[ENTRETIEN] : Entretien avec Marie Amachoukeli (Áma Gloria)
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Portrait à hauteur d’enfant d’amours maternels, Àma Gloria constitue une proposition hautement sensible qui émeut fortement. L’occasion était donc belle d’en discuter avec sa réalisatrice, Marie Amachoukeli.
Je crois que j’ai donc eu besoin de retourner un tout petit peu sur ce moment et, à travers ce point autobiographique, m’interroger sur quelque chose qui me pose plus question encore que simplement ma petite histoire de petite fille mais parler de toutes ces femmes qui sont obligées de quitter leur pays, leur foyer, leur famille, leur mari, leurs enfants, pour s’occuper des nôtres. - Marie Amachoukeli
L’idée du film vient d’une
histoire assez personnelle. Est-ce qu’il y a moyen d’en parler un peu
plus ?
Absolument ! J’ai été élevée
par une femme qui s’appelle Lorinda jusqu’à mes 6 ans. Je la voyais tous les
jours, tous les matins, tous les midis, tous les soirs. Elle m’a absolument
tout appris. Elle ne m’a pas seulement aimée, elle m’a également élevée. Un
jour, Lorinda m’a annoncé qu’elle repartait vivre dans son pays d’origine. Je
t’avoue que, ce jour-là, le monde s’est littéralement effondré pour moi. Je ne
comprenais vraiment pas comment c’était possible car, pour moi, elle était
comme une mère de substitution. Je ne pouvais pas imaginer qu’elle parte de ma
vie. Et donc, pour tout te raconter, quand elle est venue me dire au revoir, je
lui ai claqué la porte au nez et j’ai refusé de lui dire au revoir. Je crois
que j’ai donc eu besoin de retourner un tout petit peu sur ce moment et, à
travers ce point autobiographique, m’interroger sur quelque chose qui me pose
plus question encore que simplement ma petite histoire de petite fille mais
parler de toutes ces femmes qui sont obligées de quitter leur pays, leur foyer,
leur famille, leur mari, leurs enfants, pour s’occuper des nôtres. Cela me pose
question quand même. Du coup, je me suis dit que je commençais à avoir l’âge où
tous mes amis ont des enfants et ils ont tous des nounous. Je suis donc allée
voir les nounous de tous mes copains et en fait, personne n’en parle. Il y a
une relation qui s’établit avec les enfants mais dont on ne veut pas dire le
nom car cela peut être un peu dérangeant de se dire que cela n’est peut-être
pas qu’un travail et qu’il y a peut-être quelque chose qui déborde et serait de
l’ordre de l’amour. C’est quelque chose d’un peu difficile à admettre pour les
parents. De l’autre côté, je pense que c’est quelque chose que ces femmes ont
du mal à dire car, ayant laissé derrière elles des enfants, il est difficile
d’admettre qu’elles aiment ces enfants qui ne sont pas les leurs car elles s’en
occupent tous les jours. Il y a donc une relation un peu étonnante qui me
questionne beaucoup. Le film essaie d’interroger ça ainsi que ce lien qui est
non-dit.
Il y a effectivement ce rapport à
la maternité, cette quête d’affection entre les deux personnages qui illumine
le film. Comment as-tu travaillé ça lors de l’écriture ?
Le thème est effectivement la
question du lien maternel avec, d’un côté, les liens du sang, et de l’autre,
les liens de la famille qu’on choisit. Cela revient donc chez tous les
personnages d’une manière différente. C’est, comme en musique, le thème
principal : cette question de la maternité et de l’affiliation est
déclinée dans chaque personnage mais différemment à chaque fois. Cela amène à
des rencontres, à ce que cela se bute parfois les uns sur les autres pour créer
de la fiction et amener une histoire.
Je trouve le premier plan avec
l’ophtalmologue très intéressant…
C’est mon ophtalmo !
(Rires) Je garde cela alors comme
anecdote !
