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[CRITIQUE] : L'année du requin


Réalisateurs : Ludovic et Zoran Boukherma
Avec : Marina Foïs, Kad Merad, Jean-Pascal Zadi, Christine Gautier, …
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Comédie, Action
Nationalité : Français
Durée : 1h27min

Synopsis :
Maja, gendarme maritime dans les Landes, voit se réaliser son pire cauchemar : prendre sa retraite anticipée ! Thierry, son mari, a déjà prévu la place de camping et le mobil home. Mais la disparition d’un vacancier met toute la côte en alerte : un requin rôde dans la baie ! Aidée de ses jeunes collègues Eugénie et Blaise, elle saute sur l’occasion pour s’offrir une dernière mission…


Critique :


Le requin peuple l’imaginaire des films américains, de la créature sanguinaire de Steven Spielberg au mégalodon de Jason Statham. Après avoir dépoussiéré la figure du loup-garou avec Teddy (prix du jury à Gérardmer en 2021), les frères Boukherma s'attaquent à un angle mort du cinéma français, le film de requin. Une comédie horrifique à leur image, L’année du requin s’empare du genre pour le rendre terriblement français. Ça gueule, ça râle, ça enfreint les règles mais ça rend également un respectueux hommage aux Dents de la Mer.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Revisite artisanale d’un genre devenu too much avec les années (Sharknado entre autres), L’année du requin nous emmène à La Pointe, petite ville du Sud-Ouest de la France. Maja (Marina Foïs), gendarme maritime, se voit contrainte de prendre sa retraite anticipée à seulement quarante-neuf ans. Il y a un peu de Marge Gunderson dans le personnage de Maja, gendarme sérieuse, intelligente et qui prend son travail très (trop) à cœur. Ce n’est peut-être pas un hasard si on pense au cultissime personnage des frères Coen quand on regarde Maja se dépêtrer avec son requin. Le film de Ludovic et Zoran Boukherma partage avec Fargo le sens du décalage. L’année du requin se faufile entre un ton bon enfant (à la bonne sauce de culture française où les ennemis sont le wokisme, le coronavirus et les parisiens) et une vraie chasse au requin, où suspense et action sont de mise.

Rien ne se passe à La Pointe, nous apprend une voix-off. Dans ce cadre bucolique où la seule chose à faire est « de poser son cul sur le sable et regarder les vagues », nous pouvons vite comprendre la frustration de Maja, qui a dû passer sa carrière à crier sur des touristes allemands de ne pas conduire leur bateau sur les bancs de sables. Alors quand un énorme requin vient prendre ses repas d’humain sur le large, Maja veut être celle qui le capture, retraitée ou non. Pour souligner l’obsession de leur personnage, les cinéastes parent de bleu l’entièreté du film. Couleur saturée, la dominante bleue met en contraste le rouge du sang dans la mer. Tout est bleu autour de Maja : ses vêtements de ville, son maquillage, son intérieur. Le cadre l’enferme dans cette couleur, personnifiant son métier qu’elle ne veut quitter et le requin, une menace qui devient peu à peu personnelle. La mise en scène choisit les courtes focales (parfois même le fish-eye), permettant ainsi de distiller le malaise et d’élargir la profondeur de champ, la menace est alors partout. Même les gros plans sont filmés en courte focale, et déforment les visages, pour mieux accompagner le mélange des genres. Cette image soignée et les choix marqués de mise en scène servent aux frères Boukherma afin de s’approcher du style de Spielberg (s’appropriant aussi l’utilisation du zoom) tout en caractérisant d’une manière humoristique leur héroïne.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Mais à force de vouloir ménager la chèvre et le chou, L’année du requin s’autorise quelques facilités dans ses blagues ( “on ne peut plus rien dire” et autres spécialités françaises) pour peindre le portrait parodique de cette France à bout de souffle après deux ans de pandémie. À la croisée du film d’action et de la bonne vieille comédie sociale bien de chez nous, le film de Ludovic et Zoran Boukherma a au moins le mérite de nous proposer une oeuvre ambitieuse et réfléchie, nouvelle preuve (s’il en faut encore …) que le cinéma français est bien plus riche et nuancé qu’on ne le décrit.


Laura Enjolvy