[CRITIQUE] : L'Innocence
Réalisateur : Hirokazu Kore-eda
Avec : Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h06min
Synopsis :
Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…
Critique :
Après Les Bonnes Étoiles en 2022, Kore-Eda revient cette année avec L’Innocence, présenté à Cannes avec le titre Monster. Kore-Eda Hirokazu a laissé sa place de scénariste ne se sentant pas capable au moment de la préproduction d’écrire un scénario à Yuji Sakamoto avec lequel il partage des thématiques fortes autour de la famille. Ce dernier propose cependant un scénario chapitré qui donne une impression plus organisée au film.
Cette organisation en trois parties fait de ce film le digne héritier de Rashōmon (Akira Kurosawa / 1950) en proposant trois points de vue différents. Cette construction a récemment été utilisée dans Le Dernier Duel (Ridley Scott / 2021). Si les deux films n’ont que peu de point en commun, il est intéressant de comparer l’utilisation de cette construction particulière. L’effet Rashōmon, originellement, montre que la vérité est complexe et se construit autour de point de vue. Dans L’Innocence comme dans Le Dernier Duel, le dernier acte n’est pas là simplement pour montrer juste un point de vue mais une vérité. Dans l’un, la vérité d’une femme violée, dans l’autre, l’amour naissant entre deux garçons dans une société certainement pas prête à l’accepter. Deux types de personnes bien trop souvent invisibilisées par le passé.
L’Innocence fonctionne en labyrinthe, que ce soit par le sens comme expliqué plus tôt que par les choix de décors, un dédale de pièces, de couloirs, de fenêtres où les personnages cherchent la vérité. Décors contrastant avec le lieu de la résolution finale : la cachette merveilleuse des deux garçons, remplies de bibelots et entourée de verdure. La nature joue un rôle essentiel dans la relation entre chaque personnage. Le climax se fera sous fond de tempête salvatrice.
Les jeunes acteurs sont tous deux de belles surprises malgré des rôles pas forcément évidents. Car derrière la douceur de cette belle rencontre, il y a toute la violence du harcèlement et du mépris pour ceux considérés comme différents. Des concepts forts qui touchent beaucoup à l’adolescence.
L’Innocence est un film doux-amer sur la famille comme sait si bien les faire Kore-Eda Hirokazu. Il s’est fait accompagner d’un scénariste, Yuji Sakamoto, qui a su proposer une histoire correspondant parfaitement au cinéaste. Cette belle naissance d’un amour n’a pas démérité sa Queer Palm.
Éléonore Tain
Tout est une question de rupture au sein du nouveau long-métrage de Hirokazu Kore-eda, à la fois d'un point de vue symbolique (c'est la première fois, depuis sa toute première réalisation, qu'il n'a pas écrit le scénario qu'il met en images, ici l'œuvre de Yuji Sakamoto) et émotionnel (il abandonne volontairement le registre de la comédie, pour évoluer plus franchement, et avec aisance et sérénité, dans le domaine plus balisé du drame, saupoudré d'un doigt des codes du thriller), quand bien même il ne se déleste pas totalement de ses habitudes familières - un décortique en règle, profond et attentif, des dynamiques de la famille japonaise moderne.
L'innocence, dont on préférera évidemment le titre original, bien plus évocateur - Monster -, est vissé sur un puzzle narratif et ludique à la Rashōmon (quand bien même cette référence s'avère un poil maladroite dans le fond, tant tous les récits sont ici ceux d'une seule et même histoire), ou plusieurs points de vue bien distincts se rejoignent pour trouver une cohérence, un regard qui leur est propre, quitte à en reconsidérer tout du long, une vérité qui semble savamment leur/nous échapper.
Complexe (trop peut-être) et insaisissable (fruit de fausses pistes et faux indices constants) sans pour autant être déstabilisant, le regard du cinéaste se fait celui d'une mère d'un jeune adolescent - Minaro -, de l'enseignant qui le maltraiterait (et même du directeur de l'établissement, même si celui-ci est plus mineur, qui trouve sa force dans la manière dont les accusations nourrissent, inconsciemment, la toxicité) mais également de l'adolescent lui-même et de son ami - Yori -, au travers de l'amitié intense et de l'amour inconscient entre deux mômes réprimés par leur environnement, catalyseurs d'un condensé sombre de jugements, de sentiments refoulés, de haine, de mensonges et de réflexes presque conditionnés par la société en elle-même, furieusement paranoïaque et malade (et où l'institution scolaire, au Japon comme en France, paraît à la fois impuissante et coupable face aux maux de la jeunesse et son incapacité à se construire sainement).
