[CRITIQUE/RESSORTIE] : La Terrasse

Réalisateur : Ettore Scola
Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman,...
Distributeur : Les Acacias
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Italien, Français.
Durée : 2h30min.

Date de sortie : 26 novembre 1980
Date de ressortie : 27 juillet 2022

Synopsis :
Un groupe d’amis de longue date se réunit régulièrement sur la terrasse d’un appartement romain. Membres de l’intelligentsia, ces quinquagénaires traversent chacun une crise. Il y a là Mario, député communiste mis à l’écart, épris de Giovanna, l’épouse d’un publicitaire, Enrico, scénariste de comédies en panne d’inspiration, Amedeo, producteur complexé par son inculture et Luigi, journaliste et éditeur, obsédé par le départ de sa femme...



Critique :

Avec ironie et lucidité, Scola s'appuie sur les plumes d'Age & Scarpelli pour faire de #LaTerrasse une fresque chorale sur la crise des valeurs et des idéaux révolutionnaires qui frappent la bourgeoisie italienne, reflétant la désillusion, le malaise et l'amertume de toute époque pic.twitter.com/b9l06evAlf

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 29, 2022

Il y a un petit pincement au coeur dans le fait de retrouver feu Jean-Louis Trintignant, à peine quelques semaines après sa disparition, à l'écran au coeur de la ressortie du formidable film choral La Terrasse d'Ettore Scola, merveille de comédie à l'italienne amère où il sonde les aternoiements et les plaintes d'une bourgeoisie romaine face à une société italienne en pleine mutation.
Cette petite terrasse mondaine people que le cinéaste filme, devient l'occasion pour lui d'y faire se croiser où s'entrecroiser avant de s'unir un an plus tard, une poignée d'intellectuels dont il développera les personnalités au gré des bobines : Enrico (Jean-Louis Trintignant), un scénariste en pleine crise existentielle et professionnelle, Amedeo (Ugo Tognazzi), un producteur au bord de la faillite, Luigi (Marcello Mastroianni), un triste et journaliste déprimé où encore Mario (Vittorio Gassman), un ancien partisan devenu député sans idéal d'un Parti communiste tout aussi en crise.

Copyright 1980 - International Dean Film - Dean Film - TF1 Studio

Avec ironie et lucidité, Scola s'appuie sur les plumes d'Age et Scarpelli pour mieux concentrer son attention sur la crise des valeurs et des idéaux révolutionnaires qui frappent une certaine caste de la société italienne, reflétant le malaise, la désillusion, l'amertume et l'échec cruel d'une époque et de sa révolution, pour mieux croquer une fresque chorale sur la démystification du conformisme d'une bourgeoisie/haute bourgeoisie qui a littéralement perdu tout idéal. 
La comédie humaine qui prend sereinement vie face caméra est alors propice aux situations volontairement ridicules et tristes dans lesquelles les protagonistes - tous issus où presque du milieu culturel - sont les victimes d'un quotidien et d'une réalité qu'ils ne peuvent plus dominer (notamment sur les femmes, qui affirment désormais leur pouvoir sur eux et sont au centre de l'évolution sociale), en proie à de faux idéaux et à une hypocrisie oppressante qui les rend, jour après jour, toujours plus déprimé et découragé. 
Ils sont inquiets parce qu'ils ont l'âge de la retraite, parce que leur prestige se dissout avec le temps, par manque d'inspiration créatrice, par déception des révolutions manquées ou même par remords de la complicité donnée aux méfaits du passé.
Leur existence est vidée de tout sens, eux qui s'accrochent à la nostalgie d'un passé florissant, à un bonheur et une jeunesse désormais inaccessibles - jusque dans leurs relations amoureuses/adultères.

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Malgré tout, la structure épisodique de La Terrasse (la caméra se fixe sur chaque personnage l'un après l'autre avant de tous les réunir dans le final) a sa propre compacité et sa propre linéarité thématique, toujours vissé sur le sous-texte dramaturgique de des scènes.
Après chaque segments narratifs qui permettent à l'intrigue de s'enfoncer pleinement dans les crises existentielles profondes de ses protagonistes, le récit revient systématiquement pour embrasser le lieu principal du film, cette terrasse qui est le centre, l'agora grandiose et symbolique de cette comédie humaine nostalgique et pathétique à la fois, où seul l'amitié semble être une bouée de sauvetage pour survivre à la tristesse, la déchéance intérieure et à l'inaction face à d'un présent décevant.
Scola s'accroche à leur désir de se raconter comme pour mieux sonder avec compassion la décadence et l'impuissance de la société italienne autant qu'un milieu culturel - surtout cinématographique - qui peine à se renouveler et qui n'est plus en phase avec son époque.
Avec amertume mais surtout avec lucidité, il accepte tout comme ses personnages, passivement mais avec colère et mélancolie, l'agonie d'un cinéma italien sombrant dans un profond désenchantement, auquel il tend un miroir dont il était, évidemment à l'époque, incapable d'accepter la vérité.

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La Terrasse, au-delà d'être infiniment drôle et juste, est une oeuvre atemporel dont l'acuité et la puissance de son propos pousse encore et toujours à la réflexion aujourd'hui, plaqué sur les contradictions de notre société contemporaine, où même ce qu'il est désormais acté de considérer comme " non-essentiel " dans nos vies - la culture et le septième art.


Jonathan Chevrier