[CRITIQUE] : Les Huit Montagnes
Avec : Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi, Elena Lietti, …
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Italien, Belge, Français
Durée : 2h27min
Synopsis :
Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.
Critique :
#LesHuitMontagnes possède le charme suranné des sagas romanesques liées à l’enfance et à la construction d'une identité avec un lyrisme légèrement compassé mais quand-même agréable. On plonge dans le film comme on plongerait dans un roman avec crainte et émotion. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/d8Jd2olZeL
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 4, 2022
Les Huit Montagnes est le premier film du duo Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen. Ce couple dans la vie avait écrit Alabama Monroe, que Van Groeningen avait réalisé seul. Cette fois, c’est ensemble qu’il et elle réalisent. Cela fait sens dans un film où le chiffre deux prend de l’importance. Adapté du roman éponyme de Paolo Cognetti, ce long métrage (récompensé du Prix du Jury à Cannes cette année), nous emmène dans la Vallée d’Aoste, où Bruno et Pietro se lient d’amitié, à jamais.
© Pyramide Distribution |
Véritable odyssée montagnarde, Les Huit Montagnes se regarde comme une carte postale d’antan, entre tristesse et douce nostalgie. Le format carré renforce cet aspect nostalgique, en capturant les paysages alpins dans une lumière douce, légèrement jaune. Quand Pietro rencontre Bruno, le cadre les perd dans la montagne. Les deux amis sont presque avalés par les paysages et se fondent dans le décor. La Vallée d’Aoste sera leur ciment, leur point d’accroche. C’est comme si Kelly Reichardt rencontrait Marcel Pagnol : la tendresse enfantine devient langage universel et la montagne s’ancre dans l’amitié, à tel point qu’elle inonde l’espace du cadre.
L’amitié étant le cœur du film, Les Huit Montagnes tourne autour des deux garçons comme s’il n’existait qu’eux. Mais le récit les sépare à un moment charnière de leur vie, l’adolescence. Bruno part avec son père pour devenir maçon. Quant à Pietro, il veut à tout prix créer une scission entre lui et son père. Loin de ressembler à un modèle, ce père signifie tout ce qu’il ne veut pas être plus tard : un homme qui vit au rythme de son travail. Sans que son ami le sache, Bruno reprend contact avec le père de Pietro et ensemble, ils gravissent des montagnes. Peut-être était-ce un moyen d’être avec Pietro, le père étant la corde qui les a toujours reliés. Un épisode de leur enfance assoit cette métaphore, lorsqu’à trois, ils essaient de grimper sur un glacier. Encordés les uns aux autres, ils avancent jusqu’à leur but. Mais Pietro a le mal des montagnes et n’arrive plus à respirer. Les deux autres sont alors aussi obligés de rebrousser chemin. Il en sera de même tout le long du film. Après le décès du père, Bruno et Pietro seront tout autant encordés l’un à l’autre, rebroussant chemin quand l’autre a besoin d’aide ; la maison qu’ils construisent ensemble comme métaphore du père disparu continue de les réunir.
Bruno et Pietro ne cesse de se refléter dans le miroir de l’autre. Le premier semble avoir trouvé son chemin depuis toujours : vivre de et dans la montagne. Il y a trouve une femme, il devient père. Pietro est, à l’inverse, du genre baroudeur. Cette montagne, il l’aime parce qu’elle lui a donné Bruno. De son côté, Bruno aime la montagne car il a l’impression qu’il lui doit tout. De cette différence, la narration en fait un enjeu constant. Les doutes de l’un conforte l’autre dans sa décision. Le bonheur de l’autre fait douter le premier. Bruno et Pietro se renvoient la balle tout en continuant de creuser leur propre chemin. C’est une amitié solide que filment les deux cinéastes. Solide et belle comme une montagne.
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On peut reprocher au film sa longueur et son classicisme. Il est vrai que Felix Van Groeningen nous avait habitués à plus de dynamisme et d’originalité grâce à des récits abruptes, déformant l’espace-temps avec un montage formé par des flash-back et des flash-forward. Pourtant, la forme épurée des Huit Montagnes se comprend. Il s’agit d’une tranche de vie, avec toute la banalité, les drames et les joies qui peuvent la constituer. Le film possède le charme suranné des sagas romanesques liées à l’enfance et à la construction d’une identité, avec un lyrisme légèrement compassé mais tout de même agréable. On plonge dans le film comme on plongerait dans un roman, avec crainte mais aussi avec émotion.
Laura Enjolvy