[CRITIQUE/RESSORTIE] : Monsieur Klein
Réalisateur : Joseph Losey
Avec : Alain Delon, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale,...
Distributeur : Les Acacias
Budget : -
Genre : Drame, Judiciaire.
Nationalité : Italien, Français.
Durée : 2h03min
Date de sortie : 27 octobre 1976
Date de reprise : 6 juillet 2022
Synopsis :
Pendant l'occupation allemande à Paris, Robert Klein, un Alsacien qui rachète des oeuvres d'art à bas prix, reçoit, réexpédié, à son nom, le journal Les Informations juives qui n'est délivré que sur abonnement. Il découvre bientôt qu'un homonyme juif utilise son nom, et décide alors de remonter la piste qui le mènera à cet inconnu.
Critique :
Le régime de Vichy et la collaboration avec les nazis au coeur de la Seconde Guerre mondiale ont longtemps été tus dans l'hexagone, a tel point que même le documentaire Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls, qui a férocement brisé le tabou sur le sujet tout en ayant les honneurs d'une sortie en salles en 1969, s'était vu refuser une diffusion sur le petit écran jusqu'en 1981.
Pas si étonnant donc qu'un film abordant aussi frontalement le sujet et sans le moindre scrupule comme peut le faire le puissant Monsieur Klein de Joseph Losey, n'ait pas forcément bousculé les foules au moment de sa sortie et ce, malgré la présence au casting du monument Alain Delon - également producteur sur le projet.
De toutes les oeuvres réalisées sur la tragédie inhumaine de l'Holocauste, le film de Losey est sans doute le plus caustique tant nous ne voyons jamais une seule image des camps de la mort, ni même une croix gammée frappée sur un mur, puisque la haine est à l'intérieur du coeur des hommes (on est ici quelques heures avant la rafle du Vel' d'Hiv').
Une haine prégnante alors que les Juifs de France vivent dans la peur - trop bien conscients de ce qui les attend -, tandis que les " gentils de la nation " gardent lâchement la tête baissée, ignorent la terreur mise en place où profitent honteusement de la souffrance juive et d'un antisémitisme déjà institutionnalisé dans toutes les strates de la société.
Robert Klein est clairement de cette catégorie.
Marchand d'art bourgeois et fier d'être français, il fait son beurre de la situation en payant aux juifs une misère pour les œuvres d'art dont ils doivent se débarrasser avant de s'enfuir du pays.
Il a un baratin bien répété sur la façon dont il se sent coupable d'acheter de l'art dans de telles circonstances, mais il n'en pense pas un seul mot tant sa vie est moralement réglée sur ce créneau socialement prospère.
Un jour, Klein reçoit un exemplaire de "Jewish Information", un journal destiné à la communauté juive de Paris, livré à son appartement, une erreur d'après lui puisque c'est un " bon catholique "... où peut-être pas.
Craignant que ce qui semble être une erreur innocente ne le conduise à être qualifié de juif, il ouvre une enquête et apprend qu'un autre homme du nom de Robert Klein vit à Paris.
Plus il descend profondément dans le terrier du lapin pour tenter de retrouver son homonyme, plus il s'incrimine auprès des autorités chargées de l'enquête.
Vaincu par la paranoïa, Klein commence à se demander s'il n'a peut-être pas lui-même des racines sémitiques...
Dans sa mise en images magistrale d'un homme tourmenté par jeu du chat et de la souris mystérieux et ambiguë (il est autant en quête d'un autre que de ce qu'il est réellement), lui-même artisan autant de son propre malheur que pion - certes non collabo - d'une réalité où les Juifs français n'étaient pas tant - à ce moment-là - les victimes des occupants allemands que de leurs voisins français; Losey rejoue à nouveau la carte du double et d'une réflexion kafkaïenne sur l'identité, tout en enveloppant son film d'un spectre étrange et intemporel, presque palpable, laissant pointer l'idée qu'une telle violence pourrait ressurgir à n'importe quel moment - si elle n'est pas déjà là.
Modifiant - un brin - la véracité historique pour mieux dénoncer la monstruosité et ressortir l'inhumanité et l'incompréhension de la lente descente aux enfers d'un homme - et plus directement, de toute une époque - qui n'avait plus rien d'humain; Losey place les âmes cyniques face à leur propre culpabilité et fait de Monsieur Klein une auscultation froide et cruelle des névroses d'une France sous l'occupation que la majorité avait pudiquement oubliée, le tout dominé par un Alain Delon tout en nuance et en sobriété.
Une ressortie fantastique pour un chef-d'oeuvre nécessaire.
Jonathan Chevrier
Avec : Alain Delon, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale,...
Distributeur : Les Acacias
Budget : -
Genre : Drame, Judiciaire.
Nationalité : Italien, Français.