Tout ou presque semble heurter l'innocence de ses deux gamins hantés par l'incompréhension et la tragédie - l'un est orphelin de père, l'autre de mère - symboliquement représenté par le feu d'un bâtiment voisin en ouverture, évènement charnière et prémonitoire de l'intrigue (tout comme celui de la grotte, qui introduit le corps enseignant, ou même la tempête qui clôt le long-métrage).
Ou est véritablement le monstre, dans l'innocence et/où inconscience de l'enfance, ou dans celle de l'âge adulte qui ne voit pas les choses - où n'est pas encore prêt de les accepter -, Kore-eda ne donne jamais matière à juger mais uniquement à observer puis de comprendre, par la poésie de sa mise en scène (le pouvoir des images face aux mots) et d'une écriture minutieuse de ses personnages, qu'il décortique sans jamais les condamner à un jugement péremptoire, à travers leurs gestes, leurs motivations, leurs mots et les conséquences qui en découlent.
Et quand bien même il offre un point de vue merveilleusement bouleversant à la mère de Minato, Saori (une magnifique Sakura Andō), très - trop - confronté aux perturbations, aux questionnements et aux peurs de l'adolescence (elle est aussi innocente qu'inconsciente, peu préparée dans un rôle de mère/veuve qui la dépasse), c'est au travers du point de vue de ses deux plus jeunes protagonistes, que l'humanisme et la délicatesse authentique du cinéaste, frappent le plus juste.
Libérateur et suspendue dans une dimension presque onirique (embaumé dans la composition somptueuse de feu Ryūichi Sakamoto, la dernière avant son décès), attendant patiemment que la tempête (physique et métaphorique) passe, le récit de Minato et Yori est le cœur même du récit et de ses contradictions, le fruit doux des mesures précises et minutieuse d'un mélodrame choral sur des âmes prisonnières de leur adversités, où la question n'est plus vraiment de savoir qui est le monstre, car il naît d'une incompréhension, d'une innocence et d'un mensonge parfois inconscient.
Nous sommes tous, inconsciemment où non, le monstre de quelqu'un dans une société qui incite à la monstruosité.
Jonathan Chevrier
Avec : Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h06min
Synopsis :
Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…
Critique :
Complexe et insaisissable,#LInnocence se fait un formidable mélodrame choral sur des âmes prisonnières de leur adversités, Kore-eda ne donnant jamais matière à juger ses personnages, nous laissant uniquement les observer pour mieux les comprendre, dans toutes leurs contradictions pic.twitter.com/xeRdTik8Tm
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 27, 2023
Après Les Bonnes Étoiles en 2022, Kore-Eda revient cette année avec L’Innocence, présenté à Cannes avec le titre Monster. Kore-Eda Hirokazu a laissé sa place de scénariste ne se sentant pas capable au moment de la préproduction d’écrire un scénario à Yuji Sakamoto avec lequel il partage des thématiques fortes autour de la famille. Ce dernier propose cependant un scénario chapitré qui donne une impression plus organisée au film.
Cette organisation en trois parties fait de ce film le digne héritier de Rashōmon (Akira Kurosawa / 1950) en proposant trois points de vue différents. Cette construction a récemment été utilisée dans Le Dernier Duel (Ridley Scott / 2021). Si les deux films n’ont que peu de point en commun, il est intéressant de comparer l’utilisation de cette construction particulière. L’effet Rashōmon, originellement, montre que la vérité est complexe et se construit autour de point de vue. Dans L’Innocence comme dans Le Dernier Duel, le dernier acte n’est pas là simplement pour montrer juste un point de vue mais une vérité. Dans l’un, la vérité d’une femme violée, dans l’autre, l’amour naissant entre deux garçons dans une société certainement pas prête à l’accepter. Deux types de personnes bien trop souvent invisibilisées par le passé.
Copyright 2023 Monster Film Committee |
L’Innocence fonctionne en labyrinthe, que ce soit par le sens comme expliqué plus tôt que par les choix de décors, un dédale de pièces, de couloirs, de fenêtres où les personnages cherchent la vérité. Décors contrastant avec le lieu de la résolution finale : la cachette merveilleuse des deux garçons, remplies de bibelots et entourée de verdure. La nature joue un rôle essentiel dans la relation entre chaque personnage. Le climax se fera sous fond de tempête salvatrice.
Les jeunes acteurs sont tous deux de belles surprises malgré des rôles pas forcément évidents. Car derrière la douceur de cette belle rencontre, il y a toute la violence du harcèlement et du mépris pour ceux considérés comme différents. Des concepts forts qui touchent beaucoup à l’adolescence.
