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[CRITIQUE/RESSORTIE] : L'homme à la peau de serpent


Réalisateur : Sidney Lumet
Avec : Marlon Brando, Anna Magnani, Victor Jory, Joanne Woodward,…
Distributeur : Park Circus France
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h59min

Date de sortie : 6 janvier 1961
Date de ressortie : 18 janvier 2023

Synopsis :
Val Xavier, jeune musicien révolté et vagabond, chassé de la Nouvelle-Orléans, échoue dans une bourgade du Mississippi. Il travaille pour une commerçante, Lady Torrance, dont il devient l'amant. Mais Carol Cutrere le poursuit de ses assiduités depuis la Nouvelle-Orléans et décide de le perdre...



Critique :


Selon la mythologie grecque - et la plume d'Ovide - dont il tire son essence (même si ses origines remonteraient à plus loin, possiblement à l'ère paléolithique), Orphée, fils du roi de Thrace Œagre et de la muse Calliope, était un poète et un musicien dont la lyre pouvait charmer les hommes comme les monstres, un talent qui a autant fasciné son mythe que son échec tragique à ne pas pouvoir ramener sa bien-aimée femme Eurydice, coincée aux enfers, dans le monde des vivants.
Sa relecture moderne par Tennessee Williams, un temps conçu pour sa pièce de théâtre La Descente d'Orphée, a nourrit également le quatrième long-métrage de feu Sidney Lumet, L'homme à la peau de serpent, dont il en est l'adaptation directe et pour lequel il reprend son sens (lourd) de la tragédie et sa propension à offrir une histoire dense et complexe, articulée autour de la dualité qui anime et torture ses personnages marginaux.
Rencontre au sommet sur le papier, le film ne fait néanmoins pas autant d'étincelles qu'espéré, s'avérant un mélodrame plutôt séduisant même si trop volubile et théâtral pour son bien, qui ne prend réellement son envol que lorsque l'intensité (profondément anxiogène) et les pulsations si reconnaissables de la cinématographique de Lumet, font leur office pour enflammer un Sud figée par sa moiteur et ses excès.

Copyright Park Circus

Vissé sur les atermoiements presque Shakespeariens d'un homme tiraillé entre deux mondes, celui d'où il vient (fait d'errance, de musique et de rapports fréquents avec la criminalité) et celui auquel il aspire (la normalité, avec un travail stable, une compagne et peut-être même une famille), âme innocente dont les rêves sont condamnés a l'avance par une humanité faillible et corrompue; L'homme à la peau de serpent, dominé par les performances habitées de Marlon Brando (superbe en anti-héros rendu triste par des années de lutte pour s'intégrer dans une société déterminée à le broyer, personnage que Lynch citera dans son merveilleux Sailor & Lula), Anna Magnani (égérie du néoréalisme italien qui, malgré quelques excès, donne joliment vie à une gérante de magasin affamée d'amour, devant négocier avec la brutalité de son mari et le racisme ambiant du Mississipi) et Joanne Woodward (mémorable en tant que jeune aristocrate/mouton noir de sa famille, qui a abandonné l'idéalisme pour la débauche) tout autant que par la mise en scène enlevée de Lumet (qui s'échine à mettre tout le monde d'accord dès son plan-séquence d'ouverture), peut paradoxalement se voir autant comme une oeuvre profondément maussade et déprimante sur la frustration (sociale, sexuelle,...) au surréalisme dramatique excessivement prononcé, que comme un lancinant et lyrique poème au pessimiste captivant, embaumé dans le désespoir sourd et la mort.
Tout n'est qu'une question de point de vue donc, comme tout bon film qui divise et qui cherche à sonder la complexité des liens humains.


Jonathan Chevrier