[CRITIQUE/RESSORTIE] : Memento
Réalisateur : Christopher Nolan
Avec : Guy Pearce, Carrie Ann Loss, Joe Pantoliano, Jorja Fox,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h56min
Date de sortie : 11 octobre 2000
Date de ressortie : 12 juillet 2023
Synopsis :
Leonard Shelby ne porte que des costumes de grands couturiers et ne se déplace qu'au volant de sa Jaguar. En revanche, il habite dans des motels miteux et règle ses notes avec d'épaisses liasses de billets.
Leonard n'a qu'une idée en tête : traquer l'homme qui a violé et assassiné sa femme afin de se venger. Sa recherche du meurtrier est rendue plus difficile par le fait qu'il souffre d'une forme rare et incurable d'amnésie. Bien qu'il puisse se souvenir de détails de son passé, il est incapable de savoir ce qu'il a fait dans le quart d'heure précédent, où il se trouve, où il va et pourquoi.
Pour ne jamais perdre son objectif de vue, il a structuré sa vie à l'aide de fiches, de notes, de photos, de tatouages sur le corps. C'est ce qui l'aide à garder contact avec sa mission, à retenir les informations et à garder une trace, une notion de l'espace et du temps.
Critique :
Alors que son très attendu Oppenheimer, est en passe de débarquer dans des salles définitivement pas assez obscures selon les déclarations de Christopher Nolan lui-même, l'occasion nous est donné de nous replonger, dans des conditions optimales - une restauration 4K - sur son second effort, le jouissif Memento, dont les récents efforts - surtout Tenet - semblent de plus en plus faire écho, notamment dans la manière dont le cinéaste (avec la présence essentielle de son frère Jonathan au scénario) fait brillamment se croiser les notions de temps, de mémoire et d'identité au cœur d'une intrigue à la complexité faussement simple - et inversement.
Et d'inversion il en est totalement question dans Memento, tant la chronologie inversée sur laquelle sa structure est basée est justement là où réside toute l'originalité du long-métrage (le pouvoir de la causalité en remontant le temps, à chaque fois, d'une poignée de minutes), le pouvoir par lequel le public est intimement propulsé dans l'état d'esprit chaotique et de la mémoire endommagée de Leonard Shelby (Guy Pearce, juste parfait).
Tout est à l'envers dans la vie de Shelby, car lui-même vit sa vie dans le désordre.
Son quotidien est bâti sur sa perte de mémoire à courte terme, subit à la suite d'un coup violent à la tête, survenue lorsque sa maison fut cambriolée, cambriolage au cours duquel sa femme fut violée puis assassinée.
Il se lance désormais à la recherche du tueur, une quête de vengeance hautement plombée par le fait qu'il ne peut pas absolument se créer de nouveaux souvenirs depuis l'accident...
Mais le twist déchirant - et virtuose - que nous offre Nolan n'est pas tant la résolution de cette quête de vengeance, puisque Leonard l'a déjà accomplit (au tout début, même s'il ne s'en souvient pas), mais bien la lente résolution que le bonhomme ne fait tout du long que de poursuivre son propre fantôme, sa propre identité fuyante, tel l'ouroboros qui se mord continuellement la queue et dont chaque rencontre ne fait qu'accentuer les abysses dans lesquelles il glisse irrémédiablement.
Un Ulysse des temps modernes, condamné à errer par la force motrice d'une quête sans but, d'un mystère déjà résolu (sa femme a survécu à l'incident, mais c'est finalement, indirectement, suicidée par la main même de son mari, en s'injectant une dose trop forte d'insuline), dont les bribes de contrôle sur la réalité - ses fameux polaroïds et ses tatouages -, ne sont qu'un leurre aussi faillible que lui.
Tout n'est qu'illusion car la quête de Leonard est illusoire, car son semblant de contrôle est une illusion, car son monde même, est une illusion, un simulacre d'une vie passée qui n'est plus, et qui ne sera plus jamais.
Si tout le monde ment à Leonard, c'est avant tout parce qu'il se ment à lui-même, et ses lésions cérébrales lui permettent de perpétuer cette auto-destruction à l'infini, le pousse encore un peu plus à se couper d'un monde où il n'a plus véritablement sa place.
Avec ce détective malade qui nous sert de guide fragile, Christopher Nolan perverti joliment les codes du néo-noir au sein d'une architecture aussi grandiose qu'elle semble constamment prête à s'effondrer, conscient que toute idée de création va de pair avec la notion de destruction, tel le mensonge sur lequel Leonard bâti son quotidien chimérique.
Comme celui, tout aussi réconfortant et funeste, créé par Dom et Mall dans Inception, eux aussi architectes involontaires de leur propre malheur, où ceux qui font vivre les magiciens Alfred Borden et Robert Angier dans Le Prestige - même si la vérité derrière leurs artifices, éclate dans le climax.
Plus qu'un outil, le mensonge se fait une arme pour le créateur Nolan - voire même tout simplement, un protagoniste de ses fantastiques histoires -, et une prison de verre dressée sur un sol pavé de bonnes intentions, pour ses personnages.
D'une ironie dévastatrice (on suit un homme en quête de vérité, mais qui nage dans un océan de mensonges dans lequel il s'est lui-même jeté, sans aucune bouée de sauvetage), Memento se fait un savoureux et méticuleux jeu de dupes, où les images nous mentent pour mieux laisser le montage nous bercer par la vérité.
Qui croire ? Décemment pas Leonard Shelby, et encore moins les frères Nolan...
Jonathan Chevrier
Avec : Guy Pearce, Carrie Ann Loss, Joe Pantoliano, Jorja Fox,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h56min
Date de sortie : 11 octobre 2000
Date de ressortie : 12 juillet 2023
Synopsis :
Leonard Shelby ne porte que des costumes de grands couturiers et ne se déplace qu'au volant de sa Jaguar. En revanche, il habite dans des motels miteux et règle ses notes avec d'épaisses liasses de billets.