L’Innocence est un film doux-amer sur la famille comme sait si bien les faire Kore-Eda Hirokazu. Il s’est fait accompagner d’un scénariste, Yuji Sakamoto, qui a su proposer une histoire correspondant parfaitement au cinéaste. Cette belle naissance d’un amour n’a pas démérité sa Queer Palm.
Éléonore Tain
Copyright 2023 Monster Film Committee |
Tout est une question de rupture au sein du nouveau long-métrage de Hirokazu Kore-eda, à la fois d'un point de vue symbolique (c'est la première fois, depuis sa toute première réalisation, qu'il n'a pas écrit le scénario qu'il met en images, ici l'œuvre de Yuji Sakamoto) et émotionnel (il abandonne volontairement le registre de la comédie, pour évoluer plus franchement, et avec aisance et sérénité, dans le domaine plus balisé du drame, saupoudré d'un doigt des codes du thriller), quand bien même il ne se déleste pas totalement de ses habitudes familières - un décortique en règle, profond et attentif, des dynamiques de la famille japonaise moderne.
L'innocence, dont on préférera évidemment le titre original, bien plus évocateur - Monster -, est vissé sur un puzzle narratif et ludique à la Rashōmon (quand bien même cette référence s'avère un poil maladroite dans le fond, tant tous les récits sont ici ceux d'une seule et même histoire), ou plusieurs points de vue bien distincts se rejoignent pour trouver une cohérence, un regard qui leur est propre, quitte à en reconsidérer tout du long, une vérité qui semble savamment leur/nous échapper.
Copyright 2023 Monster Film Committee |
Complexe (trop peut-être) et insaisissable (fruit de fausses pistes et faux indices constants) sans pour autant être déstabilisant, le regard du cinéaste se fait celui d'une mère d'un jeune adolescent - Minaro -, de l'enseignant qui le maltraiterait (et même du directeur de l'établissement, même si celui-ci est plus mineur, qui trouve sa force dans la manière dont les accusations nourrissent, inconsciemment, la toxicité) mais également de l'adolescent lui-même et de son ami - Yori -, au travers de l'amitié intense et de l'amour inconscient entre deux mômes réprimés par leur environnement, catalyseurs d'un condensé sombre de jugements, de sentiments refoulés, de haine, de mensonges et de réflexes presque conditionnés par la société en elle-même, furieusement paranoïaque et malade (et où l'institution scolaire, au Japon comme en France, paraît à la fois impuissante et coupable face aux maux de la jeunesse et son incapacité à se construire sainement).
Tout ou presque semble heurter l'innocence de ses deux gamins hantés par l'incompréhension et la tragédie - l'un est orphelin de père, l'autre de mère - symboliquement représenté par le feu d'un bâtiment voisin en ouverture, évènement charnière et prémonitoire de l'intrigue (tout comme celui de la grotte, qui introduit le corps enseignant, ou même la tempête qui clôt le long-métrage).
Ou est véritablement le monstre, dans l'innocence et/où inconscience de l'enfance, ou dans celle de l'âge adulte qui ne voit pas les choses - où n'est pas encore prêt de les accepter -, Kore-eda ne donne jamais matière à juger mais uniquement à observer puis de comprendre, par la poésie de sa mise en scène (le pouvoir des images face aux mots) et d'une écriture minutieuse de ses personnages, qu'il décortique sans jamais les condamner à un jugement péremptoire, à travers leurs gestes, leurs motivations, leurs mots et les conséquences qui en découlent.
Copyright 2023 Monster Film Committee |
Et quand bien même il offre un point de vue merveilleusement bouleversant à la mère de Minato, Saori (une magnifique Sakura Andō), très - trop - confronté aux perturbations, aux questionnements et aux peurs de l'adolescence (elle est aussi innocente qu'inconsciente, peu préparée dans un rôle de mère/veuve qui la dépasse), c'est au travers du point de vue de ses deux plus jeunes protagonistes, que l'humanisme et la délicatesse authentique du cinéaste, frappent le plus juste.
Libérateur et suspendue dans une dimension presque onirique (embaumé dans la composition somptueuse de feu Ryūichi Sakamoto, la dernière avant son décès), attendant patiemment que la tempête (physique et métaphorique) passe, le récit de Minato et Yori est le cœur même du récit et de ses contradictions, le fruit doux des mesures précises et minutieuse d'un mélodrame choral sur des âmes prisonnières de leur adversités, où la question n'est plus vraiment de savoir qui est le monstre, car il naît d'une incompréhension, d'une innocence et d'un mensonge parfois inconscient.
Nous sommes tous, inconsciemment où non, le monstre de quelqu'un dans une société qui incite à la monstruosité.
Jonathan Chevrier