu comme le mixage de tout, c’est une étape hyper importante qui est
un peu méconnue car cela vient juste après l’animation. Il y a un clean up, une
mise en couleur des personnages. On met les décors et les personnages ensemble
et cela donne, un peu comme au mixage, à toute l’image une tenue qui fait
cinéma. Cela se passe au compositing et ils se ramassent beaucoup de travail
parce qu’ils viennent toujours en fin de course ramasser les choses qui
manquent, comme les imperfections.
C’est un point que je ne
connaissais effectivement pas.
Je vais beaucoup insister dessus
car je vois peu de gens qui en parlent. C’est souvent injuste car c’est vrai
qu’ils arrivent toujours en fin de course et ils sont à chaque fois les héros
des films, pour l’image en tout cas. Ce sont les gens du compositing qui
mettent tout ensemble. C’est très ingrat car c’est un truc technique, pourtant
artistique, mais c’est toujours eux qui se ramassent les couillonnades et les
choses qui n’ont pas été faites.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Heidi Vermander de
Cinéart pour cet entretien.