Durée : 2h03min
Date de sortie : 27 octobre 1976
Date de reprise : 6 juillet 2022
Synopsis :
Pendant l'occupation allemande à Paris, Robert Klein, un Alsacien qui rachète des oeuvres d'art à bas prix, reçoit, réexpédié, à son nom, le journal Les Informations juives qui n'est délivré que sur abonnement. Il découvre bientôt qu'un homonyme juif utilise son nom, et décide alors de remonter la piste qui le mènera à cet inconnu.
Critique :
En scrutant la troublante et obsessionnelle quête identitaire d'un Delon perdu, Joseph Losey place magistralement les âmes cyniques et cupides face à leur propre culpabilité et fait de #MonsieurKlein une auscultation froide et cruelle des névroses d'une France sous l'occupation. pic.twitter.com/orD3GjzpEH
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 18, 2022
Le régime de Vichy et la collaboration avec les nazis au coeur de la Seconde Guerre mondiale ont longtemps été tus dans l'hexagone, a tel point que même le documentaire Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls, qui a férocement brisé le tabou sur le sujet tout en ayant les honneurs d'une sortie en salles en 1969, s'était vu refuser une diffusion sur le petit écran jusqu'en 1981.
Pas si étonnant donc qu'un film abordant aussi frontalement le sujet et sans le moindre scrupule comme peut le faire le puissant Monsieur Klein de Joseph Losey, n'ait pas forcément bousculé les foules au moment de sa sortie et ce, malgré la présence au casting du monument Alain Delon - également producteur sur le projet.
De toutes les oeuvres réalisées sur la tragédie inhumaine de l'Holocauste, le film de Losey est sans doute le plus caustique tant nous ne voyons jamais une seule image des camps de la mort, ni même une croix gammée frappée sur un mur, puisque la haine est à l'intérieur du coeur des hommes (on est ici quelques heures avant la rafle du Vel' d'Hiv').
© StudioCanal / Les Acacias / Fox Lira |
Une haine prégnante alors que les Juifs de France vivent dans la peur - trop bien conscients de ce qui les attend -, tandis que les " gentils de la nation " gardent lâchement la tête baissée, ignorent la terreur mise en place où profitent honteusement de la souffrance juive et d'un antisémitisme déjà institutionnalisé dans toutes les strates de la société.
Robert Klein est clairement de cette catégorie.
Marchand d'art bourgeois et fier d'être français, il fait son beurre de la situation en payant aux juifs une misère pour les œuvres d'art dont ils doivent se débarrasser avant de s'enfuir du pays.
Il a un baratin bien répété sur la façon dont il se sent coupable d'acheter de l'art dans de telles circonstances, mais il n'en pense pas un seul mot tant sa vie est moralement réglée sur ce créneau socialement prospère.
Un jour, Klein reçoit un exemplaire de "Jewish Information", un journal destiné à la communauté juive de Paris, livré à son appartement, une erreur d'après lui puisque c'est un " bon catholique "... où peut-être pas.
Craignant que ce qui semble être une erreur innocente ne le conduise à être qualifié de juif, il ouvre une enquête et apprend qu'un autre homme du nom de Robert Klein vit à Paris.
Plus il descend profondément dans le terrier du lapin pour tenter de retrouver son homonyme, plus il s'incrimine auprès des autorités chargées de l'enquête.
Vaincu par la paranoïa, Klein commence à se demander s'il n'a peut-être pas lui-même des racines sémitiques...
© StudioCanal / Les Acacias / Fox Lira |
Dans sa mise en images magistrale d'un homme tourmenté par jeu du chat et de la souris mystérieux et ambiguë (il est autant en quête d'un autre que de ce qu'il est réellement), lui-même artisan autant de son propre malheur que pion - certes non collabo - d'une réalité où les Juifs français n'étaient pas tant - à ce moment-là - les victimes des occupants allemands que de leurs voisins français; Losey rejoue à nouveau la carte du double et d'une réflexion kafkaïenne sur l'identité, tout en enveloppant son film d'un spectre étrange et intemporel, presque palpable, laissant pointer l'idée qu'une telle violence pourrait ressurgir à n'importe quel moment - si elle n'est pas déjà là.
Modifiant - un brin - la véracité historique pour mieux dénoncer la monstruosité et ressortir l'inhumanité et l'incompréhension de la lente descente aux enfers d'un homme - et plus directement, de toute une époque - qui n'avait plus rien d'humain; Losey place les âmes cyniques face à leur propre culpabilité et fait de Monsieur Klein une auscultation froide et cruelle des névroses d'une France sous l'occupation que la majorité avait pudiquement oubliée, le tout dominé par un Alain Delon tout en nuance et en sobriété.
Une ressortie fantastique pour un chef-d'oeuvre nécessaire.
Jonathan Chevrier