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[CRITIQUE] : MMXX


Réalisateur : Cristi Puiu
Avec : Bianca Cuculici, Laurentiu Bondarenco, Otilia Panaite, Florin Tibre, Igor Babiac, …
Distributeur : Shellac
Budget : -
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Roumain, Français, Moldave
Durée : 2h40min

Synopsis :
Plusieurs portraits, quatre récits, quatre courts moments dans le temps, la poursuite d’un groupe d’âmes errantes coincées au carrefour de l’Histoire.


Critique :


« S’il est vrai que le cinéaste est, dans une certaine mesure, un témoin de son temps, alors je considère MMXX, ces quatre entrées d’un possible journal intime, comme ma propre confession inachevé ». La note d’intention de Cristi Puiu concernant son nouveau long métrage ne pourrait pas être plus claire. Alors qu’on pouvait voir son précédent film, Malmkrog, comme un miroir de la pandémie (il est sorti en été 2020), avec ces bourgeois coupés du monde en pleine joute rhétorique, MMXX (qui, en chiffre romain, se lit 2020) en est la restitution pleine et entière. Quatre histoires, plus ou moins liées entre elles, dont le but est de sonder le comportement humain de cette période covidée.

Copyright Shellac

MMXX, c’est la juxtaposition de quatre histoires bien différentes. Une consultation chez une psychologue tout d’abord, puis une soirée familiale qui tourne au vinaigre, un temps de repos à l'hôpital et enfin, un interrogatoire mené par la police avec pour but de démanteler un réseau de prostitution et un trafic d’organes. La parole, comme pour son précédent film, est le personnage principal. Long plan fixe et plan-séquence mettent en lumière cette logorrhée. Il n’est pas question de philosophie cette fois-ci mais de l’égocentrisme des personnages.

Au fil des dialogues et d’une caméra qui privilégie plus les plans larges que les gros plans, les personnages vivent leurs propres aventures intérieures, avec un seul et même problème : eux-mêmes. Cela frise parfois le grotesque (et donc la comédie), tant nous assistons à un dialogue de sourds. Quand l’une parle d’une amie malade, l’autre parle de son baba au rhum qu’il a peur de rater. Quand l’un parle de son date avec une femme liée à la Mafia, l’autre regarde son téléphone. Nous avons l’impression qu’ils cherchent constamment l’illusion plutôt que la réalité, imperméables à ce que vivent les autres. Le film en devient presque misanthrope. À force de les voir incapables de s’ouvrir aux autres, c’est nous, spectateur⋅ices, qui devenons imperméables à leur bêtise. Circonscrit dans leur esprit, mais aussi à l’intérieur de la narration (délimitée par des segments), les personnages ne nous atteignent pas. Les dialogues, stars du film, ne sont plus qu’un fond sonore limite indigeste. L’enchaînement des histoires est entrecoupé d’un interlude “nature”, avec bruit d’oiseaux et feuillages dans le cadre. Au fur et à mesure, la nature laisse place à des éléments d’électroménagers cassés, comme une décharge dans une forêt luxuriante. Nous avons connu Cristi Puiu plus subtil pour établir un portrait sociétal sans concession.

Copyright Shellac

La forme devient aussi indigeste que le fond. Nous connaissons l’amour du réalisateur roumain pour les longs plans, qui laissent couler le temps et viennent capter chaque mouvement des acteur⋅ices. Dans MMXX, tout est si étriqué (à part le dernier segment, où nous avons enfin le droit de sortir !) que l’on se sent de nouveau confiné, malgré l’espace non négligeable des deux immenses appartements que l’on voit dans les deux premiers segments. Alors oui, peut-être que Puiu a voulu faire revivre à son public cet étrange sentiment du confinement. Mais, encore une fois, nous l’avons connu plus subtil. Le cynisme qui se dégage du film a quelque chose de complaisant. De la négativité sans apporter une quelconque réflexion plus poussée sur les maux sociétaux, le Covid étant une goutte d’eau supplémentaire, un nouveau sillon dans un champ déjà ensemencé.

Pour Cristi Puiu, la pandémie n’a fait qu’infecter une blessure déjà ouverte, la société étant déjà trop individualiste et sectaire pour être sauvée. Journal intime comme il le dit lui-même, MMXX est une page remplie d’amertume, un aveu de colère sourde dont la seule fonction est de laisser libre court à sa lassitude.


Laura Enjolvy



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