[CRITIQUE] : Notre Corps

Réalisatrice : Claire Simon
Avec : -
Distributeur : Dulac Distribution
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français.
Durée : 2h48min

Synopsis :
J’ai eu l’occasion de filmer à l’hôpital l’épopée des corps féminins, dans leur diversité, leur singularité, leur beauté tout au long des étapes sur le chemin de la vie. Un parcours de désirs, de peurs, de luttes et d’histoires uniques que chacune est seule à éprouver. Un jour j’ai dû passer devant la caméra.

Critique :

Il y a définitivement du Wiseman, dans la structure narrative mais surtout l'humanité désarmante qui se dégage du merveilleux #NotreCorps, une plongée foisonnante dans les vérités du service de gynécologie de l'hôpital Tenon, ou les témoignages intimes deviennent universelles. pic.twitter.com/OXLRe7PgHp
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 4, 2023

Quand bien même il a une - magnifique - tendance à décortiquer les rouages et les limites des institutions de nos sociétés actuelles, il y a clairement un esprit de l'humanité très " Wiseman-ienne " qui se dégage du nouveau long-métrage de Claire Simon, Notre Corps, que l'on avait laissé début 2022 avec l'étrange et fascinant Vous ne désirez que moi, où elle s'attaquait rien de moins qu'à la figure imposante - voire déstabilisante - de Marguerite Duras.

Dans sa plongée foisonnante (près de trois heures) dans les salles et le service de gynécologie de l'hôpital Tenon à Paris, la cinéaste se montre peut-être encore plus ambitieuse dans sa manière de scruter la vie dans une structure censé repondre à tous les types de requêtes médicales liées au corps féminin; des tests de fertilité aux pratiques d'avortement, des conséquences douloureuses de l'endométriose aux opérations difficiles de changement de sexe, de la grossesse et des accouchements aux traitements du cancer.

Mais point de regard généralisé sur les ravages d'un milieu médical à la dérive, laissé à l'abandon aussi bien économiquement qu'humainement par un gouvernement aveugle et incompétent - pour rester poli -, quand bien même elle ne laisse pas totalement la fenêtre fermée sur le sujet, tant c'est bien l'humain qui motive pleinement son observation intime, qui devient vite universelle, dans son portrait dense et captivant de la féminité du point de vue des transformations, saines ou néfastes, que subissent les corps au cours de la vie.

C'est là que le rapprochement avec le cinéma béni de Frederick Wiseman se fait pertinent, dans cette approche humaniste de son sujet, dans sa volonté de laisser respirer chacune des expériences individuelles (une pluie de témoignages des peurs, des douleurs et des espoirs de nombreuses femmes, qui ne dépasse que rarement la consultation et l'exposition du diagnostic) qui forment le tout de son expérience, dans sa volonté de filmer la vérité parfois abrupte et cruelle, du corps féminin, en rejetant toute idée de sexualisation putassière.

Une transparence incroyable et émouvante qui dépasse les limites du documentaire lorsque la réalité rattrape la réalité du cadre cinématographique, et que Claire Simon elle-même se voit diagnostiquer un cancer du sein, répond elle-même aux questions des médecins, se met elle-même à nue devant sa propre caméra.
Le " nous " de Notre Corps prend alors un sens encore plus puissant, bouleversant et viscéral, encore plus vrai et intime qu'il ne l'était déjà.
Une œuvre essentielle et, définitivement, immanquable.

Jonathan Chevrier