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[CRITIQUE] : Sissi & moi



Réalisatrice : Frauke Finsterwalder
Avec : Sandra Hüller, Susanne Wolff, Stefan Kurt, Georg Friedrich, …
Budget : -
Distributeur : Kinovista
Genre : Drame, Historique, Biopic, Comédie
Nationalité : Allemand, Autrichien, Suisse
Durée : 2h12min

Synopsis :
Lorsque l’impératrice Sissi choisit Irma comme dame d’honneur pour l’accompagner dans ses escapades méditerranéennes, celle-ci se prête de bonne grâce à ses exigences. Rapidement, Irma semble parvenir à apprivoiser cette souveraine excentrique et éprise de liberté. Mais à leur retour en Bavière, les étouffantes conventions de la cour mettent leur apparente complicité à rude épreuve.


Critique :


Ceux et celles qui ont un jour visité le Sissi Museum à Vienne le savaient déjà : l’impératrice était loin de ressembler à la version candide de Romy Schneider dans les trois films d'Ernst Marischka (entre 1955 et 1957). Après Corsage de Marie Kreutzer (sorti en salle fin 2022), c’est au tour de Sissi & moi, réalisé par Frauke Finsterwalder, de casser le lyrisme de la belle impératrice aux yeux brillants pour le remplacer par un regard plus moderne (et cruel) de cette femme excentrique, à l’accent limite despotique.

Copyright Kinovista

La figure Sissi n’a jamais cessé de fasciner le grand comme le petit écran. Cette femme, aux longs cheveux bruns, sportive et irrévérencieuse, avait dessiné son propre destin en refusant de se conformer à la vie de la cour, au grand dam de son mari et du gouvernement autrichien. Dans Sissi & moi, c’est par le biais de sa relation avec sa dame de compagnie, l'aristocrate Irma Sztáray, que la réalisatrice allemande peint un portrait nuancé de l’impératrice. Instable, toujours en quête d’excellence et de mouvement, cette Elisabeth se meut dans un sens ou dans un autre, dans un pays ou dans un autre, tant qu’on ne l’oblige pas à tenir son rang dans une cour où on étouffe la liberté qu’elle chérie tant. Avec Irma (Sandra Hüller qui, décidément, semble à l’aise dans tous les rôles) comme personnage principal, le film esquisse, en arrière-plan, une société bourgeoise étriquée où les femmes ne sont que des pions qu’il faut savoir placer intelligemment. Dans son inconfortable robe rose bouffante, dans son corset qui lui serre le ventre et la poitrine, Irma est jugée apte à s’occuper de l’impératrice. Devenir dame de compagnie est le seul destin qui lui reste car le personnage, sous la coupe de sa mère, refuse catégoriquement de se marier.

De cette image figée de robes de princesse et de femme naïve qui nous reste de Romy Schneider, Frauke Finsterwalder lui oppose un univers aéré de robes fluides et de rébellion punk. Le cinéma aime l’anachronisme quand il est question de femmes à l’esprit libre, malgré la prison patriarcale que représentait leur époque. La Marie-Antoinette de Sofia Coppola en est le parfait exemple, Miss Marx de Susanna Nicchiarelli en est un exemple plus frais. La musique, anachronique, souligne ici l’accent moderne de ces femmes qui refusent d’embrasser un statut maritale classique. Au moment où Irma jouit de cette liberté nouvelle, elle se met à fredonner la musique jusqu’alors extra-diégétique, intégrant ainsi cette modernité dans sa voix. Hélas, Sissi & moi nous le montre bien, la liberté qu’Irma pensait trouver aux côtés de son impératrice n’est que factice. Ce n’est pas une coïncidence si, dès que le personnage entame ce chant, Elisabeth se jette dans le vide, lui rappelant ainsi que rien n’est joué avec elle. Du jour au lendemain, Sissi peut jeter ses sujets aussi facilement qu’elle se jette elle-même de la falaise. Irma n’est pas à l’abri et doit constamment rester sur le qui-vive. Personnage ambivalent, Sissi n’est plus le fantasme de la femme qui sait tenir son rang, mais n’est pas non plus le bourreau sans cœur que l’on nous montre pendant la première heure du film. C’est une vie de contrainte, d’obligation, que l'on nous dévoile, à commencer par les contraintes physiques, comme porter une robe imposante avec corset ou se plier au désir sexuel de son mari. Le personnage n’a que peu de marge de manœuvre, à part ce qu’elle fait subir à son propre corps, pour retrouver un semblant de contrôle : faire (trop) d’exercice, ne pas (ou peu) manger, être obsédée par les signes de vieillesse.

Copyright DCM / Bernd Spauke


Frauke Finsterwalder n’hésite pas à établir une relation ambiguë entre Sissi et Irma, entre fascination et amour, entre amitié et servitude. Sissi a l’habitude qu’on l’aime, qu’importe le genre de la personne en face d’elle. Toujours complimentée sur son charme naturel, sur sa beauté plastique (qu’elle voit se flétrir avec l’âge), elle accepte, avec plaisir et avidité, d’être un objet de désir et d’envie pour ses servantes, pour ses proches, pour ses sujets. Du côté d’Irma, la réalisatrice floute les sentiments de la dame de compagnie. Est-elle amoureuse de son impératrice ? Est-elle jalouse ? Est-elle fascinée ? Son rejet des hommes, son aversion même, nous aiguille sur la possibilité qu’Irma soit lesbienne et que les sentiments qu’elle ressent vis-à-vis de Sissi soient d’une nature romantique. La cruauté de sa mère, qui ne lui cache jamais sa déception, assoit cette théorie. Peut-être sait-elle tout de l’orientation sexuelle de sa fille, en lui exprimant, de façon détournée, sa répugnance. Quand la voix-off d’Irma, qui débute et achève le film, déclame « lumière allumée, lumière éteinte », nous pouvons l'interpréter comme le fait que le personnage a appris à cacher son identité et qu’elle a vu, dans la figure de Sissi, un moyen de s’extirper de son placard mental.

Filmé comme un tableau de renaissance italienne (avec cette colorimétrie digne de la Naissance de Vénus), Sissi & moi participe à renouveler le mythe de l’impératrice, un mouvement que le cinéma et les séries semblent vouloir suivre de très près.


Laura Enjolvy