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[CRITIQUE] : Quand les vagues se retirent


Réalisateur : Lav Diaz
Avec : John Lloyd CruzRonnie LazaroDon Melvin Boongaling,…
Distributeur : Épicentre Films
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Philippin, Français, Danois, Portugais.
Durée : 3h07min

Synopsis :
Le lieutenant Hermes Papauran, l’un des meilleurs enquêteurs des Philippines, se trouve dans un profond dilemme moral. En tant que membre des forces de l’ordre, il est le témoin privilégié de la campagne meurtrière anti-drogue que son institution mène avec dévouement. Les atrocités corrodent Hermes physiquement et spirituellement, lui causant une grave maladie de peau qui résulte de l’anxiété et de la culpabilité. Pour guérir, il devra affronter ses propres démons.



Critique :


À une heure où le spectateur moyen semble faire une syncope lorsque qu'un long-métrage dépasse les deux heures de bobine (alors qu'il ne rechigne pas à se tartiner du blockbuster insipide, qui dépasse toujours franchement cette barre symbolique), ce bon vieux Lav Diaz lui, fait preuve d'une concision étonnante avec son nouvel effort, Quand les vagues se retirent, tant celui-ci ne dure " que " 3h07min, un battement de cils en comparaison à ses précédentes œuvres contemplatives et lancinantes.

Mais si le cinéaste philippin en exige moins à son auditoire, ce n'est pas pour autant que son cinéma est moins emprunt d'exigence - loin de la même -, tant cette volonté de concision et de synthèse, se fait presque une bénédiction, une manière d'encore plus affirmer sa radicalité ainsi que sa signature visuelle et stylistique si reconnaissable - d'autant que le talentueux DOP Larry Manda, est une nouvelle fois crédité à la photo.

Copyright Epicentre Films

Drame existentiel empruntant son aura et sa structure narrative au polar nord-américain - le tout saupoudré d'une tension politique anxiogène et omniprésente -, la narration suit les atermoiements du lieutenant Hermès Papauran, un saint aux mains sales, un bon flic qui succombera lentement mais sûrement à l'ivresse goudronnée de la corruption et du crime (pur rejeton de la politique autoritaire et répressive de Rodrigo Duterte, à la violence littéralement institutionnalisée), mais qui reste encore capable de distinguer le bien du mal - même si ses actes ne le montrent pas.
Un flic qui a de nombreux squelettes dans son placard (une enfance emprunt de violence, du psoriasis qui se fait l'incarnation de tout le mal qu'il a prodigué et qui le ronge), et qui voit même un fantôme de son passé, Primo Macabantay, ancien flic et mentor déchu, revenir le hanter pour une confrontation inévitable...

Embaumé dans l'élégance d'un noir et blanc spectral (d'autant qu'il a été tourné en caméra argentique 16mm), opposant la linéarité aliénante d'une Philippines loin d'être accueillante, à l'intériorité tout aussi troublée et sombre du cœur des hommes, tout deux perdus face au chaos et à l'impondérabilité de l'existence; Lav Diaz, une nouvelle fois à la lisière du documentaire, démontre avec force comment l'agression politique d'un gouvernement, l'expression grossière et anarchique d'une masculinité toxique, pervertie, contamine, détruit tout.

Copyright Epicentre Films

C'est ce malaise social et politique, qui répond au malaise intime et existentiel de ses protagonistes (wersterniens en diable, qui cherchent maladroitement à expier les fautes d'un passé qui ne cesse de revenir à eux), que Diaz arpente avec crudité folle et une émotion rare, sans que ses inspirations politiques et engagées ne viennent déborder sur son exploration humaine à la fois immersive et musclée, mélancolique et terrifiante.
Une claque, rien de moins.


Jonathan Chevrier