[CRITIQUE] : How to save a dead friend
Réalisatrice : Marusya Syroechkovskaya
Avec : -
Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Suèdois, Norvégien, Français, Allemand
Durée : 1h43min
Synopsis :
À seize ans, Marusya est déterminée à en finir avec la vie, comme beaucoup d’adolescent·e·s russes. Puis, elle rencontre l’âme sœur chez un autre millenial du nom de Kimi. Pendant dix années, ils filment l’euphorie et l’anxiété, le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée par un régime violent et autocratique au sein d’une « Russie de la Déprime ». Un cri du cœur, un hommage à toute une génération réduite au silence.
Critique :
Témoignage à cœur ouvert, immense et politique autant qu'un portrait bouleversant d’une jeunesse russe abattue par les choix politiques, #HowToSaveADeadFriend documente l'intime, témoignant ainsi qu'il peut bel et bien être art. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/D2o9jRGygE
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 10, 2023
« La Russie appartient aux gens tristes ». Alors que la caméra s'intéresse aux tristes immeubles, où chaque appartement paraît emboîté les uns dans les autres, une voix-off féminine nous annonce ceci, puis liste des noms. Des ami⋅es qui se sont suicidé⋅es. Le film pourrait continuer sur ce ton lugubre (vu son sujet) mais How to save a dead friend n’a pas pour ambition de nous déprimer, au contraire. La réalisatrice, Marusya Syroechkovskaya, souhaite plutôt capturer la vie à l’aide de son caméscope, la seule façon qu’elle a trouvé de réaliser l’impossible : sauver un proche déjà décédé.
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À seize ans, Marusya veut se suicider mais une rencontre change tout. Kimi, blond et longiligne, devient son phare dans la nuit. Le couple s’entraide, vit de chat et de grunge, et compose avec un avenir incertain. Par ces images un peu floues se détachent une réalité : grandir dans la Russie des années 2000 n’a rien d’idéal, à mesure que le pays montre son vrai visage autoritaire. Comme un réflexe, la cinéaste filme tout. Le quotidien, les sorties, leur mariage, la dépression, l’addiction, la séparation, les disputes. Journal intime filmique, How to save a dead friend est surtout un témoignage à cœur ouvert, immense et politique. Filmer cette « Russie de la Dépression » devient un acte de rébellion qui fait douloureusement écho à l’actualité. Comme certains artistes et voix contestataires, Marusya Syroechkovskaya a fui son pays en mars 2022. « Notre responsabilité est maintenant de ne pas rester silencieux » annonce-t-elle dans le dossier de presse du film. Si l’action du film s’arrête en 2016, à la mort de Kimi, ce portrait sans concession de cette jeunesse agonisante trouve toujours son chemin, aujourd’hui plus que jamais. Faire parler les morts devient primordial pour briser le silence.
On se demande pourquoi la réalisatrice se filme, filme son couple, puis filme son compagnon qui dérive. Il y a peut-être une envie de capturer la préciosité de son couple puisqu’il lui a sauvé la vie. Une envie de garder auprès d’elle la personne qu’elle aime. Nan Goldin le confiait “I used to think that I could never lose anyone if I photographed them enough. In fact, my pictures show me how much I’ve lost”. Rapprocher la photographe américaine du film de Marusya Syroechkovskaya est d’ailleurs pertinent. La réalité, certes crade parce que l’on voit les conséquences de maladie, trouve une forme de beauté car le point de vue est intime. La silhouette de Kimi nous est d’abord inconnue puis l’homme tout entier se dévoile, ses failles comme ses qualités. Sa transformation n’en est plus que douloureuse à voir.
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Réduit dans les espaces clos tout d’abord (appartement, salle de concert sombre), How to save a dead friend étend son portrait vers l’extérieur, en commençant par des apparitions télévisuelles de Medvedev pour la nouvelle année, puis par les balades de Kimi pour trouver de la drogue et par les images violentes de manifestations contre le gouvernement. Ces petites digressions du récit intime renforce l'inéluctabilité du drame en cours et rend la réalité du film encore plus palpable. On oublierait presque la fin (déjà programmée par la vie et montrée dès le début du film) tant la réalisatrice emprunte un ton punk et surtout fantaisiste à l’aide d’artifice daté (les transitions de Movie Maker) et de visuels web des années 2000. Mais la mort rôde dans ce monde de l’autodestruction que filme sans relâche Marusya Syroechkovskaya. La mort est déjà là et prend ce qu’on lui donne sans hésiter : la vie des silencié⋅es.
Portrait bouleversant d’une jeunesse russe abattue par les choix politiques, How to save a dead friend documente l'intime, témoignant ainsi qu'il peut bel et bien être art.
Laura Enjolvy