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[ENTRETIEN] : Entretien avec Marie Amachoukeli (Áma Gloria)

Copyright Dorothee Smith / Copyright Pyramide Distribution

Portrait à hauteur d’enfant d’amours maternels, Àma Gloria constitue une proposition hautement sensible qui émeut fortement. L’occasion était donc belle d’en discuter avec sa réalisatrice, Marie Amachoukeli.


Je crois que j’ai donc eu besoin de retourner un tout petit peu sur ce moment et, à travers ce point autobiographique, m’interroger sur quelque chose qui me pose plus question encore que simplement ma petite histoire de petite fille mais parler de toutes ces femmes qui sont obligées de quitter leur pays, leur foyer, leur famille, leur mari, leurs enfants, pour s’occuper des nôtres. - Marie Amachoukeli


L’idée du film vient d’une histoire assez personnelle. Est-ce qu’il y a moyen d’en parler un peu plus ?

Absolument ! J’ai été élevée par une femme qui s’appelle Lorinda jusqu’à mes 6 ans. Je la voyais tous les jours, tous les matins, tous les midis, tous les soirs. Elle m’a absolument tout appris. Elle ne m’a pas seulement aimée, elle m’a également élevée. Un jour, Lorinda m’a annoncé qu’elle repartait vivre dans son pays d’origine. Je t’avoue que, ce jour-là, le monde s’est littéralement effondré pour moi. Je ne comprenais vraiment pas comment c’était possible car, pour moi, elle était comme une mère de substitution. Je ne pouvais pas imaginer qu’elle parte de ma vie. Et donc, pour tout te raconter, quand elle est venue me dire au revoir, je lui ai claqué la porte au nez et j’ai refusé de lui dire au revoir. Je crois que j’ai donc eu besoin de retourner un tout petit peu sur ce moment et, à travers ce point autobiographique, m’interroger sur quelque chose qui me pose plus question encore que simplement ma petite histoire de petite fille mais parler de toutes ces femmes qui sont obligées de quitter leur pays, leur foyer, leur famille, leur mari, leurs enfants, pour s’occuper des nôtres. Cela me pose question quand même. Du coup, je me suis dit que je commençais à avoir l’âge où tous mes amis ont des enfants et ils ont tous des nounous. Je suis donc allée voir les nounous de tous mes copains et en fait, personne n’en parle. Il y a une relation qui s’établit avec les enfants mais dont on ne veut pas dire le nom car cela peut être un peu dérangeant de se dire que cela n’est peut-être pas qu’un travail et qu’il y a peut-être quelque chose qui déborde et serait de l’ordre de l’amour. C’est quelque chose d’un peu difficile à admettre pour les parents. De l’autre côté, je pense que c’est quelque chose que ces femmes ont du mal à dire car, ayant laissé derrière elles des enfants, il est difficile d’admettre qu’elles aiment ces enfants qui ne sont pas les leurs car elles s’en occupent tous les jours. Il y a donc une relation un peu étonnante qui me questionne beaucoup. Le film essaie d’interroger ça ainsi que ce lien qui est non-dit.

Il y a effectivement ce rapport à la maternité, cette quête d’affection entre les deux personnages qui illumine le film. Comment as-tu travaillé ça lors de l’écriture ?

Le thème est effectivement la question du lien maternel avec, d’un côté, les liens du sang, et de l’autre, les liens de la famille qu’on choisit. Cela revient donc chez tous les personnages d’une manière différente. C’est, comme en musique, le thème principal : cette question de la maternité et de l’affiliation est déclinée dans chaque personnage mais différemment à chaque fois. Cela amène à des rencontres, à ce que cela se bute parfois les uns sur les autres pour créer de la fiction et amener une histoire.

Je trouve le premier plan avec l’ophtalmologue très intéressant…

C’est mon ophtalmo !

(Rires) Je garde cela alors comme anecdote !

(Rires) Il est super !


Copyright Pyramide Distribution

Ah ben, il a l’air ! Je trouvais l’idée intéressante car on a directement ce point de vue de Cleo. Comment travailler et conserver ce regard à hauteur d’enfant dans la mise en scène en conservant ce réel parfois dur souvent esquivé quand on parle d’enfance ?

Tu as tout à fait raison ! Tout l’enjeu du film, c’est être à hauteur d’enfant, dans le regard de l’enfant. Comment le traduire en images ? C’est la première question. En termes de sentiments, j’ai le souvenir que c’est un moment très volcanique. Donc c’est traversé par des sentiments extrêmement intenses car c’est la première fois, première fois que tu éprouves un sentiment d’amour incroyable, première fois que tu éprouves de la joie ou du désespoir comme jamais, et que tout prend des proportions énormes. C’est comme un volcan en éruption qui bouillonne en permanence. Ça, il a fallu le retranscrire dans la mise en scène par le son, par les couleurs et par le cadre. Tout doit passer à travers le prisme du regard de la petite. C’est un enjeu de mise en scène. Pour ne rien te cacher, on a tous eu très mal au dos car on a tous vécu à 1m50 du sol pendant plusieurs semaines mais à part ça, c’était très joyeux à faire du coup.

Il y a aussi beaucoup de plans proches du visage et des corps. Est-ce que c’était important pour toi d’avoir cette proximité physique pour avoir cette proximité émotionnelle ?

C’est complètement ça ! Plus tu es proche de quelqu’un, plus tu respires avec, plus tu manges avec, plus tu dors avec elle, plus tu ris avec elle, plus tu t’identifies à cette personne. Après, c’est un goût personnel qui n’est pas partagé par tous les cinéphiles mais pour moi, les visages sont des paysages, au même titre qu’un bel horizon avec vue sur la mer, et c’est toute une cartographie à explorer à chaque fois. Pour moi, filmer un visage, c’est filmer un territoire qui change en fonction des saisons, des marées, … Les visages changent d’expressions et je peux m’y balader aussi bien que dans les landes ou sur la côte armoricaine. Pour moi, c’est exactement pareil.

