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[CRITIQUE] : La famille Asada


Réalisateur : Ryôta Nakano
Avec : Kazunari Ninomiya, Satoshi Tsumabuki, Haru Kuroki, Masaki Suda, Makiko Watanabe, Jun Fubuki, Mitsuru Hirata,…
Distributeur : Art House
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h07min

Synopsis :
Dans la famille Asada, chacun a un rêve secret : le père aurait aimé être pompier, le grand-frère pilote de formule 1 et la mère se serait bien imaginée en épouse de yakuza ! Masashi, lui, a réalisé le sien : devenir photographe. Grâce à son travail, il va permettre à chacun de réaliser que le bonheur est à portée de main.



Critique :


Quel est le pouvoir de la photographie sur le sujet ? Et qu'est-ce que cela dit de la personne qui est derrière l'objectif, de son regard sur le monde ? Ces questions se posent tout aussi bien à la photographie qu'au cinéma. En s'inspirant des deux livres publiés par le photographe japonais Masashi Asada, le cinéaste Ryôta Nakano tente de parler de la famille, de la place des souvenirs et de la photographie à la fois. Il choisit alors la chronique comme forme narrative. Ce qui lui permet de naviguer entre les séquences familiales, les moments de manipulation de clichés, et les rencontres effectuées au fil du temps. Cependant, le protagoniste est balancé dans l'espace et dans le temps, au gré de fragments de vie toujours très sectionnés. Comme s'il ne fallait pas trop s'attarder sur les fantaisies et sur les rêves de chacun. Toute la première partie (et première heure) du film se fonde sur la légèreté et l'humour. A travers ses photos de famille, Masashi fait plaisir à ses proches et l'intrigue propose quelques petites blagues. Celles qui leur permettent de passer de bons moments ensemble, sans jamais aller creuser plus loin que cela.

Copyright Art House

La première partie n'est qu'une compilation légère qui tourne en boucle, sans véritable enjeu. Cette chronique se résume à de la sympathie inoffensive, avec une musique à consonance festive d'une redondante lourdeur. Le montage alterne entre l'album photos bêtement retranscris et des séquences où tout l'environnement s'efface au profit de la légèreté. Si bien que Ryôta Nakano a du mal à tenir les personnalités de chaque membre de la famille. Le père est un être généreux, la mère est plutôt anxieuse, et le frère aîné est aussi impatient que narcissique. Pourtant, la photographie n'explore jamais cela, et encore moins la mise en scène du cinéaste. A tel point que le côté fantasque recherché dans cette première partie n'apparaît que par bribes. Ryôta Nakano se contente ensuite de quelques échanges anecdotiques, où les sentiments de chacun sont rapidement évoqués avant de passer à autre chose. Le fantasque et la légèreté n'ont aucun impact sur cet environnement familial, qui n'est pas non plus aidé par les nombreuses ellipses qui cassent de le rythme.

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Le cinéaste semble constamment chercher le ton sur lequel inscrire son récit, autant qu'il n'arrive jamais réellement à investir pleinement les espaces traversés par les personnages. Les humeurs et les sentiments sont autant dispersés que les décombres suite au tsunami de 2011, intégré au récit. Il y a quelques moments de grâce, comme une famille photographiée sous les pétales roses d'un cerisier. Mais voilà, ces instants sont éphémères et ne laissent qu'une empreinte d'inachevé. Le protagoniste Masashi va à la rencontre d'autres familles, et trouve toujours une idée pour les mettre en valeur et créer un moment de grâce. Sauf que Ryôta Nakano reste à l'écart derrière le photographe, crée ses moments de vie (la chronique) par procuration. C'est pour cela que la seconde partie du film, qui glisse vers le tragique, est plus aboutie. Après avoir été baladé d'espaces en espaces et d'années en années, Masashi trouve un sens à son art. Suite au tsunami, il nettoie les photographies retrouvées sous les décombres. Le but étant que des êtres trouvent des proches disparus sur certaines d'entre elles, afin d'emporter les photos comme un souvenir éternel. Toute cette partie où le protagoniste se dédie bénévolement à nettoyer des clichés, permet d'ériger la photographie comme un trésor qu'il faut aller chercher dans une caverne.

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C'est quand même bien plus profond que les évidences qui entourent la photographie : la postérité du medium, le temps suspendu d'un fragment de vie, et mettre des formes sur un élément du passé. Dans cette seconde partie, ce qui était d'abord un stand de la part de Masashi se déplace dans une école : son travail bénévole prend une telle ampleur qu'il se voit confier un bâtiment. Ce qui revient à consacrer un espace entier aux souvenirs, à l'immatérialité de la vie, à la multitude des rêves et des fantaisies – comme il est possible de le faire avec l'espace filmique d'un écran de cinéma. Les inconnus déambulent dans ces couloirs, à la recherche d'un amour qui les a rendu seuls, tel un musée célébrant la vie qui s'est effacée brusquement. Là où certains moments de grâces étaient beaux face à leur tragédie malgré leur côté éphémère (une famille sous les pétales de cerisiers, une famille avec un enfant malade), il y a ici la modestie de la présence artistique pour mettre fin à des errances intimes. En investissant ce bâtiment, les photographies reconstruisent un paysage dévasté : l'art fait ressurgir une partie de ce que la nature a détruit. C'est quand même autre chose que l'art comme simple amusement. Le long-métrage est vendu comme une comédie où il faut profiter de la vie, mais il trouve ses moments les plus forts et plus beaux lorsqu'il s'en détache, lorsque la tragédie est acceptée au cœur de la photographie.


Teddy Devisme


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