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[CRITIQUE] : Le temps d'aimer



Réalisatrice : Katell Quillévéré
Avec : Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Paul Beaurepaire, Morgen Bailey,…
Distributeur : Gaumont Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Français, Belge. 
Durée : 2h05min

Synopsis :
1947. Sur une plage, Madeleine, serveuse dans un hôtel-restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François, étudiant riche et cultivé. Entre eux, c’est comme une évidence. La providence. Si l’on sait ce qu’elle veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre avec le temps ce que François tente de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien...


Critique :


Après une incursion dans le petit écran, Katell Quillévéré revient en salles obscures avec Le temps d’aimer. Présenté à Cannes Première il y a quelques mois, ce nouveau long métrage lorgne vers la tragédie d’époque, qui commence dès la fin de la Seconde Guerre mondiale pour se terminer à l’orée des années 70. Le festival d’Angoulême a eu l’air de l’apprécier cet été, lui octroyant non pas un mais deux prix : le valois de Diamant et le valois du meilleur acteur pour Vincent Lacoste.

Copyright Roger Arpajou

Comme le titre (poétique) le souligne, il est question d’amour. La temporalité est un élément tout aussi important du film, la vision que l’on a de l’amour étant un mélange de liens sociaux et d’idéaux selon les époques. Le temps d’aimer débute sur de la violence. Des femmes, dont Madeleine (Anaïs Demoustier, saisissante) sont tondues à la fin de la guerre pour avoir entrepris des relations amoureuses et/ou sexuelles avec des officiers allemands. Il est question d’humiliation publique plus que d’action patriotique. Presque insoutenables, ces images sondent une violence misogyne sous-jacente. Sont-elles punies pour leurs actes ou seulement parce qu’elles sont des femmes ? La jouissance que l’on devine chez leur bourreaux nous apportent un élément de réponse. La bosse du ventre de Madeleine, où on lui a dessiné une croix gammée, pointe comme un secret. Le miroir reflète l’image d’une femme déchue, d’une femme qui portera comme un fardeau le fruit de son péché, subissant une punition éternelle telle une Ève du XXème siècle. Victime collatérale, son fils Daniel est le réceptacle de ce passé, et comme tout souvenir que l’on préfère oublier, Madeleine le traite d’une manière abjecte, le rendant inconsciemment responsable de tous ses malheurs. Katell Quillévéré peint le portrait nuancé d’une mère qui n’avait aucunement envie de le devenir dans ces conditions (l’accès à l’avortement légal étant très loin d’être admis, en 1945).

Alors quand, comme dans un film romantique, Madeleine rencontre François (Vincent Lacoste, tout aussi saisissant), c’est le coup de foudre. Elle n'y croit pas tout d’abord, la chance tournerait-elle en sa faveur ? A-t-elle enfin accès au bonheur ? Dans un très doux coucher de soleil, ces deux êtres fusionnent, laissant juste à peine quelques rayons de soleil passés entre leurs deux visages réunis. L’amour comme décrit dans les livres : beau, éthéré, merveilleux. Le temps d’aimer n’est pourtant pas un film romantique et après ce très beau incipit, la trame mélodramatique prend le dessus pour ne plus lâcher le récit. Madeleine annonce directement la couleur de son secret tandis que François, plus pudique, ne verbalisera jamais le sien, laissant à sa (maintenant) femme le découvrir seule, ce qu’elle vivra comme une trahison. Le couple est en constante recherche d’un équilibre. Il se vautre tout d’abord dans le confort de la famille nucléaire, François adoptant directement Daniel et le considérant comme son fils. Mais il manque quelque chose pour faire de leur appartement l’idéal du couple français traditionnel des années 50. Il manque la vérité. Quand Madeleine découvre que l’ancien partenaire de son mari était un homme, c’est un bouleversement, représenté par le feu qui ravage leur appartement. L’image du couple parfait est maintenant en cendre, alors Madeleine et François décident de lorgner vers le hors-norme, qui a le goût de l’alcool et de la fête, en reprenant un cabaret à Châteauroux. Le couple tombe sous le charme d’un militaire américain, en garnison dans la ville. Chacun voit en cet homme un désir inassouvi, mais cette idée du couple libre ne fonctionnera pas non plus.

Copyright Roger Arpajou

Katell Quillévéré fait de cette fresque mélodramatique un objet de réflexion. Observant ses personnages plus qu’elle ne les suit, la réalisatrice semble vouloir respecter leur intimité et les filme presque sur la pointe des pieds, pour ne pas faire de bruit. Il y a une façon de ne rien brusquer dans la mise en scène, avec des plans feutrés, comme si on surprenait la scène. Dans cette façon de mettre en scène le secret, comme une chose invisible mais pourtant palpable, le film rend l’enjeu narratif encore plus clair et le spectateur finit par deviner plus vite que les personnages, qui sont si empêtrés dans leur mal-être qu’ils ne voient parfois pas l’évidence. Alors que les adultes s’enfoncent dans une espèce d’illusion (de normalité, de couple, de vie), les enfants, eux, semblent être des détecteurs de mensonges. Galets que l’on jette dans une eau calme, leurs mots déchirent parce qu’ils ont l’accent de vérité. La phrase de Daniel dans l’église, « moi, ce que je lui demande à chaque fois, c’est que tu m’aimes », alors que sa mère et lui prient Dieu pour avoir une vie meilleure, est à la fois un appel à l’aide et un reproche.

Dans une société où norme et désir ne se conjuguent pas ensemble, Le temps d’aimer sonne comme une possibilité que l’époque se refuse à accepter. Katell Quillévéré nous propose une analyse intelligente du couple qui, à l’image de son montage, en miroir, reflète une recherche d’émancipation de l’amour, qui nous semble encore loin d’être achevée.


Laura Enjolvy


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