[CRITIQUE] : Ça tourne à Séoul ! Cobweb
Réalisateur : Kim Jee-Woon
Avec : Song Kang-Ho, Im Soo-Jung, Jeon Yeo-bin, Woo-Sung Jung,...
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Comédie dramatique.
Nationalité : Sud-coréen
Durée : 2h00min.
Synopsis :
Séoul, 1970 : le réalisateur Kim souhaite refaire la fin de son film "Cobweb". Mais les autorités de censure, les plaintes des acteurs et des producteurs ne cessent d’interférer, et un grand désordre s’installe sur le tournage. Kim doit donc surmonter ce chaos, pour achever ce qu’il pense être son chef-d'œuvre ultime…
Critique :
Métafilm, #ÇaTourneÀSéoul! (#Cobweb) s’emploie à dérouler tous les fils magiques du 7ème art, pour montrer une réalité moins fantasmagorique. Une joyeuse pagaille qui se savoure comme une comédie légère, bien qu’il traite de création, de désir et de doute. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/j94VD1TUan
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 17, 2023
Présenté en hors-compétition à Cannes avec le titre Dans la toile (qui prend tout son sens dans les cinq dernières minutes du film), le nouveau long métrage de Kim Jee-Woon s’intitule dorénavant Ça tourne à Séoul ! Cobweb. Comédie satirique sur la fabrication d’un film totalement chaotique, ce titre convoque dans nos esprits une autre comédie, américaine celle-ci, sur les déboires d’un tournage, Ça tourne à Manhattan.
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Après des incursions dans le thriller, dans le film noir, dans l’horreur, le réalisateur coréen boucle sa boucle filmographique en revenant au genre de ses débuts : la comédie. On s’insinue dans la peau d’un réalisateur bas de gamme, Kim Ki-Yeol qui décide, à l’issue d’un rêve, de rajouter deux jours de tournages supplémentaires à son film qu’il vient tout juste de terminer afin de le transformer en chef-d’oeuvre. Sa volonté ne va ni dans le sens de sa productrice, ni dans le sens de la censure (en exercice dans la temporalité du film, les années 70). Mais un artiste va-t-il se laisser dicter son art par d’autres ? Certainement pas !
Le tournage sera donc semi-clandestin, avec l’aide de l’assistante de la productrice (partie au Japon) et de son équipe. Les acteurs et actrices sont rappelé⋅es, une caméra est empruntée, les décors sont toujours sur pied, rien ne peut donc arrêter Kim Ki-Yeol sur le chemin du succès. Par des dialogues, nous comprenons vite qu’il n’a produit qu’un seul bon film dans sa carrière, son tout premier, réalisé après la mort de son mentor, un grand réalisateur respecté dans la profession. Il y a même des rumeurs sur le scénario qui ne serait pas signé par Kim, comme il le prétend, mais par son mentor, ce qui justifierait la piètre qualité de ses films subséquents. Métafilm, Ça tourne à Séoul, s’emploie à dérouler tous les fils magiques du cinéma, pour montrer une réalité moins fantasmagorique. La réalisateur est constamment mis dans une situation désastreuse, que ce soit les relations extra-conjugales de ses acteur⋅ices, les soucis d’égo de son équipe, les problèmes techniques, la censure qui vient frapper à leur porte et les incohérences du scénario, dont personne ne comprend le sens. Le film nous offre les moments d’introspections du personnage, par une voix-off étrange, presque paranoïaque, qui souligne la dualité de son caractère : il fourmille d'idées mais est en proie au doute, infusé par les voix extérieures. Le tournage du film se transforme en scène de théâtre, chaque personnage jouant son rôle de fauteur de trouble, tel un vaudeville mondain, avec acteurs et actrices renommées et membres du gouvernement.
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On retrouve une certaine dualité partout, à commencer par l’image, passant du noir & blanc contrasté du film que tourne Kim Ki-Yeol, sorte de thriller horrifique, couplé à un drame familial, à la couleur des scènes réalistes. Une dualité dans le traitement du réalisateur, dont les remises en question internes et le mal-être grandissant détonnent parmi la vibration créative que dégage le tournage. Et surtout, une dualité entre la farce des situations, parfois abracadabrantes (mention spéciale à l’acteur enfermé dans son rôle de détective, un leitmotiv amusant) et la profondeur narrative qui se dégage, en creux. L’histoire d’un éternel raté qui pense avoir enfin saisi sa chance de prendre sa revanche sur ses détracteurs (la production, la censure et surtout, les critiques). La création n’est-elle que chaos ? Doit-on vivre dans son monde (ou dans le cas de Kim, dans le déni) pour pouvoir créer ? Des questions auxquelles Ça tourne à Séoul ne répond pas vraiment, mais que le film soulève, sans en avoir l’air. Kim Jee-Woon a la bonne idée de nous proposer une double fin, celle de son personnage principal et celle du film qu’il vient de tourner (Cobweb), comme une récompense pour le public qui a suivi, pendant deux heures, les déboires du tournage. Cette fin est-elle un chef-d’œuvre, comme il le présentait ? Nous vous laissons le soin de le découvrir par vous-mêmes.
Joyeuse pagaille, Ça tourne à Séoul ! Cobweb se savoure comme une comédie légère, bien qu’il traite de création, de désir, de doute et de structure cinématographique. Nous sommes comme … pris dans la toile.
Laura Enjolvy