(Rires) Il est super !
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Ah ben, il a l’air ! Je
trouvais l’idée intéressante car on a directement ce point de vue de Cleo.
Comment travailler et conserver ce regard à hauteur d’enfant dans la mise en
scène en conservant ce réel parfois dur souvent esquivé quand on parle
d’enfance ?
Tu as tout à fait raison !
Tout l’enjeu du film, c’est être à hauteur d’enfant, dans le regard de
l’enfant. Comment le traduire en images ? C’est la première question. En
termes de sentiments, j’ai le souvenir que c’est un moment très volcanique. Donc
c’est traversé par des sentiments extrêmement intenses car c’est la première
fois, première fois que tu éprouves un sentiment d’amour incroyable, première
fois que tu éprouves de la joie ou du désespoir comme jamais, et que tout prend
des proportions énormes. C’est comme un volcan en éruption qui bouillonne en
permanence. Ça, il a fallu le retranscrire dans la mise en scène par le son,
par les couleurs et par le cadre. Tout doit passer à travers le prisme du
regard de la petite. C’est un enjeu de mise en scène. Pour ne rien te cacher,
on a tous eu très mal au dos car on a tous vécu à 1m50 du sol pendant plusieurs
semaines mais à part ça, c’était très joyeux à faire du coup.
Il y a aussi beaucoup de plans
proches du visage et des corps. Est-ce que c’était important pour toi d’avoir
cette proximité physique pour avoir cette proximité émotionnelle ?
C’est complètement ça ! Plus
tu es proche de quelqu’un, plus tu respires avec, plus tu manges avec, plus tu
dors avec elle, plus tu ris avec elle, plus tu t’identifies à cette personne.
Après, c’est un goût personnel qui n’est pas partagé par tous les cinéphiles
mais pour moi, les visages sont des paysages, au même titre qu’un bel horizon
avec vue sur la mer, et c’est toute une cartographie à explorer à chaque fois.
Pour moi, filmer un visage, c’est filmer un territoire qui change en fonction
des saisons, des marées, … Les visages changent d’expressions et je peux m’y
balader aussi bien que dans les landes ou sur la côte armoricaine. Pour moi,
c’est exactement pareil.
Cela se sent en tout cas !
En parlant de visages, la jeune actrice, Louise Mauroy-Panzani, est
exceptionnelle. Comment cela a été de travailler avec elle vu la complexité des
émotions exprimées dans le film ?
Je crois que les grands
comédiens, qu’ils aient soixante-dix ans, cinq ans ou douze, ce sont d’abord
des personnes très empathiques car il faut l’être pour pouvoir comprendre le
chemin émotionnel que traversent des personnages ou la personne qui nous donne
la réplique. Louise a pour moi cette grande faculté d’empathie et, comme toute
personne très empathique, elle a une très grande écoute. J’ai été très étonnée
quand je l’ai rencontrée pour la première fois car cela n’arrive pas souvent de
rencontrer des enfants comme ça. L’attention et le regard qu’elle portait aux
gens, la compréhension qu’elle avait, l’intention qu’elle mettait pour vouloir
comprendre, notamment lors de sa rencontre avec Ilça, qui joue Gloria, … Il y
avait une écoute chez elle qui était impressionnante. Donc je me suis dit que
si elle avait ça, il fallait juste lui donner les clés et elle saurait être une
comédienne. Le premier tip qu’on lui a donné, c’était les lunettes. Comme elle
n’est pas myope alors que le personnage l’est, on lui disait que sa journée de
travail commençait quand elle mettait les lunettes et qu’elle devenait alors
Cléo. À partir du moment où elle enlève ses lunettes, elle redevient
Louise Mauroy-Panzani. Ça a été le cadre du personnage pour elle. Après, au
bout de 5 semaines de tournage, elle a compris le fonctionnement d’un plateau
et elle m’a épatée. J’avais très peur car tu n’as que 5 heures par jour pour
tourner, et elle est toute petite. Au début, dès que ça tournait, je lui
soufflais et elle répétait. Très vite, au bout d’une semaine, elle me disait
« Marie, tais-toi, j’ai compris, je connais mon texte ». (rires)
« Et laisse-moi faire ! ». Je t’avoue que j’ai été assez
surprise. Je l’ai donc laissée faire et elle connaissait son texte, elle
comprenait les enjeux mais c’est surtout quelqu’un qui voulait vivre le présent
de la scène et ne voulait pas qu’on la fasse chier à ce moment-là. Donc du
coup, c’est ce qu’elle a fait.
