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[CRITIQUE] : Goutte d'or


Réalisateur : Clément Cogitore
Acteurs : Karim Leklou, Jawad Outouia, Farida Ouchani,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français.
Durée : 1h38min

Synopsis :
Ramsès, trente-cinq ans, tient un cabinet de voyance à la Goutte d’or à Paris. Habile manipulateur et un peu poète sur les bords, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. L’arrivée d’enfants venus des rues de Tanger, aussi dangereux qu’insaisissables, vient perturber l’équilibre de son commerce et de tout le quartier. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.



Critique :


Sept ans de réflexion où presque, c'est la durée qui sépare le premier long-métrage de Clément Cogitore, Ni le ciel ni la terre, et son film dit de la " confirmation ", Goutte d'Or, nouvelle observation puissante et obsédante du cinéaste autour du thème de la croyance, cloué cette fois aux basques d'un personnage jouant justement de celle qu'il suscite et manipule à ses fins auprès de son prochain.
Ramsès (dont le prénom mythique renforce son aura), un médium/marabout du quartier populaire et hétéroclite de la Goutte d'or dans le dix-huitième arrondissement parisien, offrant à ses clients - moyennant une belle rémunération, évidemment - la possibilité de recevoir des messages et autres avertissements de leurs proches errant dans l'au-delà.

Son pouvoir ne réside pas tant dans le fait de savoir s'il croit réellement où non aux mots et aux consolations qu'il prodigue à des âmes sensiblement et méticuleusement sous son emprise, mais bien dans sa manière triviale de considérer la croyance comme un simple tour de passe-passe élaboré (par lui-même et sa petite équipe de co-conspirateurs, entre espions sur les réseaux sociaux et suppositions balancées dans une oreillette), lui dont les performances engagées permet autant aux gens de supporter un temps leur chagrin que de mettre l'argent du loyer dans sa poche.

Copyright Laurent LE CRABE - Kazak Productions -France 2 Cinema

Cette réputation d'être " le meilleur " du business local, faisant fît des accords territoriaux tacites établis avec d'autres " voyants ", le perd lorsqu'une bande de gamins sans papiers de Tanger, qui terrorisait plus où moins discrètement le quartier et détruisant gentiment mais sûrement son entreprise bien huilée, vient le voir avec l'ordre de retrouver leur ami disparu, dit môme qui lui avait volé son collier sous la menace d'un couteau quelques jours plus tôt, un talisman pour conjurer le mal que lui a donné son père... 

Thriller urbain catapulté dans une Goutte d'or dont la gentrification galopante ne fait que morceler ses rues et renforcer les inégalités, Goutte d'or et son immédiateté énergique (pas si éloigné des frères Dardenne et de leur cinéma vérité, grâce à la superbe photographie de Sylvain Verdat) prend le pouls d'un Paris interlope et désenchanté où gravite des charlatans dont le but est de détrousser les plus faibles tout en leur permettant, paradoxalement et dans le mensonge, de voguer l'esprit plus tranquille et réconforté vers la voie de la guérison.
Questionnant la notion de croyance sans jamais juger un anti-héros passant entre les mailles du filet avant de se faire rattraper par ses propres peurs et sa vulnérabilité, un homme totalement à découvert qui réalise que malgré toute sa supercherie spirituelle, il ne peut pas commencer à se comprendre lui-même tant qu'il n'a pas établi une véritable connexion avec l'univers et la communauté qui l'entoure.

Copyright Laurent LE CRABE - Kazak Productions -France 2 Cinema

Quasiment de tous les plans, Karim Leklou bouffe littéralement l'écran, portant de tout son long un Ramsès aussi dur et fatigué que profondément vulnérable, marqué par la sagesse durement gagnée après des années à faire sa place dans un monde où la manipulation règne en maître.
Une sorte de Peter Pan auprès d'enfants perdus, une meute faisant écho à l'immigration forcée, à la xénophobie et à l'inadéquation géographique, dans un fascinant jeu de miroirs entre la fable sur la croyance et une réalité quasi-documentaire qui détruit tout rêve. 

Il est le phare indéboulonnable de ce qui peut autant se voir comme une fable à la fois réaliste, énervée et surnaturelle, que comme un portrait communautaire puissant couplé à celui d'un personnage entamant sa propre transformation personnelle au moment même où son quartier se redessine et se déconstruit.


Jonathan Chevrier


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