[CRITIQUE] : Corsage
Réalisatrice : Marie Kreutzer
Acteurs : Vicky Krieps, Florian Teichtmeister, Colin Morgan, Finnegan Oldfield,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Biopic,
Nationalité : Autrichien, Luxembourgeois, Français, Allemand.
Durée : 1h53min.
Synopsis :
Le film est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022
Noël 1877, Élisabeth d’Autriche (Sissi), fête son 40e anniversaire. Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice. Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Etouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Élisabeth se rebelle de plus en plus contre cette image.
Critique :
Entre la mélancolie d'un Spencer et la relecture colorée et insolente à la Marie-Antoinette, #Corsage abandonne le mythe de l'objectivité et se laisse aller à une inventivité et une irrévérence savoureusement corrosive qui fait (souvent) mouche. Vicky Krieps est juste incroyable. pic.twitter.com/Q0gOzEqXaf
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 2, 2022
Il ne faut pas dépasser la première bobine pour réaliser que la représentation du mythe Elisabeth d'Autriche opérée par la cinéaste autrichienne Marie Kreutzer n'a strictement rien à voir avec ce que l'on a pu voir auparavant - pas même les films d’Ernst Marischka, au regard aseptisé/idéalisé de l'impératrice et portés par feu Romy Schneider.
Corsage, dont le titre évoque instinctivement les contraintes douloureuses et sacrificielles du vêtement éponyme, se fait la représentation consciemment fougueuse et agitée d'une Sissi obsédé par l'oisiveté de sa condition, une femme-trophée définie par la trivialité laborieuse du superficiel mais qui décide, à l'arrivée d'une quarantaine qui l'a hante autant que ses névroses, qu'elle vivra désormais selon ses propres règles en se lançant avec panache dans une rébellion contre le conformisme de l'aristocratie.
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Une Sissi punk qui se débat avec l'exaspération d'un quotidien sans but et d'une vieillesse inéluctable (et encore plus à une époque où l'espérance de vie moyenne d'une femme la rapproche de plus en plus du trépas), dans une sorte d'agitation imprudente entre naïveté immature et détermination sans borne à maintenir son refus d'être objectifiée.
Un portrait au vitriol qui réinvente l'histoire pour mieux la corriger, anarchiste jusque dans ses petites touches d'anachronismes délirants (un tracteur, un téléphone accroché au mur, un bateau moderne,...), miroirs des doigts d'honneur furieux de Sissi à des invités désobligeants, qui démontre avec puissance autant la vérité d'une figure bien trop imposante pour son époque, que le besoin vital de celle-ci à titiller le monde qui l'entoure pour simplement montrer qu'elle existe et qu'elle n'est pas qu'une simple décoration a adulé, même si elle cherche désespérément dans le même temps, du réconfort dans le renforcement constant de son bien (qui est aussi sa malédiction) le plus précieux : sa beauté et son apparence.
Entre la mélancolie d'un Spencer et la relecture pop à la Marie-Antoinette (qui aurait même mérité d'épouser la folie crasse de La Favorite), Corsage, qui tout comme son sujet ne peut se laisser corseter par le carcan austère du film en costumes, abandonne le mythe de l'objectivité et se laisse aller à une inventivité et une irrévérence savoureusement corrosive qui fait - souvent - mouche.
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Soit le terreau parfait pour une Vicky Krieps à la partition totalement exacerbée et pleine d'entrain, entre une arrogance/antipathie frénétique jouissive et une anxiété palpable face aux attentes sociétales anxiogènes, épousant son dynamisme autant que ses imperfections et sa part d'ombre sans la moindre réserve.
Elle est le phare vivant et tourmenté de cette auscultation fantastique de l'artificialité et de la laideur du quotidien et de l'intimité de l'aristocratie, furieusement moderne dans sa vision du culte superficiel de la beauté et de la minceur imposés par les mœurs patriarcales.
Une sacrée relecture.
Jonathan Chevrier