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[CRITIQUE] : Le retour des hirondelles


Réalisateur : Li Ruijun
Avec : Wu Renlin et Hai Qing.
Distributeur : ARP Selection
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Chinois
Durée : 2h13min

Synopsis :
C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…



Critique :


Premier film de Li Ruijun à être distribué en France, Le retour des hirondelles est à la fois un précieux témoignage rare et une réminiscence aventureuse. Le cinéaste retourne filmer dans les terres où il est né, dans une campagne où quasiment tous les habitants ont désertés. A l'exception de quelques uns, toujours attachés à ce territoire et à l'agriculture, comme le protagoniste Ma Youtie. Au sein de traditions ancestrales et locales, c'est l'histoire d'un mariage forcé. Pendant qu'ils construisent leur vie d'agriculteurs et éleveurs, le hors-champ se compose d'une urbanisation qui ne cesse de s'accélérer – dont un frère de Ma Youtie. Mais la mise en scène ne se préoccupe que peu de cette situation. Quand bien même le film dénonce la manière dont l'urbanisation abandonne l'individu tel qu'il soit, jusqu'à l'exploitation, il n'y met pas son focus. Li Ruijun privilégie la tendresse qui règne au cœur du couple de marginaux. Deux personnages rejetés, que ce soit par leur famille ou par la société, mais qui s'accrochent l'un à l'autre. Leur complicité progressive et leur solidarité est ce qui leur permet de continuer, d'avancer et d'avoir toujours foi en leur mode de vie. Ils sont des âmes errantes, aussi fragiles que le blé face au vent, dont la stabilité est assurée par le soin et la compagnie qu'ils s'apportent l'un à l'autre.

Copyright Qizi Films Limited

Il n'y a jamais une recherche d'accablement pour faire le portrait de leur quotidien. La misère et la pauvreté ne sont qu'un contexte et jamais le point central. Quand il est leur proposé d'emménager dans un appartement en ville, Ma Youtie en vient même à décliner, interrogeant sur ce qu'il ferait de son âne, de ses cochons et de ses poules. Le film ne cherche jamais à alarmer, mais bien à célébrer ce mode de vie modeste auquel tient beaucoup le protagoniste. Si bien que le cinéaste crée un recul dans sa mise en scène : il y a dans ce portrait une pudeur qui se situe pile au milieu du misérabilisme et de la prospérité, sans jamais tutoyer aucun des deux états. Parce qu'il s'agit avant tout d'une chronique d'une campagne qui se meurt. Telles les destructions organisées par le gouvernement, ou le vide et le calme qui règnent dans l'immensité de ce paysage, les protagonistes semblent être des survivants alors que la vie s'est déplacée ailleurs. Les champs et les plaines s'étendent à perte de vue dans l'horizon, les routes semblent aussi infinies que douloureuses à emprunter à pied, et la verdure esseulée de toute vie se déploie autant que le ciel prend de la place dans l'image. Pourtant, Le retour des hirondelles est bel et bien un hommage à la terre : en même temps que le portrait de ce couple marginalisés, il y a des images qui demandent de ne pas oublier ces paysages lointains.

Copyright Qizi Films Limited

Dans ce territoire rural, la vie ancestrale faite de simplicités mais de labeurs se fait de plus en plus rare. Si bien que deux êtres allongés sur une dune semble être une anomalie. Mais le geste du film tient en une idée tout aussi simple : ce lien physique que des personnages gardent avec la nature. Ce rapport qu'ils arrivent à perpétuer, aussi bien avec leurs mains qu'avec leurs pieds, ou la manière de courber le dos. Li Ruijun s'intéresse énormément à regarder les produits pousser, à suivre la construction de la ferme qui sera le nouveau logement du couple, à degré identique qu'il s'intéresse aux variations du couple et leur manière de vivre leur union. Là où le film commence avec l'absence de considération pour les protagonistes, il pourrait se diriger vers une fatalité. Mais c'est tout le contraire qui se présente, le cinéaste prenant le chemin de la patience. Dans celle-ci, le couple de protagonistes se dévouent totalement à la terre et à leur relation, et n'ont le temps ni l'envie pour rien d'autre. Ce n'est jamais une bulle, mais bien un détachement qui permet de retrouver une dignité. Toute l'énergie de ce regard est projetée dans le portrait des protagonistes. Les accompagnant tout du long, la caméra scrute leurs tâches dans les moindres détails, avec des longs plans. Une façon de créer une corrélation entre le détachement marginal (et pauvre) et la liberté face à la nature. Une expérience éprouvée par le cinéaste lui-même qui, avec l'aide de membres de sa famille, a tourné au rythme des saisons suivant le cycle des cultures, jusqu'à construire la ferme et créer les cultures lui-même.

Copyright Qizi Films Limited

Cette sensation d'épuisement est également visible dans le film, avec le temps qui semble s'écraser sur les personnages avec sa répétition. Les tâches s'enchaînent et se répètent de jour en jour, tout comme le couple alterne entre les moments doux et les petites sautes d'humeur. Avec ce ciel omniprésent et imposant dans les images, l'espace et le temps sont pesants et étouffants. On pourrait tout de même reprocher la longueur du film, qui parfois agit comme une masse lourde brutale, avec ses nombreux plans longs et fixes. Mais c'est également la manière de Li Ruijun de rester dans l'authenticité, de ne pas faire déborder la fiction qui viendrait encombrer l'hommage à la terre et aux agriculteurs qui survivent. C'est un équilibre délicat, que le cinéaste maintient pendant plus de deux heures, afin de donner corps et une voix à des figures trop absentes dans le cinéma chinois, de donner un espace physique à ces figures isolées et marginalisées. Le retour des hirondelles est un geste romanesque aussi dense et précieusement modeste que la vie épuisante des agriculteurs ruraux.


Teddy Devisme


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