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[CRITIQUE] : Un Couple


Réalisateur : Frederick Wiseman
Avec : Nathalie Boutefeu.
Distributeur : Météore Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Français, Américain.
Durée : 1h04min

Synopsis :
Léon et Sophia Tolstoï ont formé un couple hors norme : 36 ans de mariage, 13 enfants, des disputes intenses, des moments de réconciliation passionnés… Dans la nature expressive d'une île sauvage, Sophia se confie sur son admiration et sa crainte pour l’auteur de Guerre et paix, sur les joies et les affres de leur vie commune.



Critique :


Il y a quelque chose de profondément rafraîchissant dans l'idée de voir qu'un cinéaste tel que Frederick Wiseman, 92 au compteur et une caméra toujours aussi vive, n'a jamais réellement achever sa quête d'agréablement surprendre son auditoire à chaque nouvel effort, tel un de ses papys du septième art (comme Jerzy Skolimowski et son EO, également en salles depuis mercredi) qui ne ferait pas tant de la résistance que de continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait : du grand et beau cinéma.
Anomalie dans une distribution actuelle où elle se compte sur les doigts d'une main méchamment amputée, son nouvel effort, Un Couple, entre le moyen et le long-métrage, repose sur les fondements même du monodrame, une sorte de soliloque que Wiseman avait déjà expérimenté pour La dernière lettre (qui comptait la vie et le destin de Vasiliy Grossman), et qui adapte cette fois les journaux intimes que Léon et Sophia Tolstoï ont tenus tout au long de leur relation; des fragments d'existence volés au temps à mi-chemin entre le document intime et la lettre confessionnelle (le couple avait l'habitude de les lire à haute voix chaque fois qu'ils avaient des invités), preuves irréfutables d'une relation tumultueuse, marquée la méfiance et la haine et ponctuées de quelques réconciliations passagères.

Copyright Météore Films

Volontairement embaumé dans un chaos brouillant les pistes des schémas clairs et familiers du langage cinématographique sans pour autant dénoter des us et coutumes du cinéma du bonhomme (un humanisme délicat, une observation naturaliste et méticuleuse de ses sujets,...), le film s'attache légitiment à Sophia, donnant une place à cette épouse d'un grand homme qui finalement n'en a jamais réellement eu (cette romance n'a toujours qu'un seul regard asymétrique : celui donné par Tolstoï), un être solaire engoncée dans un paradis perdue et dont l'âme s'est lentement mais sûrement atrophié dans la solitude et l'isolement, une épouse qui reste passionnément amoureuse de son mari, même si elle n'ose plus le lui dire.
Puissant dans ce qu'il met en images - littéralement la force des mots - autant que dans ce qu'il choisit de ne pas montrer dans cette bouleversante crise existentielle où des décennies de désillusions et de lamentations sont comprimées et exprimées dans un langage poétique dense et un regard follement empathique (même s'il désamorce intelligemment toute tentative de déchaînement émotionnel avec une sobriété rare), Un Couple est un puzzle cinématographique et épistolaire fascinant, un portrait expressif et touchant d'une femme trop souvent laissé dans l'ombre et qui démontre, si besoin était, la propension des grands cinéastes à faire du septième art qui se fait et se pense pour ne pas toujours voguer sur l'océan sans remous du conventionnel.


Jonathan Chevrier



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