Il y a quelques scènes
d’animation. Comment l’idée est apparue ?
Il y a deux choses. À l’époque, je
travaillais dans un bureau composé uniquement de graphistes. J’étais entouré de gens d’ateliers, de gens
qui paient, etc. Je pense que le fait de les voir tous travailler autour de moi
a fini par envahir mon scénario. Après, le vrai truc aussi, je me suis demandé
quel était le meilleur vecteur cinématographique, pas pour représenter
l’enfance de manière enfantine, mais pour exprimer des émotions qu’une enfant
elle-même n’arrive pas à dire car elle n’a que 5 ans et demi et, à cet âge-là,
on n’a pas le recul et la distance nécessaires pour le faire. Pour moi,
l’animation passe comme des percées dans le film, quand on est traversé par un
sentiment. Les séquences d’animation viennent de ce qu’elle n’arrive pas à
dire.
La photographie capte le Cap Vert
dans un réel total alors même que de nombreux titres penchent vers une lumière
accentuant « l’exotisme ». Quelles ont été les discussions à ce
sujet ?
C’est marrant car on en a discuté
avec ma monteuse Suzana Pedro*. On a décidé au montage d’inventer un format, le
format « Cléo » où, en fait, tu ne vois pas quelque part le Cap Vert.
Tu le reconstitues par le hors champ. Tu captes des mouvements, des moments,
des couleurs, des ambiances, mais c’est ton imagination, ton hors champ qui va
faire le reste du travail. Du coup, c’était hyper important qu’on ne
vienne pas poser une image de carte postale, avec du scope ou un format qui
te laisserait tout voir, et faire au contraire l’inverse pour que chacun
se fasse sa représentation du Cap Vert.
C’est aussi un récit de départ,
aussi bien celui de Gloria que celui de la mère. Comment agencer cet aspect ?
Tu dis « départ », je
les vois plutôt comme deux émancipations. Il y a l’émancipation de l’enfant qui
apprend à nager tout seul dans le grand bain et à se détacher de la personne
qui la tenait par la main pour lui permettre de nager tout seul. Pour Gloria,
l’émancipation se fait en réinvestissant son pays d’origine, réinvestir son
foyer, reprendre sa place au sein de sa famille en tant que mère et grand-mère
et retrouver une indépendance financière chez elle. Sauf que ces deux
émancipations, et je crois que c’est là le nœud du film, se font au prix de
l’amour qui les lie.
Enfin, est-ce qu’il y a une scène
sur laquelle tu as envie de revenir un peu plus ?
La dernière scène a été pour moi
d’une violence totale en tant que metteur en scène. C’était la dernière scène
du tournage et on reprenait en fait tous l’avion une heure après sauf pour
Ilça. On est arrivé à l’aéroport pour tourner cette scène en sachant qu’à huit
heures, on repartait presque tous avec tout le matériel. Il n’y avait
évidemment pas la possibilité de décaler le billet. J’avais un énorme stress
parce que je n’avais pas la fin du film si on rentrait. Je suis arrivée en PLS
avec mes valises après deux mois sur place. C’est la vie qui te dépasse un peu,
mais quand on a tourné la scène d’adieu, la petite disait vraiment au revoir à
Ilça et inversement.
*également monteuse sur
« Dalva »