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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Gerry


Réalisateur : Gus Van Sant
Acteurs : Matt Damon et Casey Affleck.
Distributeur : Carlotta Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h43min.

Date de sortie : 3 mars 2004
Date de ressortie : 17 août 2022

Synopsis :
Deux hommes, nommés tous deux Gerry, traversent en voiture le désert californien vers une destination qui n'est connue que d'eux seuls. Persuadés d'atteindre bientôt leur but, les deux amis décident de terminer leur périple à pied.
Mais Gerry et Gerry ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher ; ils ne sont même plus capables de retrouver l'emplacement de leur voiture. C'est donc sans eau et sans nourriture qu'ils vont s'enfoncer plus profondément encore dans la brûlante Vallée de la Mort. Leur amitié sera mise à rude épreuve.



Critique :



Rares sont les cinéastes capables de capter les aternoiements et les préoccupations de la jeunesse américaine, et encore plus un cinéaste tel que Gus Van Sant, dont la caméra a accompagné plusieurs générations bien distinctes dans des exercices formels aussi justes que fascinants.
Mais plus encore qu'un Elephant où un My Own Private Idaho, Gerry, véritable lettre d'amour au cinéma de Béla Tarr (basée sur un véritable fait divers en Californie), incarne une radiographie aussi insolite et dépouillée que profondément osée : après une ouverture en voiture - comme Mala Noche - qui voit deux personnages, tous deux appelés Gerry (immense duo Matt Damon/Casey Affleck, également derrière le scénario), roulé en silence à travers un cadre désolé, la narration les catapulte dans un paysage désertique et inhospitalier, où ils sont censés marcher - sans la moindre bouteille d'eau ni même une carte - pour atteindre une destination dont la seule chose que nous savons est que "ce sera plein de touristes".

© Carlotta Films

Mais très vite, leur marche assurée s'étiole et ils réalisent qu'ils ne sont plus du tout sur la voie de leur destination, perdus dans la nature sauvage au milieu des montagnes et du désert, sans savoir comment rentrer chez eux ni même retrouver une quelconque civilisation...
Sorte de théâtre de l'absurde à ciel ouvert et en constante évolution, où le cinéaste dégaine d'interminables travellings (une prouesse technique aussi essentielle pour emprisonner ses personnages, que minutieusement démente tant la mise en scène comporte autant de plans que de minutes : cent tout rond) à travers un cadre baigné de lumière, où le bruit du vent et des animaux invisibles envahissent dangereusement l'espace, Gerry se fait le portrait féroce de la génération Y - aka les milleniaux - dont il grossit sensiblement les traits (confiance en soi aussi exacerbée que leur nonchalance, un manque cruel d'ouverture à la culture contrebalancée par une grande connaissance des nouvelles technologies et des contenus de masses, le tout couplé à une absence total d'objectifs personnels vitaux donnant un sens à toute existence), pour mieux pointer leur inconscience démesurée (c'est simple, les héros de cette folle aventure ne seront conscients du danger qu'ils courent qu'au moment où il leur sera absolument impossible d'y échapper).
Prisonniers de l'immensité, leurs pas deviennent de plus en plus lents et conscients à mesure que l'angoisse et le désespoir commencent à peser sur leurs esprits, Van Sant les enfermant dans un cadre anxiogène qui ralentit à leur allure et fait progressivement abstraction de l'espace, comme s'ils étaient un tandem de naufragés au coeur d'une planète inconnue.

© Carlotta Films

Mais il est déjà trop tard pour que les deux s'en sortent indemnes, et l'aboutissement de ce voyage dans le néant absolu (un reflet amer de l'âme humaine exposée au sein d'une nature toute aussi nue et repoussante, et face à laquelle elle ne peut que montrer sa douloureuse déconnexion) se traduit dans un surprenant rebondissement final, aussi dévastateur que libérateur, où le dédoublement de personnalité de Gerry (qui n'est qu'une seule et unique personne) finira par se débarrasser de son côté le plus faible pour survivre, le laissant agoniser dans un éternel et cyclique présent où plus rien n'a de sens.
D'une froideur abyssale dans son regard, tant l'humain et l'inanimé sont observés avec le même détachement, Van Sant choisi plus frontalement que jamais la voie d'un cinéma plus abstrait et libre, plus épuré et insaisissable où il questionne et pousse à la réflexion son auditoire, plus qu'il ne le guide gentiment par la main avec une narration prémâchée et cousu de fil blanc.
Chef-d'oeuvre plastique et sensoriel, Gerry épouse méticuleusement les contours d'une dépaysante et absurde comédie existentielle pour mieux croquer un cauchemar hypnotique et tragiquement symbolique sur une génération qui a - littéralement - perdu sa boussole et ne sait pas où elle va.


Jonathan Chevrier


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