Cela se sent en tout cas ! En parlant de visages, la jeune actrice, Louise Mauroy-Panzani, est exceptionnelle. Comment cela a été de travailler avec elle vu la complexité des émotions exprimées dans le film ?

Je crois que les grands comédiens, qu’ils aient soixante-dix ans, cinq ans ou douze, ce sont d’abord des personnes très empathiques car il faut l’être pour pouvoir comprendre le chemin émotionnel que traversent des personnages ou la personne qui nous donne la réplique. Louise a pour moi cette grande faculté d’empathie et, comme toute personne très empathique, elle a une très grande écoute. J’ai été très étonnée quand je l’ai rencontrée pour la première fois car cela n’arrive pas souvent de rencontrer des enfants comme ça. L’attention et le regard qu’elle portait aux gens, la compréhension qu’elle avait, l’intention qu’elle mettait pour vouloir comprendre, notamment lors de sa rencontre avec Ilça, qui joue Gloria, … Il y avait une écoute chez elle qui était impressionnante. Donc je me suis dit que si elle avait ça, il fallait juste lui donner les clés et elle saurait être une comédienne. Le premier tip qu’on lui a donné, c’était les lunettes. Comme elle n’est pas myope alors que le personnage l’est, on lui disait que sa journée de travail commençait quand elle mettait les lunettes et qu’elle devenait alors Cléo. À partir du moment où elle enlève ses lunettes, elle redevient Louise Mauroy-Panzani. Ça a été le cadre du personnage pour elle. Après, au bout de 5 semaines de tournage, elle a compris le fonctionnement d’un plateau et elle m’a épatée. J’avais très peur car tu n’as que 5 heures par jour pour tourner, et elle est toute petite. Au début, dès que ça tournait, je lui soufflais et elle répétait. Très vite, au bout d’une semaine, elle me disait « Marie, tais-toi, j’ai compris, je connais mon texte ». (rires) « Et laisse-moi faire ! ». Je t’avoue que j’ai été assez surprise. Je l’ai donc laissée faire et elle connaissait son texte, elle comprenait les enjeux mais c’est surtout quelqu’un qui voulait vivre le présent de la scène et ne voulait pas qu’on la fasse chier à ce moment-là. Donc du coup, c’est ce qu’elle a fait.

Il y a quelques scènes d’animation. Comment l’idée est apparue ?

Il y a deux choses. À l’époque, je travaillais dans un bureau composé uniquement de graphistes.  J’étais entouré de gens d’ateliers, de gens qui paient, etc. Je pense que le fait de les voir tous travailler autour de moi a fini par envahir mon scénario. Après, le vrai truc aussi, je me suis demandé quel était le meilleur vecteur cinématographique, pas pour représenter l’enfance de manière enfantine, mais pour exprimer des émotions qu’une enfant elle-même n’arrive pas à dire car elle n’a que 5 ans et demi et, à cet âge-là, on n’a pas le recul et la distance nécessaires pour le faire. Pour moi, l’animation passe comme des percées dans le film, quand on est traversé par un sentiment. Les séquences d’animation viennent de ce qu’elle n’arrive pas à dire.



La photographie capte le Cap Vert dans un réel total alors même que de nombreux titres penchent vers une lumière accentuant « l’exotisme ». Quelles ont été les discussions à ce sujet ?

C’est marrant car on en a discuté avec ma monteuse Suzana Pedro*. On a décidé au montage d’inventer un format, le format « Cléo » où, en fait, tu ne vois pas quelque part le Cap Vert. Tu le reconstitues par le hors champ. Tu captes des mouvements, des moments, des couleurs, des ambiances, mais c’est ton imagination, ton hors champ qui va faire le reste du travail. Du coup, c’était hyper important qu’on ne vienne pas poser une image de carte postale, avec du scope ou un format qui te laisserait tout voir, et faire au contraire l’inverse pour que chacun se fasse sa représentation du Cap Vert.

C’est aussi un récit de départ, aussi bien celui de Gloria que celui de la mère. Comment agencer cet aspect ?

Tu dis « départ », je les vois plutôt comme deux émancipations. Il y a l’émancipation de l’enfant qui apprend à nager tout seul dans le grand bain et à se détacher de la personne qui la tenait par la main pour lui permettre de nager tout seul. Pour Gloria, l’émancipation se fait en réinvestissant son pays d’origine, réinvestir son foyer, reprendre sa place au sein de sa famille en tant que mère et grand-mère et retrouver une indépendance financière chez elle. Sauf que ces deux émancipations, et je crois que c’est là le nœud du film, se font au prix de l’amour qui les lie.

Enfin, est-ce qu’il y a une scène sur laquelle tu as envie de revenir un peu plus ?

La dernière scène a été pour moi d’une violence totale en tant que metteur en scène. C’était la dernière scène du tournage et on reprenait en fait tous l’avion une heure après sauf pour Ilça. On est arrivé à l’aéroport pour tourner cette scène en sachant qu’à huit heures, on repartait presque tous avec tout le matériel. Il n’y avait évidemment pas la possibilité de décaler le billet. J’avais un énorme stress parce que je n’avais pas la fin du film si on rentrait. Je suis arrivée en PLS avec mes valises après deux mois sur place. C’est la vie qui te dépasse un peu, mais quand on a tourné la scène d’adieu, la petite disait vraiment au revoir à Ilça et inversement.



Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Heidi Vermander et Cinéart pour cet entretien.

*également monteuse sur « Dalva »

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