Leonard n'a qu'une idée en tête : traquer l'homme qui a violé et assassiné sa femme afin de se venger. Sa recherche du meurtrier est rendue plus difficile par le fait qu'il souffre d'une forme rare et incurable d'amnésie. Bien qu'il puisse se souvenir de détails de son passé, il est incapable de savoir ce qu'il a fait dans le quart d'heure précédent, où il se trouve, où il va et pourquoi.
Pour ne jamais perdre son objectif de vue, il a structuré sa vie à l'aide de fiches, de notes, de photos, de tatouages sur le corps. C'est ce qui l'aide à garder contact avec sa mission, à retenir les informations et à garder une trace, une notion de l'espace et du temps.
Critique :
Avec sa mémoire sur la peau, Guy Pearce lutte contre son passé et ses certitudes pour retrouver une identité qui s'enfuit, coincé entre les lignes bien écrites d'un duo Christopher/Jonathan Nolan déjà inspiré. Leonard Shelby oublie, mais nous on ne l'oublie pas, #Memento non plus pic.twitter.com/oQyaLAN59d
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 13, 2023
Alors que son très attendu Oppenheimer, est en passe de débarquer dans des salles définitivement pas assez obscures selon les déclarations de Christopher Nolan lui-même, l'occasion nous est donné de nous replonger, dans des conditions optimales - une restauration 4K - sur son second effort, le jouissif Memento, dont les récents efforts - surtout Tenet - semblent de plus en plus faire écho, notamment dans la manière dont le cinéaste (avec la présence essentielle de son frère Jonathan au scénario) fait brillamment se croiser les notions de temps, de mémoire et d'identité au cœur d'une intrigue à la complexité faussement simple - et inversement.
Et d'inversion il en est totalement question dans Memento, tant la chronologie inversée sur laquelle sa structure est basée est justement là où réside toute l'originalité du long-métrage (le pouvoir de la causalité en remontant le temps, à chaque fois, d'une poignée de minutes), le pouvoir par lequel le public est intimement propulsé dans l'état d'esprit chaotique et de la mémoire endommagée de Leonard Shelby (Guy Pearce, juste parfait).
Copyright Metropolitan FilmExport |
Tout est à l'envers dans la vie de Shelby, car lui-même vit sa vie dans le désordre.
Son quotidien est bâti sur sa perte de mémoire à courte terme, subit à la suite d'un coup violent à la tête, survenue lorsque sa maison fut cambriolée, cambriolage au cours duquel sa femme fut violée puis assassinée.
Il se lance désormais à la recherche du tueur, une quête de vengeance hautement plombée par le fait qu'il ne peut pas absolument se créer de nouveaux souvenirs depuis l'accident...
Mais le twist déchirant - et virtuose - que nous offre Nolan n'est pas tant la résolution de cette quête de vengeance, puisque Leonard l'a déjà accomplit (au tout début, même s'il ne s'en souvient pas), mais bien la lente résolution que le bonhomme ne fait tout du long que de poursuivre son propre fantôme, sa propre identité fuyante, tel l'ouroboros qui se mord continuellement la queue et dont chaque rencontre ne fait qu'accentuer les abysses dans lesquelles il glisse irrémédiablement.
Un Ulysse des temps modernes, condamné à errer par la force motrice d'une quête sans but, d'un mystère déjà résolu (sa femme a survécu à l'incident, mais c'est finalement, indirectement, suicidée par la main même de son mari, en s'injectant une dose trop forte d'insuline), dont les bribes de contrôle sur la réalité - ses fameux polaroïds et ses tatouages -, ne sont qu'un leurre aussi faillible que lui.
Copyright Metropolitan FilmExport |
Tout n'est qu'illusion car la quête de Leonard est illusoire, car son semblant de contrôle est une illusion, car son monde même, est une illusion, un simulacre d'une vie passée qui n'est plus, et qui ne sera plus jamais.
Si tout le monde ment à Leonard, c'est avant tout parce qu'il se ment à lui-même, et ses lésions cérébrales lui permettent de perpétuer cette auto-destruction à l'infini, le pousse encore un peu plus à se couper d'un monde où il n'a plus véritablement sa place.
Avec ce détective malade qui nous sert de guide fragile, Christopher Nolan perverti joliment les codes du néo-noir au sein d'une architecture aussi grandiose qu'elle semble constamment prête à s'effondrer, conscient que toute idée de création va de pair avec la notion de destruction, tel le mensonge sur lequel Leonard bâti son quotidien chimérique.
Comme celui, tout aussi réconfortant et funeste, créé par Dom et Mall dans Inception, eux aussi architectes involontaires de leur propre malheur, où ceux qui font vivre les magiciens Alfred Borden et Robert Angier dans Le Prestige - même si la vérité derrière leurs artifices, éclate dans le climax.
Plus qu'un outil, le mensonge se fait une arme pour le créateur Nolan - voire même tout simplement, un protagoniste de ses fantastiques histoires -, et une prison de verre dressée sur un sol pavé de bonnes intentions, pour ses personnages.
Copyright Metropolitan FilmExport |
D'une ironie dévastatrice (on suit un homme en quête de vérité, mais qui nage dans un océan de mensonges dans lequel il s'est lui-même jeté, sans aucune bouée de sauvetage), Memento se fait un savoureux et méticuleux jeu de dupes, où les images nous mentent pour mieux laisser le montage nous bercer par la vérité.
Qui croire ? Décemment pas Leonard Shelby, et encore moins les frères Nolan...
Jonathan Chevrier